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Burundi : Il faut prolonger l’enquête de l’ONU

Le pays connaît de nouveaux abus et un climat de peur depuis le référendum

Françoise Hampson (à gauche), membre de la Commission d’enquête de l’ONU sur le Burundi, et Doudou Diène (au centre), président, donnent une conférence de presse pour présenter un rapport sur les violations des droits humains dans le pays le 5 septembre 2018 à Genève. © 2018 Getty Images

(Genève) – Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies devrait proroger le mandat de la Commission d’enquête sur le Burundi lors de sa session actuellement en cours à Genève. Cette commission est la plus solide – et l’une des rares – sources d’informations publiques sur les graves violations des droits humains qui sont commises dans le pays, parmi lesquelles des meurtres, des passages à tabac, des violences sexuelles, des emprisonnements arbitraires et des actes d’intimidation.

Le Burundi est plongé dans une crise politique, des droits humains et humanitaire depuis avril 2015, lorsque le président Pierre Nkurunziza a décidé de briguer un troisième mandat dans des conditions controversées. Un référendum constitutionnel s’est tenu le 17 mai 2018 dans un contexte d’exactions généralisées commises par les autorités locales, la police, ainsi que par des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure – sans la moindre conséquence pour leurs auteurs. La période post-référendum a été marquée par des abus commis contre les Burundais qui avaient voté contre le changement constitutionnel ou qui étaient soupçonnés d’avoir recommandé à d’autres de le faire, selon de nouvelles recherches effectuées par Human Rights Watch lors d’entretiens avec des personnes qui ont fui le pays pour échapper à ces abus.

« La situation au Burundi en matière de droits humains ne s’améliorera pas tant que justice n’aura pas été faite pour les crimes passés et actuels », a déclaré Lewis Mudge, chercheur senior sur l’Afrique à Human Rights Watch. « Compte tenu de la gravité des abus commis et de leur persistance, il est essentiel que les investigations indépendantes de la Commission d’enquête se poursuivent, afin de recueillir les preuves des crimes commis par toutes les parties. »

La Commission d’enquête sur le Burundi a été créée en septembre 2016 et son mandat a été prorogé en septembre 2017. Dans son second rapport, daté du 8 août, la commission a constaté « la persistance en 2017 et en 2018 des violations graves des droits de l’homme – dont certaines sont constitutives de crimes contre l’humanité – qu’elle avait documentées durant son premier mandat » et que la plupart des victimes étaient des opposants ou des personnes perçues comme étant des opposants du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD). La commission a également mis un accent particulier sur le « rôle croissant » joué par les Imbonerakure et sur la responsabilité du gouvernement burundais dans les abus qu’ils commettaient.

Une version complète du rapport a été rendue publique le 12 septembre. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU doit voter le 27 ou le 28 septembre sur une résolution prévoyant la prorogation du mandat de la Commission.

Dans un rapport publié en mai, Human Rights Watch a documenté que des membres des services de sécurité de l’État et des Imbonerakure avaient tué, violé, enlevé, passé à tabac et intimidé des personnes soupçonnées d’être opposées au référendum organisé plus tôt dans le mois. En septembre, Human Rights Watch s’est entretenu avec 20 Burundais exilés en Ouganda, qui ont fui leur pays juste avant ou juste après le référendum du mois de mai. Ils ont témoigné de la persistance des passages à tabac, menaces et intimidations permanentes à l’encontre de tous ceux qui ont voté contre la modification de la constitution, et des personnes soupçonnées d’avoir donné la consigne de voter « non » à d’autres gens.

« J’ai dû fuir après le référendum parce que j’étais membre d’un parti d’opposition », a déclaré un enseignant originaire de la province de Rutana. « Après le référendum, des membres des Imbonerakure et les responsables locaux m’ont approché et m’ont dit : ‘Nous savons que tu as donné la consigne de voter contre le référendum. Maintenant, tu vas voir.’ »

La police a arrêté cet enseignant le 10 juin. « Dès que je suis arrivé au poste de police, les policiers ont commencé à me frapper », a-t-il dit. « Ils m’ont jeté au sol et se sont mis à me rouer de coups de pied et à crier : ‘Tu es des FNL [Forces nationales de libération, un parti d’opposition] ! Tu as défié le CNDD-FDD et maintenant, que cela te plaise ou non, nous allons te montrer qui est le plus fort. » Après avoir été relâché, puis de nouveau arrêté et passé à tabac, cet enseignant a fui le pays fin juillet.

Les services de sécurité et les Imbonerakure sont devenus plus discrets, cherchant à masquer beaucoup de leurs abus, mais ils demeurent aussi violents. De ce fait, il est difficile de mesurer l’exacte magnitude des abus.

