(Beyrouth) – Une cour d’appel algérienne a condamné un homme à trois ans de prison pour des publications sur Facebook portant « atteinte à l’Islam ». Slimane Bouhafs, un Chrétien converti, est détenu à la prison de Bel Air dans la province de Sétif depuis le 1er août. Il avait été condamné en première instance à cinq ans de prison, le 7 août.
Les autorités algériennes devraient libérer Slimane Bouhafs immédiatement, a déclaré Human Rights Watch. Les procureurs algériens devraient cesser de poursuivre des gens pour avoir exprimé pacifiquement des opinions religieuses, politiques ou autres.
« Les tribunaux algériens n’ont pas le droit de juger les convictions religieuses et les opinions des gens, » a affirmé Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient etAfrique du Nord. « L’Algérie devrait réviser de toute urgence son code pénal pour cesser de sanctionner pénalement la libre expression pacifique, y compris les opinions qui peuvent insulter la religion. »
Slimane Bouhafs, 49 ans, a été arrêté par la gendarmerie le 31 juillet à Bouslam, une commune de la province de Sétif. Sa fille, Lyly Bouhafs, a raconté à Human Rights Watch que la gendarmerie lui avait téléphoné ce jour-là et lui avait ordonné de se présenter au poste de Bouslam. Ils l’ont alors placé en état d’arrestation et l’ont emmené chez lui, où une fouille a été menée et son ordinateur saisi. Son avocat Salah Dabouz a affirmé que la gendarmerie avait transféré Slimane Bouhafs le soir même au Tribunal de Première Instance de Beni Ouarthlane, dans la province de Sétif.
Un procureur de ce tribunal l’a inculpé aux termes de l’article 144bis du code pénal, qui prévoit une peine de prison de trois à cinq ans et une amende pouvant aller jusqu’à 100,000 dinars (815 euros) pour quiconque « offense le prophète » et « dénigre le dogme ou les préceptes de l’Islam ». Selon Salah Dabouz, Slimane Bouhafs a été jugé au cours d’une unique audience, tenue tard le soir, à l’issue de laquelle il a été condamné à cinq ans de prison. La cour d’appel de Sétif a rejugé Slimane Bouhafs le 30 août, et a annoncé son verdict le 6 septembre.
Dans la version écrite du jugement, consultée par Human Rights Watch, le juge de première instance indique qu’en mai 2016, la gendarmerie de Bouslam– dans le cadre de sa surveillance de Facebook – est tombée sur la page de Slimane Bouhafs, sur laquelle « il avait partagé quatre versets coraniques déformés, photos offensantes pour le Prophète, ainsi que des articles dénigrant la religion islamique ». La brigade spécialisée dans la criminalité électronique du commandement de gendarmerie d’Alger a alors ouvert une enquête sur cette affaire.
Selon le jugement, le tribunal a condamné Slimane Bouhafs, qui affirme s’être converti au christianisme en 1999, sur la base de publications Facebook datées de mai juin 2016. Ces dernières incluent « une caricature représentant le Prophète Mohamed en terroriste », et d’autres billets « calomniant l’islam en la qualifiant de religion de l’intolérance et de la haine ».
La page Facebook de Slimane Bouhafs est suivie par 1 718 abonnés. Dans sa dernière publication, datée du 18 juin, il partage une lettre ouverte adressée au Secrétaire Général des Nations Unies, et dans laquelle il dénonce l’ « islamisation de la société algérienne » et la répression d’État contre les Ahmadis et les Chrétiens. Le 14 mai, il avait partagé un poème publié sur une page Facebook et intitulé « 1 000 000 d’Amazighs pour dire non à l’islam et à son colonialisme », rédigé dans le style du Coran mais avec des contenus sexuels à la place des véritables versets.
Il est vraisemblable que les droits à un procès équitable de Slimane Bouhafs n’ont pas été respectés pendant la procédure. Dans la version écrite du jugement, le juge affirme avoir rappelé à l’accusé au cours de l’audience initiale, le 31 juillet, son droit de faire appel à un avocat et de demander un report du procès, mais que Bouhafs avait renoncé à ces droits et « demandé catégoriquement à être jugé immédiatement ». Pourtant, Salah Dabouz a déclaré à Human Rights Watch que lorsqu’il a rendu visite à son client à la prison de Bel Air le 8 août, Slimane Bouhafs a nié avoir ainsi renoncé à ses droits, et a affirmé que le juge ne l’avait informé ni de son droit à avoir un avocat ni de son droit à demander le report du procès.
Aux termes de l’article 3378 du code de procédure pénale d’Algérie, le juge saisi a l’obligation d’informer la personne de son droit de demander du temps pour préparer sa défense. Si l’accusé exerce ce droit, le tribunal doit lui accorder un délai d’au moins trois jours.
L’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel l’Algérie est un État partie, protège la liberté d’expression et d’opinion. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, l’organe d’experts qui interprète le PIDCP, a souligné en 2011 que « l’interdiction de démonstrations de manque de respect pour une religion ou tout autre système de croyance, y compris les lois anti-blasphème, n’est pas compatible avec le Pacte ».
Selon les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l'assistance judiciaire en Afrique, correspondant au droit international applicable en Algérie, toute personne accusée d’un crime a le droit de choisir librement un avocat pour la défendre, de communiquer en privé avec son avocat, et d’avoir le temps nécessaire pour préparer une défense adaptée à la nature de la procédure.