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Lettre conjointe au Premier ministre du Monténégro au sujet de la détention prolongée du journaliste Jovo Martinovic

Human Rights Watch

Committee to Project Journalists

Reporters sans frontières

 

Le 19 septembre 2016

 

M. Milo Đukanović
Premier ministre du Monténégro
Karađorđeva bb
81000 Podgorica
Crna Gora / Monténégro

 

Monsieur le Premier ministre Dukanovic,

Human Rights Watch, le Comité pour la protection de journalistes (CPJ) et Reporters sans frontières (RSF) s’adressent à vous pour protester contre la détention provisoire du journaliste indépendant monténégrin Jovo Martinovic qui selon nous enfreint son droit à la liberté et à un procès équitable et viole l’obligation faite au Monténégro de respecter la liberté d’informer.

Nous demandons aux autorités compétentes de libérer Jovo Martinovic immédiatement et de fournir à son avocat tous les éléments de preuve retenus contre lui.

En effet, nous estimons que dès lors que les charges retenues contre Jovo Martinovic le sont en vertu de son travail de journaliste et non au nom d’un comportement criminel, elles doivent être abandonnées.

Et si le procureur maintient ses charges, il est indispensable que le procès se déroule conformément aux normes internationales y compris celles consacrées par la convention européenne des droits de l’homme.

Jovo Martinovic a été arrêté le 22 octobre 2015 parce qu’il était suspecté de trafic de drogue en attendant la fin d’une enquête contre lui et 17 autres suspects.

Le 8 avril 2016, après près de 6 mois de détention, le bureau du procureur spécial du Monténégro a prononcé l’inculpation de Jovo Martinovic et de treize autre personnes.

A ce jour, la date du procès n’a pas été fixée.

Deux demandes de remise en liberté sous caution dans l’attente de son procès ont été déposées par l’avocat de Jovo Martinovic, refusées le 9 septembre 2016 au motif que l’enquête était en cours.

La Cour européenne des droits de l’homme, dont les décisions sont opposables au Monténégro, a précisé à plusieurs reprises que les autorités judiciaires devaient, en matière de détention préventive, s’appuyer pour leurs décisions sur des preuves et des éléments tangibles et non sur des motifs « généraux et abstraits ».

Dans le cas de Jovo Martinovic , nous estimons que les autorités n’ont pas présenté des faits particuliers ou des circonstances qui justifiaient sa détention et qu’il devrait de fait être libéré dans l’attente et pendant son procès.

Le procureur affirme que Jovo Martinovic a commis des actes criminels en facilitant une rencontre entre un acheteur et un vendeur de drogues et en installant sur le téléphone du présumé chef du gang Dusko Martinovic (sans lien avec le journaliste) le logiciel Viber, une application de communication, très courante et très populaire.

Jovo Martinovic nie ces accusations et, avec son avocat, a expliqué au procureur que son échange avec Dusko Martinovic et les autres membres du gang n’avaient eu lieu que dans le cadre de son enquête journalistique.

Au cours des 15 dernières années, Jovo Martinovic a réalisé un grand nombre de reportages d’investigation sur des crimes et des crimes de guerre, développant ainsi des relations au sein d’organisations criminelles.

Il a travaillé avec un grand nombre de médias internationaux et contribué à des reportages et des recherches pour entre autres The Economist, Newsday, Global Post, The Financial Times et le groupe VICE.

En 2014, Jovo Martinovic a travaillé avec Vice sur une série de documentaires au sujet d’un gang de voleurs appelés les «Pink Panthers» auquel Dusko Martinovic appartient.

Au moment de son arrestation, Jovo Martinovic effectuait des recherches pour la société de productions française CAPA Presse dans le cadre d’un documentaire sur le trafic d’armes depuis les Balkans vers l’Europe de l’Ouest (La route de la Kalashnikov), diffusé depuis sur la chaine française Canal +.

Les journalistes étrangers qui ont travaillé avec Jovo témoignent de son intégrité et de son professionnalisme. Ils mettent tout particulièrement en avant ses capacités à établir des sources au sein d’organisations criminelles.

Le 19 avril 2016, le CPJ vous a écrit pour exprimer sa préoccupation au sujet de la détention sans inculpation extrêmement longue de Jovo Martinovic avant le 8 avril (date de l’inculpation) et de l’absence de communication du dossier à lui et à son avocat.

Dans ce courrier, des journalistes étrangers attestaient des qualités professionnelles et de l’intégrité de Jovo Martinovic.

Le 22 avril 2016, Reporters sans frontières (RSF) a publié un communiqué condamnant sa détention prolongée.

Aujourd’hui, après près de 11 mois de détention, cinq mois après l’inculpation et à l’approche (présumée) d’un procès, la seule preuve que le procureur a apporté à Jovo Martinovic sont des déclarations de deux co-accusés qui semblent coopérer avec les autorités en échange de réductions de leurs peines.

Au mois d’aout, le quotidien Vijesti a publié une série d’articles faisant état de pressions exercées par le procureur Mira Samardzic sur Dusko Martinovic pour impliquer Jovo Martinovic dans des crimes qu’il n’a pas commis.

Monsieur le premier Ministre, nous sommes inquiets que la détention prolongée et les poursuites soient motivés par son activité de journaliste d’investigation plutôt que par un motif présumé criminel.

Ceci serait l’illustration que le Monténégro ne respecte pas ses obligations de garantir la liberté de la presse.

De plus, parmi les critères de Copenhague, qui s’appliquent aux pays candidats à l'accession à l'Union Européenne, figure le respect de la liberté de la presse.

Si le procureur a réuni des éléments de preuve contre Jovo Martinovic, nous demandons aux autorités compétentes de lui fournir ainsi qu’à ses avocats afin qu’ils puissent préparer sa défense.

Nous demandons la libération de Jovo Martinovic dans l’attente de son procès.

Nous vous remercions de l’attention que vous porterez à cette question importante et dans l’attente de votre réponse, vous prions d’agréer l’expression de nos salutations.

 

Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF)

Hugh Williamson, directeur de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch

Joel Simon, Directeur exécutif du comité pour la protection des journalistes (CPJ)

 

CC:

Monsieur le Secrétaire général adjoint de l’OTAN chargé des affaires politiques et de la politique de sécurité Alejandro Alvargonzález

Mme l'ambassadeur Dragana Radulović, chef de la Mission du Monténégro auprès de l'OTAN

Madame Federica Mogherini, Haute Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité

Monsieur Johannes Hahn, commissaire européen à l’élargissement et à la politique de voisinage

Monsieur Christian Danielsson, Directeur général de la politique de voisinage et des négociations d'élargissement de la Commission européenne

Monsieur Stavros Lambrinidis, Représentant spécial de l'UE pour les droits de l’homme

Monsieur Mitja Drobnič, chef de la Délégation de l'Union européenne au Monténégro

Monsieur Ivan D. Leković, Chef de la Mission du Monténégro auprès de l'Union européenne,

Monsieur Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l’Europe

Madame Dunja Mijatović , Représentante de l'OSCE pour la liberté des médias

Monsieur Srđan Darmanović, Ambassadeur du Monténégro aux Etats-Unis

Madame Margaret Uyehara, Ambassadeur des Etats-Unis au Monténégro

Monsieur Hans Günther Mattern, Ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne au Monténégro

S.E Mme Véronique Brumeaux, Ambassadeur de France au Monténégro

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Site RSF.org : lettre en ligne sur ce site

 

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