Le gouvernement burundais nie que des agents de l’État soient responsables de violations des droits humains, et le CNDD-FDD a également rejeté catégoriquement les allégations selon lesquelles les Imbonerakure ont commis des abus.

Le dernier rapport de la commission confirme clairement que le parti au pouvoir exerce une forte influence sur le système judiciaire national, lequel n’a pas administré une justice crédible en ce qui concerne ces crimes. Le gouvernement a coopté la Commission nationale indépendante des droits de l’homme, un organe national de surveillance qui, en conséquence de la perte de son indépendance, a été rétrogradé en février par la sous-commission des accréditations de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme.

Le mépris flagrant du gouvernement pour les droits humains est aussi illustré par son refus de coopérer avec les organes et les mécanismes de supervision et d’enquête sur les questions de droits humains. En juillet 2016, une délégation burundaise a refusé de répondre à des questions du Comité de l’ONU contre la torture. Depuis 2016, le gouvernement a refusé de partager des informations ou de coopérer avec la Commission d’enquête sur le Burundi – menaçant à deux reprises d’engager des poursuites contre ses membres. En 2016, le gouvernement a empêché des observateurs de l’Union africaine d’inspecter de manière indépendante la situation en matière de droits humains au Burundi. Et en 2018, le Burundi a révoqué les visas d’entrée dans le pays d’experts mandatés par le Conseil des droits de l’homme, alors même qu’il avait soutenu la résolution prévoyant leur visite.

Néanmoins, la Commission d’enquête a continué son important travail d’investigation et de collecte de preuves. Son travail pourrait être crucial pour l’établissement d’une responsabilité de commandement concernant de graves crimes, y compris des crimes contre l’humanité, et pourrait servir de base à l’élaboration d’une stratégie en matière de poursuites, a déclaré Human Rights Watch.

En octobre 2017, la Cour pénale internationale a autorisé l’ouverture d’une enquête sur les crimes commis au Burundi depuis avril 2015. Un examen pré­liminaire de la situation a commencé en avril 2016. Le Burundi s’est retiré du nombre des États parties à la Cour le 27 octobre 2017, mais la Cour est toujours compétente en ce qui concerne les crimes commis au Burundi avant cette date.

Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait s’appuyer sur les constatations de la Commission d’enquête et adopter des sanctions ciblées à l’encontre des individus les plus responsables des graves crimes commis au Burundi.

« Le dédain des autorités burundaises pour la Commission d’enquête ne devrait pas dissuader le Conseil des droits de l’homme de s’assurer que le travail de la commission se poursuive », a affirmé Lewis Mudge. « Les individus qui sont responsables des graves crimes qui continuent d’être commis au Burundi doivent savoir que le monde veille et qu’un jour viendra où ils seront amenés à rendre des comptes. »

Tourmente au Burundi

Si l’actuel mandat de Nkurunziza, le troisième, a été controversé, il est clair que l’ancienne constitution n’en autorisait pas un quatrième. Le président et son parti ont organisé un référendum afin d’amender la constitution, lors duquel le « oui » l’a emporté. Les amendements ont allongé, de cinq à sept ans, la durée du mandat présidentiel, lequel devient renouvelable une seule fois. Toutefois, le décompte des mandats déjà effectués a été ramené à zéro, de sorte que Nkurunziza peut briguer deux nouveaux mandats de sept ans, un en 2020 et un autre en 2027, ce qui lui donnerait la possibilité de rester au pouvoir jusqu’en 2034.

Les violations des droits humains et les recours à des tactiques abusives par les agents de l’État et du parti au pouvoir ont augmenté à la suite d’une tentative manquée de coup d’État en mai 2015, peu après que Nkurunziza eut annoncé sa décision controversée de briguer un troisième mandat.

Depuis lors, les services de sécurité de l’État et des membres des Imbonerakure ont tué, torturé, violé, arrêté, passé à tabac et intimidé des membres des partis politiques d’opposition et d’autres personnes perçues comme étant opposées au gouvernement.

Nouveaux abus commis après le référendum

En septembre, Human Rights Watch a réalisé des entretiens avec 20 citoyens burundais qui ont fui le pays juste avant ou après le référendum du 17 mai. Ils ont tous décrit un climat de peur, qui les a poussés à quitter le Burundi, et ont affirmé qu’ils étaient menacés, intimidés, passés à tabac, arrêtés ou risquaient d’autres formes de représailles parce qu’ils avaient ou étaient soupçonnés d’avoir voté « non » au référendum, ou avaient donné consigne à d’autres de voter ainsi.

