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France : Des enfants livrés à eux-mêmes malgré le Covid-19

Des enfants migrants non accompagnés privés de services essentiels à Marseille et à Gap

Bâtiment du diocèse de Marseille, communément appelé Squat Saint-Just, où vivaient en mars 2020 environ 200 personnes migrantes, dont des familles et environ 100 enfants migrants non accompagnés, Marseille, France, octobre 2019. © 2019 Collectif 59 Saint-Just
(Paris) – L’incapacité des autorités de protection de l’enfance des départements français des Bouches-du-Rhône et des Hautes-Alpes à fournir un hébergement et d’autres services essentiels aux enfants migrants non accompagnés à Marseille et Gap, dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, met ces derniers en situation de risque et affaiblit la réponse des autorités à la pandémie, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Malgré les mesures de confinement et de prévention décidées par le gouvernement français, des enfants migrants non accompagnés à Marseille et Gap continuent de vivre dans des conditions précaires et de promiscuité, sans protection sociale, alors qu’ils devraient avoir accès aux services de protection de l’enfance.

« Le traitement de ces enfants par les autorités était déjà inacceptable avant l’épidémie, il est aujourd’hui non seulement intolérable mais aussi dangereux », selon Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch. « Les autorités devraient d’urgence y remédier et assurer à ces enfants une mise à l’abri et un accès aux services essentiels pour permettre l’application effective des mesures de confinement et de prévention face au coronavirus ».

Dans un tweet publié le 22 mars, Adrien Taquet, Secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, a annoncé : « […] Évalué mineur ou majeur, chaque jeune qui le demande sera mis à l'abri. Les services de l'État et des départements sont mobilisés pour s'en assurer. » Malgré cette annonce importante et bienvenue, une centaine de mineurs non accompagnés à Marseille sont forcés de vivre dans un squat dangereusement surpeuplé tandis qu’un nombre indéterminé d’enfants se débrouillent seuls dans la rue parce que les autorités ne leur donnent pas accès aux services de protection de l’enfance auxquels ils ont droit en vertu du droit français. A Gap, préfecture des Hautes-Alpes, où Human Rights Watch a récemment enquêté sur le traitement défectueux des enfants migrants non-accompagnés par les autorités départementales, 23 mineurs non accompagnés en recours judiciaires contre des décisions négatives quant à leur minorité vivent dans des conditions précaires dans un squat situé dans le centre-ville.

Du fait des mesures de confinement prises par les autorités françaises le 16 mars pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, Human Rights Watch a appris de plusieurs sources que l’ADDAP 13, l’association mandatée par le département des Bouches-du-Rhône pour procéder à l’évaluation de l’âge des enfants migrants non accompagnés, a suspendu son activité de premier accueil ainsi que les entretiens d’évaluation de leur âge. Si rien n’est fait, les enfants migrants devront attendre des semaines, voire des mois, sans hébergement ni accès aux services de base dans l’attente de cette évaluation.

Dans l’attente de leur entretien d’évaluation, ou après avoir été déclarés « majeurs », souvent sur la base de motifs arbitraires, les enfants vivent à la rue, à la gare, ou trouvent refuge au squat Saint-Just, un bâtiment appartenant au diocèse occupé depuis fin 2018, menacé d’expulsion et complètement saturé. Médecins Sans Frontières a ouvert début janvier 2020 trois centres d’hébergement d’urgence, pour éviter que des jeunes se retrouvent à la rue.

Des bénévoles du Collectif 59 Saint-Just ont expliqué à Human Rights Watch que sans le squat, les mineurs non accompagnés et autres migrants n’auraient nulle part où aller et seraient à la rue, mais que le squat était à présent plein et ne pouvait accepter de nouveaux entrants.

Ces conditions de vie précaires signifient que les enfants migrants ne peuvent pas suivre les mesures de prévention et de confinement imposées par le gouvernement face à l’épidémie de coronavirus. Les résidents du squat partagent des chambres avec de nombreuses autres personnes, rendant impossible la mise en œuvre de la distanciation sociale et l’auto-isolement.

Parmi les mineurs non accompagnés dans cette situation, des enfants sont en attente d’une évaluation de leur âge. Dans certains cas, un juge des enfants a émis des ordonnances de placement provisoire (OPP), ordonnant le département de leur fournir un hébergement en attente d’une évaluation de leur âge. Des avocates représentant les enfants migrants non accompagnés et membres de la Commission Mineurs Non Accompagnés du barreau de Marseille ont appelé le département à fournir un hébergement à tous les mineurs non accompagnés quel que soit leur statut. Souvent, les autorités départementales n’exécutent pas ces ordonnances, invoquant le manque de places.

Beaucoup d’enfants au squat Saint-Just sont inscrits à l’école grâce à la ténacité des bénévoles du squat. Mais, suite à la fermeture des écoles, il est impossible pour eux de bénéficier de l’enseignement à distance, le squat étant dépourvu de connexion internet.

