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Les enquêteurs de l’ONU ont confirmé l’existence d’au moins 42 fosses communes dans la région du Grand Kasaï depuis août 2016. © RFI
 
Cette tribune est co-signée par Jason Stearns, directeur du Groupe d’étude sur le Congo, basé à l’Université de New York, et un ancien coordinateur du Groupe d’experts des Nations Unies sur la RD Congo. 
 
À la mi-mars, des hommes armés ont emmené Michael J. Sharp et Zaida Catalán à travers la savane dans la région du Kasaï, en République démocratique du Congo, leur ont enjoint de s’asseoir et les ont abattus. Une vidéo à basse résolution a capturé les exécutions. M. Sharp, un Américain, et Mme Catalán, une Suédoise, étaient des moniteurs de sanctions des Nations Unies, chargés de découvrir qui était responsable d’abus des droits humains et de soutenir des groupes armés en République démocratique du Congo.
 
António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a promis que son organisation ferait « tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer que justice soit rendue ». Mais plus de trois mois ont passé, et ses paroles commencent à sonner creux. Ni les Nations Unies, ni les gouvernements suédois ou américain ont fait assez pour faire la lumière sur qui a tué Mme Catalán et M. Sharp, qui a donné les ordres, et pour quelle raison. Les quatre Congolais qui les accompagnaient – leur interprète Betu Tshintela ; un chauffeur de moto, Isaac Kabuayi ; et deux chauffeurs de moto non identifiés – sont toujours portés disparus.

Zaida Catalán Instagram/Zaida Catalán

Les meurtres des enquêteurs des Nations Unies était exceptionnels à plusieurs niveaux. D’abord, le niveau personnel : tous deux étaient des individus jeunes et remarquables. M. Sharp n’était âgé que de 34 ans, mais il était le coordinateur du groupe hautement estimé et avait passé trois années à sillonner l’est de la RD Congo, persuadant des rebelles de déposer les armes. Mme Catalán, âgée de 36 ans, était une activiste des droits humains et de l’environnement passionnée qui avait été une responsable des jeunes du parti Vert de Suède et avait passé des années à œuvrer pour les droits humains et les réformes du secteur de la sécurité en Afghanistan, en Palestine, et dans l’est de la RD Congo.

Puis, il y avait la portée historique. Ils étaient les premiers enquêteurs de l’ONU chargés de surveiller des sanctions à avoir été tués dans l’exercice de leurs fonctions depuis que l’ONU imposa ses premières sanctions contre la Rhodésie du Sud (aujourd’hui le Zimbabwe) en 1966. Depuis lors, des centaines de moniteurs de sanctions ont été déployés pour rendre compte de situations aussi diverses que les Talibans afghans, le programme nucléaire irakien ou encore les rebelles en Sierra Leone.

Enfin, et tragiquement, leur mort est un rappel du peu d’attention accordée au massacre de centaines de Congolais dans la région du Kasaï depuis août dernier, ce sur quoi M. Sharp et Mme Catalán enquêtaient. Les observateurs des droits humains ont découvert au moins 42 fosses communes dans la région, dont la majorité seraient l’œuvre de l’armée congolaise. Au cours des dix derniers mois, environ 1,3 million de personnes ont été déplacées par la violence qui sévit dans la région – plus que partout ailleurs dans le monde au cours de la même période. Plus de 600 écoles ont été attaquées ou détruites, et plus de 1,5 million d'enfants sont affectés par les violences. Mais presque rien n’a été fait pour rendre justice aux victimes.

Plus l’ONU attend, plus l’enquête sera difficile, les éléments de preuve clés et les témoins pouvant disparaître. Des rapports circulent déjà faisant état de militaires creusant là où les fosses communes sont situées pour dissimuler les traces de leurs crimes.

Lors d’une réunion du Conseil des droits de l’homme en mars, le haut-commissaire aux droits de l’homme a appelé à une enquête sur la situation dans la région du Kasaï. Des pays européens ont convenu de la nécessité d’une telle enquête, mais ces efforts ont été entravés par le gouvernement congolais et plusieurs pays africains, qui ont affirmé qu’il fallait accorder une chance au système judiciaire congolais pour mener sa propre enquête sur les violences.

Michael Sharp © John Sharp

Plus de trois mois plus tard, le gouvernement congolais a échoué à produire une enquête crédible, et le bureau des Nations Unies aux droits de l’homme en RD Congo n’a pas bénéficié de l’accès ou de la coopération nécessaires pour apporter un soutien significatif. Le haut-commissaire a réitéré son appel à une enquête internationale la semaine passée, et les membres du Conseil ont une nouvelle occasion pour établir une enquête pendant la session en cours.

Quant à M. Sharp et Mme Catalán, le secrétaire général a mis en place une commission d’enquête (board of inquiry), mais celle-ci cherche principalement à savoir si les protocoles de sécurité de l’ONU étaient appropriés et suivis. Elle n’a ni le mandat ni les moyens pour mener des enquêtes sur qui était responsable des meurtres. Les États-Unis et la Suède ont lancé leurs propres enquêtes, mais elles devraient très probablement dépendre de la coopération du gouvernement congolais pour interroger des témoins, obtenir des relevés téléphoniques et se rendre sur la scène du crime.

Davantage doit être fait.

Le président Joseph Kabila, qui était censé quitter ses fonctions l’année passée à la fin de son deuxième mandat, a manifesté peu de volonté pour traduire les personnes responsables des massacres des Congolais ou des meurtres des enquêteurs des Nations Unies en justice. Des membres des forces de sécurité sont directement impliqués dans les violences, et le gouvernement congolais est connu pour son ingérence à de nombreuses reprises par le passé dans des affaires judiciaires sensibles.

L’impulsion pour la justice devra venir de l’extérieur. Des enquêtes spéciales des Nations Unies sur les meurtres de M. Sharp et Mme Catalán, ainsi que sur la violence plus large dans les Kasaïs, pourraient se rendre sur le terrain, rassembler des preuves et identifier des suspects. Des rapports publics avec des conclusions constitueraient une base pour faire pression pour que toutes les personnes responsables des massacres et d’autres abus, quel que soit leur grade ou le poste qu’elles occupent, soient traduites en justice. Des enquêtes judiciaires aux États-Unis et en Suède ou par la Cour pénale internationale pourraient à terme conduire à des arrestations et à des poursuites.

Il est important de garder à l’esprit que dans le cas de la RD Congo, rien ne peut excuser l’inaction internationale. Il ne s’agit pas de la Syrie, où le soutien russe au gouvernement et la menace de l’État islamique ont créé une impasse géopolitique. La RD Congo n’a que peu d’alliés engagés et puissants. Par ailleurs, son budget est soutenu en grande partie par ces mêmes gouvernements occidentaux qui demandent que justice soit faite, et son armée est appuyée dans l’est par la plus grande force de maintien de la paix onusienne au monde. Ces paradoxes mettent en évidence une vérité cruciale et désagréable : en RD Congo, les plus grandes pierres d’achoppement sont parfois l’indifférence et le manque de volonté politique. Nous pouvons découvrir qui a tué M. Sharp et Mme Catalán, tout comme nous pouvons rendre justice pour les centaines de Congolais qui ont perdu la vie dans les Kasaïs. Nous devons juste y attacher suffisamment d’importance.

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