Un agriculteur de la province de Rumonge, arrivé en Ouganda le 11 septembre, a affirmé qu’il avait reçu des messages des Imbonerakure à partir du 17 mai, lui disant qu’il allait être tué. « Cette question de savoir qui a voté ‘oui’ et qui a voté ‘non’ aux changements constitutionnels a mis en évidence où les gens se situent vis-à-vis du gouvernement », a-t-il dit. « Si vous n’êtes pas pour le CNDD-FDD, vous êtes vraiment en danger. J’ai voté ‘non’ [et], d’une façon ou d’une autre, les Imbonerakure l’ont su. J’ai reçu un message d’un ami qui est proche des Imbonerakure, me disant : ‘Ils savent que tu as voté ‘non’ et ils vont te tuer parce que tu n’es pas avec eux. Tu dois fuir tout de suite.’ »

Un cultivateur âgé de 37 ans, qui a fui la province de Kirundo en juillet, a déclaré :

Au lendemain du référendum, les Imbonerakure se sont présentés à mon domicile et m’ont dit : « Comment peux-tu dire aux gens de voter ‘non’ alors que ce pays a le CNDD-FDD, un parti qui travaille si dur ? » Je leur ai dit : « Les gens peuvent voter comme ils veulent. » Un Imbonerakure a dit : « OK, tu t’es opposé au CNDD-FDD et maintenant tu vas en voir les conséquences. » Pendant les deux mois suivants, j’ai été menacé à de nombreuses reprises par les Imbonerakure. Puis, en juillet, j’ai été arrêté par des agents des services de renseignement. Ils m’ont enfermé et m’ont dit : « Pourquoi n’avoues-tu pas que tu es contre le pays et que tu as encouragé des gens à voter contre nous ? » Je me suis enfui à la première occasion. 

Des personnes qui ont refusé de participer à des campagnes du CNDD-FDD en faveur du référendum ont été pointées du doigt après le vote. Un étudiant de 27 ans de Bujumbura, la capitale, a déclaré : « Quand j’ai refusé d’aider le CNDD-FDD à donner aux gens l’instruction de voter ‘oui,’ les Imbonerakure ont commencé à porter leur attention sur moi ». Après le vote, un membre des Imbonerakure a dit à cet étudiant : « Nous t’avons demandé de nous aider et tu as refusé. Maintenant nous savons que tu es un ibipinga [un traître, en langue kirundi], et nous allons nous occuper de toi. » L’étudiant s’est enfui du Burundi le 19 mai.

Deux réfugiés de fraîche date ont affirmé que les personnes au Burundi qui ont de la famille hors du pays étaient particulièrement visées. « Ma famille s’était déjà enfuie au Rwanda et je recevais des menaces des Imbonerakure », a déclaré un homme d’affaires de Bujumbura âgé de 54 ans. « Après le référendum, les Imbonerakure pouvaient faire ce qu’ils voulaient. Vous ne pouvez pas avoir une opinion qui soit contraire au CNDD-FDD. J’ai été menacé et je n’ai pas eu le choix. Les Imbonerakure ont plus de pouvoir que la police. » Il a fui le pays fin mai.

Deux hommes qui ont pris la fuite en juillet ont affirmé que les membres des Imbonerakure savaient qui avait voté non. L’un d’eux, un homme de 43 ans, a déclaré que des membres des Imbonerakure l’avaient approché juste après qu’il eut voté, dans la province de Karusi :

Un Imbonerakure est venu vers moi et m’a dit : « Pourquoi as-tu voté ‘non’ ? » J’ai dit : « Comment savez-vous que j’ai voté ‘non’ ? » Il a répondu qu’il m’avait fait surveiller par des gens. J’ai dit : « Ce qui est fait est fait ; J’ai fait mon choix. » L’Imbonerakure m’a alors dit : « Tu as fait une erreur. Maintenant, nous savons que tu es vraiment contre nous. Maintenant, tu vas voir comment tu vas payer pour ce que tu as fait. »

J’ai alors été très prudent dans mes mouvements. Mais fin mai, un responsable local m’a appelé et m’a dit : « Tu penses vraiment que le CNDD-FDD peut perdre ? Si tu ne veux pas que le CNDD-FDD gagne, alors tu n’as qu’à disparaître. » Il m’a dit que j’étais considéré comme un ennemi de l’État parce que j’avais voté ‘non.’ Je suis rentré chez moi et j’ai préparé un peu d’argent pour fuir le pays. Au Burundi, si vous n’acceptez pas le CNDD-FDD, vous avez vraiment des problèmes.

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