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Canada : Rapatrier les suspects de l’EI et leurs familles de Syrie

Les mesures prises pour aider 47 Canadiens détenus en Syrie dans des conditions déplorables sont inadéquates

Le Canada ne prend pas les mesures adaptées pour aider et rapatrier des dizaines de Canadiens détenus illégalement dans des conditions déplorables pour leurs liens présumés avec l’État islamique (EI, ou Daech) dans le nord-est de la Syrie, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Le gouvernement devrait rapatrier rapidement tous ses ressortissants détenus sur place, aux fins de réadaptation, réintégration et, le cas échéant, de poursuites judiciaires.

Le rapport de 92 pages, intitulé « “Bring Me Back to Canada’: Plight of Canadians Held in Northeast Syria for Alleged ISIS Links »  (« “Ramenez-moi au Canada” : La détresse des Canadiens détenus dans le nord-est de la Syrie pour leurs liens présumés avec l’État islamique » - résumé et recommandations en français), explique que le Canada n’a rapatrié aucun de ses ressortissants, dont le nombre est estimé à 47 – soit 8 hommes, 13 femmes et 26 enfants –  alors qu’ils sont détenus depuis plus d’un an dans des conditions de surpopulation et de saleté posant des risques pour leur vie. La plupart des enfants ont moins de 6 ans, et parmi eux se trouve une orpheline de 5 ans. Depuis mars 2020, le Canada, en réponse à la pandémie de Covid-19, a rapatrié 40 000 de ses ressortissants de 100 pays à travers le monde, dont 29 de Syrie.

« Si le Canada peut rapatrier des dizaines de milliers de ses citoyens du monde entier en quelques semaines, ce pays peut sûrement trouver un moyen de rapatrier moins de 50 autres, pris au piège dans des conditions épouvantables au nord-est de la Syrie », a déclaré Letta Tayler, chercheuse senior à la division Crises et conflits de Human Rights Watch. « Les vies de citoyens canadiens sont en jeu, et il est maintenant temps de les ramener à la maison ».

Le Canada semble refuser toute aide consulaire effective aux détenus en raison de leurs liens présumés avec l’EI, ce qui pourrait constituer une discrimination illégale. La Charte des services consulaires du Canada stipule qu’Affaires mondiales Canada – le ministère canadien des Affaires étrangères – s’engage à fournir « une aide d’urgence aux Canadiens 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ». Pourtant, plusieurs détenus interrogés dans le nord-est de la Syrie et des proches de ces détenus au Canada et en Europe occidentale ont déclaré à Human Rights Watch que malgré leurs appels à l’aide répétés et offres réitérées de s’occuper des enfants au cas où ils seraient rapatriés, l’aide fournie par Affaires mondiales Canada était au mieux insuffisante.

Une fillette photographiée de dos dans l'annexe du camp d'al-Hol, dans le nord-est de la Syrie. Dans ce camp, des milliers de femmes et d'enfants originaires de divers pays, dont le Canada, sont détenus en tant que membres de familles d’individus suspectés de liens avec l'État islamique (EI).  © 2019 Sam Tarling

« C’est comme s’ils ne cessaient de déplacer les buts en les éloignant de plus en plus loin », a déclaré un oncle d’Amira, à propos de l’aide qu’il tentait d’obtenir du Canada pour ramener l’orpheline chez elle.

Ces Canadiens sont souvent malades et la plupart sont traumatisés, ont déclaré des membres de leurs familles ainsi que des détenus. Trois des adultes qui se trouvent sur place affirment que l’EI les a emprisonnés. L’une d’elle a déclaré que ses ravisseurs de l’EI l’avaient violée et qu’elle était sur une « liste de personnes à éliminer » parce qu’elles avaient refusé de soutenir le groupe. Un autre a déclaré qu’il avait été torturé dans une prison dirigée par les Forces démocratiques syriennes (FDS), une force armée anti-EI soutenue par les États-Unis, qui détenait des prisonniers étrangers. Aucun de ces Canadiens n’a été accusé de crime, ni n’a été présenté devant un juge afin de vérifier la légalité et la nécessité de sa détention.

Les Canadiens font partie des quelque 14 000 étrangers non irakiens de plus de 60 pays détenus dans le nord-est de la Syrie pour leurs liens présumés avec l’EI. Dans des prisons de fortune pour hommes et adolescents, les conditions de détention sont inhumaines et les détenus tellement serrés que beaucoup dorment les uns sur les autres.

Dans les camps fermés pour femmes, jeunes filles et jeunes garçons, les tentes s’effondrent sous les vents violents, ou sont inondées par les fortes pluies ou les eaux usées. Les chiens abandonnés rôdent et quand elle ne manque pas, l’eau potable est souvent contaminée. Les latrines débordent, les ordures jonchent le sol et les maladies sont fréquentes. De nombreux détenus sont terrifiés à l’idée que le conflit armé du nord-est de la Syrie puisse déborder dans les camps.

Les soins médicaux sont totalement inadaptés. Dans les prisons, plus de 100 voire peut-être même plusieurs centaines de détenus sont morts depuis la mi-2019, beaucoup par manque de soins, a constaté Human Rights Watch. À al-Hol – le plus grand des 2 camps pour femmes et enfants – le Croissant-Rouge kurde a signalé qu’au moins 517 personnes, dont 371 enfants, sont mortes en 2019, dont beaucoup de maladies évitables. Les détenus canadiens ont déclaré qu’ils n’avaient reçu aucun équipement pour se protéger du Covid-19.

Les autorités, dirigées par les Kurdes, ont exhorté les pays à rapatrier leurs ressortissants, disant manquer des capacités nécessaires pour les surveiller et s’occuper d’eux correctement. Des centaines de personnes se sont échappées.

