(Washington, le 25 août 2016) – L'accord conclu le 24 août 2016 entre le gouvernement colombien et les guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), en vue de mettre fin à leur conflit qui dure depuis 52 ans, constitue une occasion sans précédent d’endiguer les violations des droits humains dans le pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Mais cet accord comporte un grave défaut qui risque de le rendre inefficace: un arrangement défectueux concernant les droits des victimes, conclu en décembre 2015 et qui pourrait garantir l'impunité pour les individus responsables de violations des droits humains et de crimes de guerre.
Les pourparlers de paix avec les guérilleros, qui ont commencé en octobre 2012, visaient à parvenir à des accords partiels sur cinq points particuliers, outre la cessation du conflit. Parmi ces points, figurent la participation politique des anciens rebelles, les droits des victimes et la politique en matière de drogue. Le gouvernement prévoit d'organiser dans les prochaines semaines un référendum national pour faire approuver l'accord.
« L'engagement des FARC à démobiliser et à déposer les armes devrait clore un chapitre tragique et sanglant de l'histoire de la Colombie et apporter un soulagement après des années de violences et d'abus », a déclaré José Miguel Vivanco, directeur de la division Amériques à Human Rights Watch. « Mais les parties aux négociations ont gravement compromis cette occasion d'aboutir à une paix juste et durable, avec un prétendu accord sur les victimes qui faillit à l'obligation de satisfaire aux droits des personnes qui ont souffert des pires atrocités. »
Depuis leur formation au milieu des années 1960, les FARC, qui constituent le principal groupe rebelle de Colombie, ont commis des abus systématiquement à l'encontre des civils. Leurs guérilleros ont tué et enlevé des civils, pris des otages, fait disparaître des personnes, commis des violences sexuelles généralisées, utilisé des enfants soldats, organisé des procès d'une iniquité choquante, déplacé des civils de force et soumis des combattants capturés à des traitements cruels et inhumains.
Dans sa forme actuelle, l'accord sur les victimes assure que les individus qui portent la principale responsabilité pour ces atrocités échapperont à une véritable justice, car il permet à ceux qui avoueront leurs crimes d'éviter toute forme de sanction un tant soit peu sévère.
Aux termes de l'accord, les guérilleros des FARC qui passeront aux aveux pourraient éviter la prison ou toute forme « équivalente » de détention. À la place, ils feraient l'objet de sanctions équivalant à des « restrictions de leurs droits et libertés » modérées et brèves, en même temps qu'ils seraient tenus de participer à des projets destinés à porter assistance aux victimes du conflit. Les nombreuses ambiguïtés et lacunes contenues dans l'accord pourraient permettre à des criminels ayant avoué leurs crimes d'être exemptés de toutes ces restrictions avant même que leurs peines ne soient purgées et d'éviter toute conséquence au cas où ils ne se plieraient pas aux sanctions prononcées contre eux.
Des sanctions similaires seraient applicables aux membres des forces armées, y compris probablement nombre de ceux qui sont réputés responsables des exécutions systématiques de milliers de civils effectuées par des unités militaires à travers la Colombie entre 2002 et 2008 afin de gonfler les bilans des pertes ennemies dans la lutte anti-guérilla présentés par l'armée – connus sous le nom de « bilans faussement positifs ».
« Permettre à des individus qui ont avoué et ont été reconnus coupables de crimes de guerre d'être ‘punis’ de rien de plus qu'une assignation à des services communautaires est d'une insuffisance grotesque », a affirmé José Miguel Vivanco. « La communauté internationale ne devrait pas détourner le regard devant cette parodie de justice au nom de la paix. »
Parmi d'autres éléments troublants de l'accord relatif à la justice, figure une définition de la « responsabilité de commandement » qui pourrait être interprétée d'une manière non conforme au droit international afin de permettre à des officiers supérieurs des forces armées colombiennes et des FARC d'échapper à leurs responsabilités pour des crimes commis par leurs subordonnés. Contrairement à la définition consacrée par le droit international, l'accord pourrait exiger une preuve que les commandants savaient que des crimes contre les droits humains étaient commis par leurs troupes, plutôt que la simple présomption qu'ils étaient au courant du fait de leur position hiérarchique.
« Si le gouvernement colombien est sérieux dans son intention d'instaurer une paix durable et de respecter le droit des victimes à la justice, il devrait modifier la loi mettant en œuvre l’accord de paix en vue de rectifier les graves lacunes contenues dans le volet relatif aux victimes », a conclu José Miguel Vivanco. « Pour commencer, il devrait amender l'accord pour faire en sorte que les commandants soient tenus responsables des crimes commis par leurs troupes et pour rectifier les ambiguïtés qui pourraient permettre que des criminels ayant avoué leurs crimes reçoivent des sanctions inadéquates. »
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