(Stuttgart) – La condamnation par un tribunal allemand de deux chefs rebelles rwandais pour des crimes commis en République démocratique du Congo apporte une mesure de justice importante pour les victimes de crimes de masse dans ce pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Le 28 septembre 2015, un tribunal de Stuttgart, en Allemagne, a déclaré coupables Ignace Murwanashyaka et Straton Musoni, président et vice-président des Forces démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), et les a condamnés à 13 et 8 ans de prison, respectivement. Murwanashyaka a été reconnu coupable de crimes de guerre en lien avec cinq attaques commises par les FDLR dans l’est de la RD Congo et de diriger une organisation terroriste. Musoni a été jugé coupable de diriger une organisation terroriste, mais a été acquitté de l’accusation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
« Le verdict de culpabilité du tribunal allemand contre des chefs rebelles rwandais pour des crimes commis en RD Congo montre que le monde est de plus en plus petit pour les criminels de guerre», a indiqué Géraldine Mattioli-Zeltner, directrice de plaidoyer au sein du Programme Justice internationale à Human Rights Watch. « Le tribunal de Stuttgart est certes loin de la RD Congo, néanmoins ses juges ont finalement rendu justice à des milliers de Congolais qui ont subi des abus graves aux mains des FDLR. »
Les FDLR ont longtemps joui de l’impunité pour les atrocités généralisées commises à l’encontre des civils en RD Congo et ce procès marque un tournant, car c’est la première fois que des dirigeants des FDLR sont traduits en justice. Les autorités judiciaires allemandes devraient prendre des mesures pour s’assurer que les communautés affectées en RD Congo aient connaissance de ce verdict important, par exemple en veillant à ce que les victimes aient accès aux informations pertinentes, a déclaré Human Rights Watch.
Les FDLR sont un groupe rebelle composé principalement de Rwandais hutus et basé dans l’est de la RD Congo, dont certains dirigeants ont pris part au génocide de 1994 dans le Rwanda voisin. Murwanashyaka et Musoni vivaient en Allemagne depuis plusieurs années lorsqu’ils ont été arrêtés en novembre 2009. Tous deux ont été accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, qui auraient été perpétrés par des combattants des FDLR dans l’est de la RD Congo entre 2008 et 2010, ainsi que d’appartenance à un groupe terroriste.
Leur procès a commencé en mai 2011. Un jugement écrit sera publié ultérieurement. Murwanashyaka et Musoni peuvent faire appel du jugement et de la peine à leur encontre.
Cette affaire est la première jugée en vertu du Code allemand sur les crimes violant le droit international (CCVDI) de 2002, qui transpose qui intègre le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) au sein du droit allemand et qui permet aux tribunaux allemands de mener des enquêtes et de poursuivre les auteurs de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide, indépendamment du lieu où ces crimes sont commis dans le monde. En avril 2009, la police fédérale allemande et le bureau du Procureur fédéral de ce pays ont mis en place une Unité centrale de lutte contre les crimes de guerre et autres délits en application du CCVDI, qui est spécialisée dans les enquêtes sur les crimes internationaux graves.
Le travail d’enquête et de poursuites judiciaires pour des crimes complexes qui ont eu lieu à des milliers de kilomètres, au milieu d’un conflit armé en cours, a posé des défis considérables au système judiciaire allemand.
Par exemple, plusieurs chefs d’inculpation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, y compris le recrutement d’enfants soldats, ont été abandonnés en cours de procès en raison du manque de preuves. Cela soulève des questions sur la qualité des enquêtes menées par les autorités allemandes. Garantir la sécurité et la protection des victimes et des témoins a exigé la mise en place de mesures particulières. Un manque de qualité de l’interprétation des langues locales congolaises et rwandaises vers l’allemand a conduit à des litiges concernant le fond de certains témoignages devant la Cour.
Certaines règles du droit procédural allemand semblaient également inadaptées pour ce type de procès. Par exemple, l’obligation de rendre publics les noms des victimes participant en tant que parties civiles a effectivement empêché la participation de victimes congolaises pour des raisons de sécurité.
Les autorités judiciaires allemandes devraient tirer des enseignements de ce procès pour améliorer les poursuites judiciaires futures de crimes graves internationaux, a indiqué Human Rights Watch.
L’Allemagne et d’autres pays dotés de la législation appropriée devraient continuer à juger les crimes graves commis à l’étranger, en particulier lorsque la justice n’est pas possible dans les pays où les crimes ont été perpétrés, a ajouté Human Rights Watch.
Les FDLR continue de commettre des crimes graves en RD Congo. Selon les recherches de Human Rights Watch, les combattants des FDLR ont tué au moins 94 civils, violé des dizaines de femmes et de filles, recruté par la force des enfants dans leurs rangs, kidnappé des gens afin de réclamer des rançons et détruit d’innombrables maisons depuis 2012. Les combattants des FDLR dévalisent et extorquent de l’argent fréquemment aux civils qui vivent dans les zones sous leur contrôle. Ils enlèvent et malmènent ou torturent ceux qui ne peuvent pas payer les « taxes » qu’ils réclament.
En 2012, la CPI a émis un mandat d’arrêt à l’encontre du responsable militaire des FDLR, le général Sylvestre Mudacumura, qui est suspecté de se trouver dans l’est de la RD Congo, mais qui continue d’échapper à la justice.
Le verdict de culpabilité souligne la nécessité d’arrêter le commandant militaire des FDLR, dont les troupes ne cessent de commettre de graves abus dans l’est de la RD Congo, a déclaré Human Rights Watch. Les autorités congolaises, conjointement avec les forces de maintien de la paix des Nations Unies, devraient exécuter de toute urgence le mandat d’arrêt de la CPI et veiller à ce que Mudacumura aussi comparaisse en justice.
« Malgré la complexité de ce procès, les autorités allemandes agi correctement en jugeant cette affaire, ou afin d’éviter que l’Allemagne ne devienne un lieu de refuge pour les criminels de guerre », a conclu Géraldine Mattioli-Zeltner. « Le gouvernement devrait en outre s’efforcer d’améliorer les poursuites judiciaires futures conformément à la loi et maintenir un soutien politique et financier fort au travail de l’unité spéciale de lutte contre les crimes de guerre. »
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France24.com 28.09.15