Skip to main content

Algérie : Répression contre la foi protestante

Des églises ont été mises sous scellés et des croyants ont été roués de coups

Un jeune garçon protestant berbère pose sa main sur une croix en bois, lors d’une une messe célébrée dans une église protestante de la ville de Tizi Ouzou, située à 100 kilomètres à l'est d’Alger, en Algérie, le 2 octobre 2010.  © 2010 Reuters / Zohra Bensemra

(Beyrouth) – En Algérie, la récente fermeture de trois églises protestantes et l’assaut lancé par la police contre les fidèles d’une église sont les derniers exemples en date de la répression qu’endure cette minuscule minorité religieuse dans ce pays, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Le gouvernement devrait immédiatement rouvrir ces églises et s’engager publiquement à protéger la liberté de culte pour toutes les communautés confessionnelles en Algérie.

La police a perquisitionné et fermé le principal lieu de culte protestant du pays, l’église du Plein Évangile à Tizi Ouzou, le 15 octobre 2019. Les policiers s’en sont prisà des fidèles ainsi qu’au pasteur Salah Chalah, président de l’Église protestante d’Algérie, a-t-il indiqué à Human Rights Watch. Le lendemain, la police a posé les scellés sur deux autres églises de la wilaya de Tizi Ouzou. Le 17 octobre, la police a arrêté, puis remis en liberté, des dizaines de manifestants qui protestaient contre la répression devant le gouvernorat de Tizi Ouzou.

« Les autorités algériennes devraient accorder aux minorités religieuses la même liberté de pratiquer leur culte qu’à la majorité musulmane », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Toutes les églises qui ont été fermées de manière arbitraire devraient être autorisées à rouvrir. »

Ces trois fermetures portent à 12 le nombre d’églises protestantes fermées par les autorités depuis novembre 2018, a déclaré l’Église protestante d’Algérie, principalement au motif que l’État n’avait pas délivré d’autorisation pour construire des lieux de culte sur les sites concernés, comme l’exige l’ordonnance 06-03 de 2006, qui fixe « les conditions et règles d’exercice des cultes autres que musulmans ». L’Église protestante d’Algérie a déclaré que les autorités approuvent rarement ses demandes, exposant ainsi ses églises à un risque constant de fermeture.

Les autorités ont également refusé de renouveler le statut d’association juridiquement reconnue depuis 1974 de l’Église protestante d’Algérie. Une loi de 2012 contraint les associations à demander régulièrement la reconduction de ce statut.

Chalah a déclaré avoir reçu une convocation de la police de Tizi Ouzou le 12 octobre 2019. Lorsqu’il s’est présenté au commissariat le lendemain, un officier lui a demandé de signer un ordre du gouverneur de fermer son église, ce qu’il a refusé de faire.

Le 15 octobre, vers 17 heures, peu après les prières de l’après-midi, la police est entrée dans l’église et a contraint une quinzaine de fidèles à en sortir, a déclaré Chalah à Human Rights Watch. D’après son témoignage, il a été blessé à l’aide de matraques, ainsi que plusieurs autres fidèles. Un certificat médical lui a été délivré par l’hôpital Nedir Mohamed de Tizi Ouzou, que Human Rights Watch a examiné, lequel indiquait qu’il souffrait d’un traumatisme à la jambe gauche qui nécessitait huit jours de repos.

L’Église protestante d’Algérie est un réseau qui regroupe 46 églises, a précisé Chalah.

Pour être en conformité avec la loi de 2012 sur les associations, l’Église protestante d’Algérie, au terme d’une une assemblée générale, a transmis ses documents d’enregistrement au ministère de l’Intérieur le 11 août 2014, puis à nouveau en juillet 2015, par courrier, mais n’a jamais obtenu de reçu d’enregistrement, en dépit de plusieurs tentatives d’assurer un suivi, selon Chalah.

