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Des coups d’État plus modérés et en douceur en Afrique

À travers le continent, les coups d'État militaires sont remplacés par de perfides manœuvres juridiques.

Publié dans: Foreign Policy

Il existe une nouvelle mode chez les présidents africains décidés à s’accrocher au pouvoir : le coup d'État constitutionnel. Les coups d'État militaires ne sont plus de rigueur, en partie parce que l'Union africaine a déclaré qu’elle ne reconnaîtra pas les gouvernements qui prennent le pouvoir par le biais de telles tactiques flagrantes. Au lieu de cela, les dirigeants africains qui refusent de se conformer aux limites de durée de mandat, ou à des résultats électoraux défavorables, préfèrent simplement changer les lois et les constitutions qui se dressent sur leur chemin. Trop souvent, leurs manœuvres juridiques sont accompagnées par des violations de droits humains ainsi que des répressions brutales contre les personnes qui s'y opposent.

Denis Sassou Nguesso, le président de la République du Congo qui fêtera bientôt son 72e anniversaire, est le dernier à prendre cette voie. Sassou Nguesso a été au pouvoir pendant 31 ans, avec une interruption de cinq ans après avoir perdu des élections multipartites en 1992. Il est revenu au pouvoir en 1997, soutenu par des troupes angolaises, après une brève mais sanglante guerre civile.

Le 25 octobre, son gouvernement a organisé un référendum constitutionnel afin de modifier les limites des mandats présidentiels — de deux mandats de sept ans à trois mandats de cinq ans — et d'éliminer la limite d'âge de 70 ans en cours pour les candidats à la présidentielle. Précédée par une campagne d'intimidation et de harcèlement à l’encontre de dirigeants de l’opposition et d’activistes, la mesure a officiellement été adoptée avec plus de 92 % des votes, ouvrant la voie à Sassou Nguesso pour remplir encore un autre mandat. Le gouvernement a affirmé que 72,44 % des électeurs se sont présentés, mais selon des activistes locaux à qui nous avons parlé ce nombre est de moins de 10 %. Ils ont allégué, ainsi que d'autres témoins, de nombreux cas de fraude. Des noms étaient absents des listes de vote et des personnes étaient payées pour voter en faveur du « oui », ont-ils déclaré. Le processus référendaire a également été critiqué par la France et par les États-Unis.

Dans les semaines qui ont précédé le référendum, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de la capitale, Brazzaville, et de la principale ville productrice de pétrole du pays, Pointe-Noire, pour protester. Ils tenaient des pancartes « Sassou Dehors », « Le Congo n’appartient pas à Nguesso » et « Sassouffit ».

Les forces de sécurité gouvernementales ont riposté en recourant à la force létale, tirant sur les manifestants, tuant au moins cinq personnes et en blessant des dizaines d’autres, selon des témoins à qui nous avons parlé. Les activistes locaux affirment que le nombre réel de morts est beaucoup plus élevé. Le gouvernement a également fermé les services d'Internet mobile, les communications par message texte, le signal de Radio France Internationale (RFI), le plus important des médias indépendants du pays, et il a interdit toutes les manifestations.

Un grand nombre des personnes qui ont osé se prononcer contre le référendum ont été arrêtées. Au moins sept jeunes militants pro-démocratie et participants à des manifestations contre le référendum ont été arrêtés avant le vote, et deux chefs de file de l'opposition, Guy Brice Parfait Kolélas et André Okombi Salissa, ont été placés en résidence surveillée. Destin Kossaloba, le fils d'un leader de l'opposition au franc-parler, ainsi que Bertin Inko Ngatsebe, le président d'une association politique de l'opposition, ont également été arrêtés et demeurent derrière les barreaux.

Ces tactiques ne sont malheureusement devenues que trop répandues dans la région, tandis que de plus en plus de présidents cherchent à remettre en cause les constitutions qu'ils ont souvent aidé à mettre en place. Ces dirigeants n’ont pas tort d’affirmer qu’une question comme celle de la limitation des mandats devrait être décidée par des électeurs. Mais les référendums qu'ils conçoivent sont tout sauf démocratiques. Dans les États où les électeurs sont souvent confrontés à l'intimidation et au harcèlement, ou lorsque les systèmes judiciaires sont sous l'emprise du pouvoir exécutif, les parlements font office de simples chambres d’enregistrement pour les partis au pouvoir et les référendums constitutionnels deviennent facilement des couvertures pour les prises de pouvoir autoritaires.

Les dirigeants les plus anciens de l'Afrique sont d'excellents exemples de cette tendance. Teodoro Obiang Nguema Mbasogo de la Guinée équatoriale, José Eduardo dos Santos de l'Angola et Robert Mugabe du Zimbabwe — tous au pouvoir depuis plus de 35 ans — ont modifié leurs constitutions dans le but de rester au pouvoir. Dans ces trois pays, il y a peu ou pas de presse libre, et les partis d'opposition sont systématiquement empêchés d'organiser des manifestations. Les personnes qui ont tenté de s'opposer à leurs efforts pour rester au pouvoir ont été brutalement réduites au silence.