Les audiences devant le juge des enfants pour contester les rejets de reconnaissance de la minorité sont repoussées pour une durée indéterminée. En attendant, les autorités départementales devraient s’assurer que tout jeune se déclarant mineur non accompagné soit mis à l’abri dans un hébergement adéquat, quelle que soit l’étape à laquelle il se trouve dans le processus.

« Les autorités locales et nationales doivent mettre la protection des personnes les plus exclues et les plus à risque de contracter la maladie au cœur de sa réponse contre le Covid-19. Les enfants migrants non-accompagnés en situation de grande précarité à Marseille et ailleurs sur le territoire français en font clairement partie », a déclaré Bénédicte Jeannerod.  

Pour plus de détails sur la situation, veuillez lire les informations ci-dessous.

Human Rights Watch s’est entretenu avec 16 enfants migrants non accompagnés en mars 2020, ainsi qu’avec des bénévoles de plusieurs associations leur venant en aide et trois avocates représentant des mineurs non accompagnés. Après les annonces du gouvernement français concernant les restrictions sur les déplacements et autres mesures de confinement pour lutter contre l’épidémie de COVID-19 dans le pays, Human Rights Watch a mené des interviews supplémentaires de bénévoles, travailleurs humanitaires et avocates par téléphone.

Abandonnés par les autorités

Lorsque les jeunes se disant mineurs arrivent à Marseille, ils doivent s’enregistrer à l’ADDAP 13, l’association mandatée par le département des Bouches-du-Rhône pour procéder à l’évaluation de leur âge. Au moment de l’enregistrement, l’association leur indique qu’ils seront appelés lorsqu’il y aura une place d’hébergement pour procéder à leur évaluation. Pour beaucoup, cet appel survient près de quatre ou cinq mois plus tard.

Pendant ce temps d’attente, les enfants restent livrés à eux-mêmes, privés de la mise à l’abri d’urgence et de l’accès aux services de protection de l’enfance prévus par la loi. Pour éviter qu’ils ne dorment à la rue, le Collectif 59 Saint Just occupe depuis décembre 2018 un bâtiment du diocèse, dans lequel quelque 200 migrants logent, principalement des mineurs non accompagnés et des familles.

Près de 500 jeunes sont passés par le squat depuis l’ouverture. « Avant Saint-Just, les jeunes dormaient à la gare. […] Le squat vient pallier le dysfonctionnement des autorités », a expliqué un bénévole à Human Rights Watch lors d’une visite au squat le 2 mars dernier. En janvier 2020, en raison de la saturation de l’accueil au squat, Médecins Sans Frontières a décidé d’ouvrir trois centres d’hébergement d’urgence, initialement pour une période de trois mois, prolongée pour deux mois supplémentaires, jusqu’à fin mai. 60 mineurs non accompagnés y sont actuellement hébergés.

« Aujourd’hui, 200 personnes (femmes avec enfants, quelques couples et une centaine de mineurs) vivent dans une promiscuité qui ne permet pas de mettre en place la distanciation nécessaire. Ni les solidaires, ni les habitants-tes ne disposent de masque de protection et de gel hydro alcoolique. Les points d'eau sont en nombre insuffisant et ne permettent pas aux personnes de se laver les mains souvent », une bénévole du Collectif 59 Saint Just à Marseille a alerté Human Rights Watch.

Les enfants migrants non accompagnés en attente d’évaluation ou de recours devant le juge des enfants sont forcés de vivre dans des conditions extrêmement précaires et de promiscuité qui ne leur permettent pas de respecter les mesures de prévention et de confinement préconisées par le gouvernement face au coronavirus.

Ordonnances du tribunal pour enfants non exécutées par le département des Bouches-du-Rhône

Certains mineurs non accompagnés font l’objet d’une ordonnance aux fins de placement provisoire, délivrée par un juge des enfants et confiant le jeune au département dans l’attente de son évaluation par l’ADDAP 13, mais très souvent, ces ordonnances ne sont pas exécutées, selon les informations recueillies par Human Rights Watch.

Face au refus du département de mettre en œuvre ces ordonnances de placement provisoire, des avocates introduisent régulièrement des référés devant le tribunal administratif de Marseille qui a enjoint à de nombreuses reprises le Conseil départemental d’assurer l’hébergement et la prise en charge des enfants migrants, avec astreinte en cas de retard.

Une avocate a introduit un nouveau référé de ce type le 18 mars, soit deux jours après l’annonce par le gouvernement français des mesures de confinement pour faire face à l’épidémie de COVID-19. Le département des Bouches-du-Rhône a transmis au tribunal administratif un mémoire en défense, que Human Rights Watch a pu consulter, lui demandant de rejeter la requête, disant ne pas disposer de places suffisantes pour procéder à la mise à l’abri : « Dans le cadre de la pandémie actuelle, certains hôtels qui accueillaient des mineurs ont décidé de fermer, ce qui oblige le département à rechercher d’urgence de nouvelles places et accroît ainsi considérablement les difficultés ». Il appelle par ailleurs l’État « à intervenir pour aider le Département à faire face à cette situation et ainsi lui permettre d’accomplir ses obligations légales » et « demande à ce qu’il participe à l’hébergement et à la prise en charge du jeune ». Le Tribunal administratif a de nouveau enjoint le département de prendre en charge le jeune, mais cette fois-ci sans astreinte.