Dans une lettre à Human Rights Watch, le ministre canadien des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, a déclaré que les efforts du Canada pour aider ces détenus étaient entravés par l’absence d’un consulat canadien en Syrie et que le Canada estimait que le nord-est de la Syrie était trop dangereux pour que des responsables du gouvernement canadien puissent y accéder.

Pourtant, 20 autres pays au moins, dont plusieurs alliés du Canada comme l’Australie, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis – ou la France encore récemment, le 21 juin – ont rapatrié certains ou plusieurs de leurs ressortissants de ces mêmes camps et prisons, a déclaré Human Rights Watch. L’armée américaine a créé un groupe de travail pour aider les pays à rapatrier les détenus. Le Canada reconnaît qu’il dispose d’une « voie de communication » avec les autorités dirigées par les Kurdes au sujet des détenus et fait partie de la Coalition mondiale contre l’EI, qui a des liens étroits avec les FDS.

Le Canada devrait rapidement multiplier ses communications avec les détenus ainsi qu’avec leurs proches au Canada ou à l’étranger, vérifier la citoyenneté, délivrer des documents de voyage aux citoyens et sécuriser ou coordonner un passage vers les consulats ou le territoire du Canada, a déclaré Human Rights Watch. Dans l’intervalle, le pays devrait travailler avec des groupes humanitaires pour s’assurer que ses citoyens reçoivent l’aide essentielle dont ils ont besoin.

Alors que les projets de tenue des procès par les autorités locales sont au point mort, des Canadiens innocents, notamment de jeunes enfants, risquent d’être détenus de manière indéfinie sans inculpation, tandis que les détenus canadiens qui ont pris part aux crimes graves de l’EI pourraient ne jamais être poursuivis, privant les victimes de leur droit à réparation.

Si les rapatriements peuvent présenter des défis, le Canada a le devoir de prendre toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour aider ses ressortissants confrontés à de graves abus à l’étranger, notamment ceux dont la vie est en danger ou qui risquent la torture ou des traitements inhumains et dégradants, a déclaré Human Rights Watch. Les enfants qui vivaient sous la coupe de l’EI et toutes les femmes victimes de la traite menée par l’EI devraient avant tout être traités comme des victimes.

La détention illimitée sans inculpation des Canadiens équivaut à une culpabilité par association et à une punition collective, interdite par le droit international. Les traitements inhumains ou dégradants dans les camps et les prisons peuvent constituer des actes de torture. Au risque d’en faire des apatrides, tout pays se doit de garantir une nationalité aux enfants, notamment à l’étranger, et ce dès que possible.

« Abandonner ses citoyens à des détentions illimitées et illégales dans des camps et des prisons sales, surpeuplées et dangereuses n’améliore en rien la sécurité du Canada », a déclaré Letta Tayler. « Au contraire, cela peut avoir pour effet d’alimenter le désespoir et la radicalisation violente, et punit des enfants innocents pour des crimes qu’auraient commis leurs parents ».

Citations extraites du rapport

« Que veulent-ils, leur mort ? Cela y ressemble… Ces enfants, où vont-ils trouver de quoi manger, des médicaments, des vitamines ? … Ils ne les aident pas à survivre, mais ils ne me laissent pas les aider non plus ».
 – « Kiran », concernant les efforts qu’elle déploie pour obtenir l’aide d’Affaires mondiales Canada pour les 6 membres de sa famille détenus en Syrie, notamment 3 de ses petits-enfants.

«J’aurais préféré qu’il meure plutôt que de le voir dans ces conditions inimaginables. Il ne comprend même pas pourquoi il est détenu. Je n’ai pas eu la force de lui dire : “c’est parce que le gouvernement canadien ne veut rien avoir à faire avec toi” ».
« Maya », décrivant une visite à un membre de sa famille détenu dans le nord-est de la Syrie

« Si je ne l’avais pas connue, j’aurais pu croire qu’elle avait 2 ans. Elle n’avait vraiment pas beaucoup de cheveux. Elle n’avait pas l’air d’être nourrie correctement [dans la section du camp d’al-Hol réservée au détenus étrangers]. Elle avait l’air de peser 15 kilos ».
- « Karim », après sa visite à sa nièce Amira, une orpheline qui avait alors 4 ans, après son transfert vers un centre pour mineurs non accompagnés du camp d’al-Hol.

«S’il vous plaît, sortez-moi d’ici. Vont-ils nous envoyer à Guantanamo? Vont-ils nous tuer? »
- Le détenu Jack Letts, lors d’un appel à Affaires mondiales Canada.

 « Maman, j’ai été torturé ». 
Le détenu Jack Letts, dans un message audio à sa mère depuis sa prison.

 « [Visite du]docteur : seulement si on est sur le point de mourir et sans doute pas même si c’est le cas. ... Médicaments : peut-être des antibiotiques de base, mais généralement pas. ... Je suis constamment malade. ... Dans le camp, il y a/a eu : la tuberculose, la pneumonie, le choléra, la fièvre typhoïde, l’hépatite, des fièvres du désert, des calculs rénaux… la grippe… des infections cutanées, des morsures de serpent/piqûres d’araignée/de scorpion …Je vous en prie, ramenez-moi au Canada. Laissez-moi être qui je suis, une Canadienne ». 
- Kimberly Polman, Canadienne détenue dans un camp du nord-est de la Syrie.

« Elle n’existe nulle part sur la carte du monde actuellement. C’est juste une enfant apatride, sans pièce d’identité. Nous nous sentons impuissants, car même si [Affaires mondiales Canada] ne peut rien faire, ils ne nous disent pas non plus ce que nous pouvons faire ».
 – « Basma », tante d’une fillette canadienne de 3 ans détenue avec sa mère étrangère.

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