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Nicaragua : Des sanctions ciblées sont requises pour mettre fin aux abus

Des actes de torture restent impunis et les poursuites contre des manifestants sont entachées d'irrégularités

(Washington, le 19 juin 2019) – Les gouvernements de la région des Amériques et des pays européens devraient infliger des sanctions ciblées aux hautes autorités du Nicaragua impliquées dans des violations flagrantes des droits humains et explorer les moyens de réclamer que ce pays amène ces responsables à répondre de leurs actes devant la justice, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui.

Ce rapport de 98 pages, intitulé « Crackdown in Nicaragua: Torture, Ill-Treatment, and Prosecutions of Protesters and Opponents » (« Répression au Nicaragua : Tortures, mauvais traitements et poursuites pénales de manifestants et d'opposants politiques »), documente ce qu'il est advenu d'un grand nombre des centaines de personnes arrêtées par la police ou enlevées par des groupes armés pro-gouvernementaux après le déclenchement de la répression contre les contestataires en avril 2018. Beaucoup ont été soumises à des abus qui, dans certains cas, équivalaient à de la torture. Certaines, qui avaient été blessées, se seraient vu refuser des soins médicaux dans les établissements publics de santé, et des médecins qui ont prodigué des soins à certaines de ces personnes ont affirmé avoir fait l'objet de représailles par la suite. Certaines des personnes arrêtées ont été poursuivies en justice dans le cadre de procédures entachées de graves irrégularités.

« Le président Daniel Ortega n'a démontré aucune réelle volonté de rendre justice aux victimes de la répression brutale exercée par la Police nationale et par des bandes d'individus armés lors des manifestations de 2018 », a déclaré José Miguel Vivanco, directeur de la division Amériques de Human Rights Watch. « La remise en liberté récente de dizaines de personnes qui étaient détenues dans le contexte des manifestations, dont beaucoup sont maintenant assignées à résidence et risquent toujours des poursuites judiciaires, ne peut faire oublier le fait que pas un seul policier ne fait l'objet de la moindre enquête criminelle pour les passages à tabac, les viols, les arrachages d'ongles, les manœuvres d'étouffement et les autres atrocités qui ont été commises. »

Le rapport est fondé sur des recherches effectuées au Nicaragua et au Costa Rica et sur un examen approfondi de sources officielles, notamment de documents judiciaires et de déclarations de responsables gouvernementaux, ainsi que d'éléments de preuve corroborants tels que des photos, des vidéos ou des bulletins médicaux. Human Rights Watch s'est entretenu avec 75 personnes, dont des victimes et des membres de leurs familles, des témoins, des avocats, des professionnels de santé et des représentants d'organisations internationales. Certains entretiens ont été menés par téléphone ou par messagerie avant et après le séjour dans le pays de la mission d'information.

Human Rights Watch a constaté que la police et des groupes armés pro-gouvernementaux avaient fait subir aux personnes détenues de graves sévices qui, dans certains cas, s'apparentaient à des tortures. Ces abus ont consisté en des passages à tabac de manifestants, lors de leur arrestation et de leur détention, alors qu'on leur refusait parfois une assistance médicale urgente ; en des viols de détenus, y compris à l'aide de tubes métalliques et d'armes à feu ; des simulacres de noyade ; des électrochocs ; des brûlures à l'acide ; des simulacres d'exécution ; des mises à nu forcées ; et des arrachages d'ongles. Dans certains cas, des détenus ont été contraints par la force à faire des aveux auto-incriminants.

En avril 2018, de très nombreux Nicaraguayens sont descendus dans les rues pour protester contre le gouvernement Ortega. On leur a répondu par la violence. La répression brutale par la Police nationale et des groupes pro-gouvernementaux lourdement armés a fait plus de 300 morts et plus de 2 000 blessés. La Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIADH) estime que près de 800 personnes ont été détenues depuis le début des manifestations.

En mars 2019, le gouvernement nicaraguayen a accepté de remettre en liberté dans les 90 jours les personnes qui étaient détenues dans le contexte des manifestations anti-gouvernementales et d'abandonner les poursuites à leur encontre, dans un effort visant à faire redémarrer les discussions avec l'opposition, qui étaient dans l'impasse, et à convaincre la communauté internationale de lever les sanctions. À la date du 10 juin, 392 personnes avaient été libérées, mais nombre d'entre elles ont été assignées à résidence et les chefs d'accusation retenus contre elles n'ont pas été abandonnés. D'autres ont bénéficié d'une loi d'amnistie adoptée en juin.