Tout récemment, le Président Pierre Nkurunziza du Burundi a brigué un troisième mandat en juillet 2015, malgré l'indignation générale devant ce qu’un grand nombre de personnes ont considéré comme une tentative de défier l'esprit de l'Accord de paix et de réconciliation d'Arusha qui a mis fin à des années de guerre civile dans ce pays. (L'accord limite les présidents à deux mandats.) Plusieurs mois de protestations publiques et de défections de son propre parti au pouvoir n’ont pas amené Pierre Nkurunziza à changer d'avis. Au lieu de cela, le gouvernement a réprimé les manifestants, les militants et les journalistes indépendants. Plusieurs dizaines de manifestants et d’opposants au régime présumés ont été tués et des centaines d’entre eux ont été emprisonnés. Environ 200 000 personnes ont fui le pays en raison des troubles.

L'Ouganda, la République démocratique du Congo et le Rwanda sont les prochains sur la liste.

Le président de l'Ouganda, Yoweri Museveni, âgé de 71 ans, a déjà modifié la constitution de son pays en 2005 plutôt que de se conformer à la limite des mandats présidentiels. En février 2016, il va se présenter aux élections encore une fois. Compte tenu des restrictions actuelles à la liberté d'association et de réunion, il est très probable qu’il réussisse. Des candidats de l'opposition ont déjà été battus, arrêtés et empêchés d'accéder aux électeurs dans certaines parties du pays.

En RD Congo, le deuxième mandat du président Joseph Kabila doit se terminer en décembre 2016. Lorsque son gouvernement a tenté de modifier la loi électorale plus tôt cette année afin de prolonger le mandat de Joseph Kabila, il y a eu des manifestations de masse. Les forces de sécurité ont abattu au moins 38 civils dans la capitale, Kinshasa, et cinq autres dans la ville de Goma dans l’est. Les dirigeants de partis politiques et les activistes qui se sont prononcés contre un éventuel troisième mandat pour Joseph Kabila ont été emprisonnés, harcelés et menacés.

Les protestations ont contraint Joseph Kabila à reculer sur la modification de la loi électorale, mais il semble désormais qu’il s’emploie à retarder l'organisation des élections en vue d’un « glissement » de son mandat. Un porte-parole de la coalition au pouvoir dans le pays a annoncé le 31 octobre que le pays n’est pas prêt pour des élections et a suggéré qu'elles soient retardées de deux à quatre ans. Quel que soit le résultat des efforts de Joseph Kabila pour rester au pouvoir, il est probable qu’ils se feront au prix d’une répression brutale contre une opposition de plus en plus véhémente.

Au Rwanda, le président Paul Kagame va également se heurter à des limites de mandat en 2017. Cependant, un processus de « consultation » pour modifier la constitution a déjà été entamé et – étant donné les restrictions sur les médias indépendants et les partis de l'opposition dans le pays –  sera probablement couronné de succès. À juillet, le parlement du Rwanda avait reçu 3,78 millions de pétitions de citoyens prétendant soutenir la modification de la constitution afin de permettre à Paul Kagame de briguer un troisième mandat.

Les législateurs ont depuis entamé des consultations avec les électeurs à l’échelle nationale, indiquant que la plupart des Rwandais soutiennent la modification de la constitution. La pression exercée par le parti au pouvoir et la peur de s'opposer publiquement à Paul Kagame ont sans doute influencé les résultats de ce processus. Le 29 octobre, la chambre basse du parlement du Rwanda a adopté à l'unanimité des réformes constitutionnelles qui pourraient permettre à Paul Kagame de briguer non seulement un troisième mandat, mais également un quatrième et un cinquième mandat. Les réformes doivent encore être approuvées par le Sénat et soumises à un référendum public.

L'Union africaine, l'Union européenne et les États-Unis ont tous condamné à des degrés divers cette tendance de « coups d’État constitutionnels » — bien que parfois la critique des dirigeants avec lesquels ils entretiennent de bonnes relations ait été mise en sourdine. Les acteurs internationaux et régionaux devraient être plus constants dans leur dénonciation vigoureuse de ces tentatives illégales pour rester au pouvoir — et des violations de droits humains qui les accompagnent souvent.

Tous les dirigeants africains ne sont pas prêts à se maintenir au pouvoir à tout prix, comme le montrent les sorties élégantes du président nigérian Goodluck Jonathan et du président namibien Hifikepunye Pohamba plus tôt cette année. Ces deux dirigeants ont quitté le pouvoir avec une amélioration du respect des droits fondamentaux et leurs héritages intacts. D'autres dirigeants africains feraient bien de s’inspirer de leur exemple.

 

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