Le 16 mars, des avocats de la Commission Mineurs Non Accompagnés du barreau de Marseille ont adressé un courriel à la Direction générale adjointe de la solidarité du département (DGAS) afin de demander l’hébergement sans délai des mineurs non accompagnés avec ordonnance de placement provisoire non exécutée ou en attente d’évaluation, indiquant que ces enfants sont « contraints de vivre dans des conditions sanitaires les exposant fortement à l’épidémie », mais cette demande est au moment de cette publication restée sans réponse.

Protection inadéquate dans les Hautes-Alpes

Human Rights Watch s’est aussi entretenu par téléphone avec des bénévoles du réseau Hospitalité et d’une membre de l’équipe de Médecins du Monde intervenant à Gap. Toutes font état d’une situation alarmante pour 23 enfants migrants non accompagnés vivant au squat du Césaï dans le centre de Gap, en attente d’un recours devant le juge des enfants. Le Césaï accueille 70 personnes au total.

« Les enfants migrants vivent là du fait de l’incapacité des autorités à leur assurer un hébergement. Les jeunes sont pour la plupart confinés dans des espaces non aérés, qui plus est en ce moment envahis de punaises de lit, les uns sur les autres et le bâtiment ne compte plus qu’un seul point d’eau. Dans le contexte épidémique actuel, la situation est explosive », a expliqué Françoise Martin-Cola, une médecin bénévole du Réseau Hospitalité à Human Rights Watch lors d’un entretien téléphonique le 24 mars 2020.

« La promiscuité dans laquelle vivent ces jeunes les expose et compromet les actions préventives mises en place. Il est impératif qu’ils soient d’urgence mis à l’abri dans des conditions répondant aux mesures requises face à l’épidémie de Covid-19 », selon Carla Melki, une représentante de Médecins du Monde sur place.

L’agence régionale de santé (ARS) et Médecins du Monde ont mis en place une équipe médicale mobile pour les personnes en situation de précarité qui se rend notamment au squat Césaï.

Les associations locales ont appelé les autorités des Hautes-Alpes à prendre en charge et à héberger ces enfants. Dans une lettre que Human Rights Watch a pu consulter, la Préfète a informé les associations que ces enfants en attente de recours ne seraient pas pris en charge : « Quant aux autres jeunes dont vous m’avez adressé les noms, certains n’ont pas été reconnus mineurs après évaluation du Conseil Départemental, tandis que les autres ne sont connus ni de ses services ni des miens et ne peuvent de ce fait être pris en charge. » 

Les départements doivent remplir leurs obligations

Chaque département a la responsabilité d’assurer la mise à l’abri et la prise en charge des mineurs non accompagnés.

Le 21 mars 2020, Adrien Taquet, Secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, a adressé une lettre aux Présidents et Présidentes de Conseils départementaux, dans laquelle il affirme que « priorité doit être donnée à [la] mise à l’abri [des mineurs non accompagnés] quand bien même les conditions de l’évaluation de la minorité sont perturbées ». Il ajoute : « La protection des mineurs, et notamment de ceux se présentant comme mineurs non accompagnés, doit être garantie par des mises à l’abri systématiques. »

Cette préconisation a été réaffirmée dans un tweet du 22 mars : « […] Évalué mineur ou majeur, chaque jeune qui le demande sera mis à l'abri. Les services de l'État et des départements sont mobilisés pour s'en assurer. »

Il est compréhensible que les entretiens d’évaluation de l’âge soient suspendus, en raison de la situation sanitaire actuelle. Mais le département des Bouches-du-Rhône devrait placer les jeunes en attente d’une évaluation dans des hébergements d’urgence adéquats dans lesquels ils puissent être protégés, avoir accès à une hygiène de base, et une connexion à internet leur permettant de poursuivre leur scolarité en ligne comme le propose le ministère de l’Éducation nationale à tous les élèves de France, selon Human Rights Watch.

Pour les jeunes à Marseille et Gap attendant une audience devant le juge des enfants pour contester le rejet de leur minorité et privés de tout hébergement, l’attente sera encore plus longue, les juges ne convoquant plus en audience. Ces jeunes devraient se voir proposer une solution d’hébergement leur permettant de se protéger du coronavirus.

Les conseils départementaux partout en France doivent également garantir le droit des enfants migrants non accompagnés à un hébergement adéquat et leur fournir les soins et la protection dont ils ont besoin, y compris pendant toute période d'évaluation de l’âge ou de recours judiciaires contre des évaluations négatives de l'âge.

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