Le pasteur Chalah a également déclaré à Human Rights Watch que l’Église protestante d’Algérie avait tenté de respecter l’ordonnance 06-03, qui autorise le culte collectif uniquement dans un bâtiment désigné à cet effet et avec l’autorisation préalable de la Commission nationale pour la pratique des religions, qui dépend du ministère des Affaires religieuses.

Chalah a expliqué qu’il avait envoyé une demande en octobre 2008 pour se servir d’un bâtiment appartenant à la communauté protestante de Tizi Ouzou et renouvelé sa demande à plusieurs reprises sans recevoir de réponse. Il a déclaré que des dizaines d’autres églises avaient demandé une autorisation à ce ministère, en vain.

Human Rights Watch a examiné l’ordre de scellé se trouvant sur la porte de l’église Full Gospel. Daté du 9 octobre 2019, il indique que les autorités ont décidé de fermer l’église jusqu’à ce que le pasteur Chalah régularise son statut, conformément à l’ordonnance 06-03 et à la loi sur les associations.

En juin 2018, le ministre des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, a nié la persécution des protestants dans le pays. À l’en croire, les églises seraient fermées à cause de leur « non-conformité avec les lois. La Constitution algérienne, qui garantit le libre exercice de la religion, demande aux peuples qui jouissent de cette liberté de respecter en retour les lois de la République. »

En vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que l’Algérie a ratifié, les gouvernements doivent garantir le droit la liberté de pensée, de conscience et de religion de toutes les personnes relevant de leur juridiction, et en particulier aux minorités religieuses. Ce droit comprend la liberté d’exercer la religion ou la conviction de son choix en public ou en privé, seul ou en groupe.

La constitution algérienne prévoit la liberté de religion, mais stipule que l’exercice de cette liberté doit se faire dans le respect de la loi. L’ordonnance 06-03 du 28 février 2006 restreint la liberté de religion des non-musulmans et est discriminatoire dans la mesure où leur sont imposées des règles restrictives qui ne s’appliquent pas aux musulmans. « L’affectation d’un édifice à l’exercice du culte est soumise à l’avis préalable de la commission nationale de l’exercice des cultes », précise l’article 5. En outre, l’exercice collectif du culte ne peut être organisé que par des associations à caractère religieux dont la création, l’agrément et le fonctionnement respectent la législation en vigueur.

En vertu de l’ordonnance 06-03, le prosélytisme pratiqué par des non-musulmans est considéré comme un délit pénal. Il est puni d’une amende d’un montant maximal d’un million de dinars (soit environ 8 347 dollars US) et d’une peine maximale de cinq ans de prison pour « quiconque incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion, ou en utilisant à cette fin des établissements d’enseignement, d’éducation, de santé, à caractère social ou culturel, ou institutions de formation, ou tout autre établissement, ou tout moyen financier ». En imposant des interdictions totales de se livrer au prosélytisme pour les seuls non musulmans, l’ordonnance 06-03 porte atteinte à la liberté des individus « d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix », prévue par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

L’ordonnance et la loi sur les associations ont été utilisées pour persécuter d’autres minorités religieuses en Algérie. Des dizaines d’ahmadis, une communauté qui s’identifie comme musulmane, sont poursuivis en justice depuis juin 2016 et certains ont fait jusqu’à six mois de prison. Le code pénal algérien punit également « quiconque offense le prophète » et « dénigre le dogme ou les préceptes de l’Islam ». Les autorités ont recouru à ces dispositions le 6 septembre 2016 pour condamner Slimane Bouhafs, un chrétien converti, à trois ans de prison. Il a été remis en liberté en avril 2018.

« Les autorités algériennes peuvent adopter des lois pour réglementer l’exercice des cultes, mais pas si elles sont manifestement discriminatoires et appliquées de manière à aggraver cette discrimination », a conclu Sarah Leah Whitson.

--------------------

Dans les médias

FranceTVInfo   La Croix (1)   La Croix (2)

Tweets

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.