Le 8 juin, l'Assemblée nationale du Nicaragua a adopté une loi d'amnistie pour les crimes commis dans le contexte de manifestations anti-gouvernementales. Cette loi affirme que les crimes « réglementés dans les traités internationaux ratifiés par le Nicaragua » seront exclus du champ des amnisties. Cependant, compte tenu du fait que la justice n'est pas indépendante dans ce pays, il existe un risque sérieux que cette loi serve à consolider l'impunité des officiers responsables de graves abus, a déclaré Human Rights Watch.

Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) a affirmé, sur la base des informations disponibles, qu'une seule condamnation avait été prononcée contre un membre d'un groupe armé pro-gouvernemental et qu'aucune enquête n'avait été ouverte contre les membres des forces de sécurité impliqués dans les abus. Human Rights Watch n'a pas été en mesure de confirmer si le meurtre qui a valu cette condamnation a été commis lors d'une manifestation. Mais au lieu de leur faire rendre des comptes, le président Ortega a accordé des promotions à certains cadres de haut rang qui portent une responsabilité dans les abus commis.

Une liste des responsables gouvernementaux de haut rang qui portent une lourde responsabilité dans de graves violations des droits humains et devraient faire l'objet de sanctions ciblées, comme une interdiction de voyager à l'étranger et un gel de leurs avoirs, devrait inclure :

  • Le président Daniel Ortega, qui est le chef suprême de la Police nationale et jouit de pouvoirs très étendus, y compris de « commander » la police au gré de sa volonté et d'en limoger les chefs quand ils désobéissent à ses ordres ;
  • La générale (à la retraite) Aminta Granera, ancienne chef de la Police nationale jusqu'à son remplacement par le général Francisco Díaz en septembre 2018 ;
  • Le général Francisco Díaz, chef de la Police nationale, qui est réputé avoir exercé une grande influence sur cette force, tout d'abord en tant que directeur adjoint, puis dans ses attributions actuelles ;
  • Le général Ramon Avellán, chef adjoint de la Police nationale, officier le plus élevé en grade de cette force à Masaya, où la police, sous sa direction et secondée par des bandes armées pro-gouvernementales, a brutalement réprimé des manifestants ;
  • Le général Jaime Vanegas, inspecteur général de la Police nationale, qui, selon la loi du Nicaragua, est censé enquêter sur les violations présumées des droits humains par des fonctionnaires de police et sanctionner les responsables ;
  • Le général Luis Pérez Olivas, directeur de la prison d'El Chipote, l'un des principaux lieux où les autorités ont commis des abus flagrants à l'encontre de manifestants anti-gouvernementaux ; et
  • Le général Justo Pastor Urbina, chef du Département des opérations spéciales (DOEP, sous son acronyme en espagnol), qui a joué un « rôle central » dans la répression à travers le pays, selon le Groupe d'experts indépendants interdisciplinaire de la CIADH.

De nombreux détenus ont été poursuivis en justice, dans certains cas pour de graves crimes violents, pour leur participation à des manifestations anti-gouvernementales ou pour leur rôle dans des mouvements sociaux qui contestaient le gouvernement, même avant la répression. Ces poursuites ont occasionné de graves violations des procédures régulières et d'autres droits fondamentaux, notamment des détentions au secret et des procès à huis-clos.

Le gouvernement nicaraguayen a également perquisitionné les bureaux d'organes de presse indépendants, a inculpé pénalement deux journalistes, a annulé l'accréditation légale de neuf organisations non gouvernementales, et expulsé du pays des journalistes étrangers et des observateurs internationaux des droits humains.

Les affaires que Human Rights Watch a documentées sont cohérentes avec une tendance à la commission d'abus systématiques contre des contestataires anti-gouvernementaux et des opposants politiques qui a été signalée par la CIADH et le HCDH. Environ 62 000 Nicaraguayens ont fui leur pays depuis avril 2018, selon le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

« Le seul moyen de réduire les abus généralisés, de permettre aux Nicaraguayens de rentrer d'exil, de mettre fin à la censure et de restaurer l'indépendance du système judiciaire passe par l'application d'une pression soutenue par la communauté internationale qui devrait inclure des sanctions ciblées et une forte insistance pour que les responsables d'abus soient amenés à rendre des comptes », a affirmé José Miguel Vivanco.

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Dans les médias

L'Obs /AFP

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