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Ukraine : Il faut mettre fin aux exactions à motivation politique

Les journalistes et les militants sont soumis au risque d’enlèvements et de violences aux mains d’autojusticiers

(Berlin, le 28 avril 2014) - L'intensification de la crise en Ukraine expose les journalistes et les militants à un risque croissant de violences à motivation politique, comme les arrestations illégales, les enlèvements et les agressions, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les mesures pour résoudre la crise politique devraient comprendre des engagements pour mettre fin aux exactions contre les opposants présumés, la libération immédiate de toutes les personnes détenues illégalement et la traduction en justice des auteurs d’actes criminels.

Dans plusieurs villes de l'est de l’Ukraine, les forces opposées à Kiev et leurs partisans ont menacé et harcelé des journalistes, des militants politiques et d'autres personnes qu'elles soupçonnent de soutenir les autorités à Kiev. Les exactions les plus graves ont été commises à Slaviansk, où des hommes armés qui ont pris le contrôle de la ville ont enlevé plus d’une vingtaine de personnes, dont des journalistes, des militants politiques, des observateurs militaires internationaux et des personnes qu'ils ont accusées d'être des « espions ».

« Toute violence à motivation politique contre des journalistes et des militants est inacceptable et doit cesser », a déclaré Hugh Williamson, directeur de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Les autorités ukrainiennes doivent intensifier les efforts pour protéger les personnes de toutes les allégeances politiques. Les acteurs internationaux ayant une influence sur les parties devraient les pousser à mettre fin aux exactions, à libérer les personnes détenues illégalement et à veiller à ce que les responsables soient tenus de rendre des comptes. »

Un conseiller municipal fidèle au gouvernement de Kiev, Vladimir Rybak, a été retrouvé mort près de Slaviansk le 19 avril, après qu'il ait été vu pour la dernière fois poussé dans une voiture par des hommes masqués. Le corps d'un étudiant de 19 ans, Yuriy Propavko, qui avait été actif dans le mouvement de protestation de Maïdan, gisait à ses côtés. Des journalistes de plusieurs autres villes ont reçu des menaces graves de la part de sources anonymes.

À Kiev, des membres du parti politique nationaliste pro-Kiev Svoboda ont agressé le directeur d'une chaîne de télévision, Canal 1, en affirmant que les reportages de la chaîne étaient pro-russes. Des bandes à Kiev et Kharkiv ont attaqué des militants politiques des deux côtés de la fracture politique.

Human Rights Watch a déclaré que les autorités dans toute l'Ukraine devraient enquêter de manière approfondie sur tous les incidents de violence et faire en sorte que leurs auteurs soient traduits en justice. La Russie s'est engagée à aider à la libération des observateurs internationaux détenus à Slaviansk et Human Rights Watch a exhorté Moscou à également faire pression sur les militants pro-russes pour qu’ils libèrent toutes les personnes qu'ils ont capturées et qu’ils cessent les exactions.

Human Rights Watch a également exhorté l'Union européenne et les États-Unis à appuyer le gouvernement intérimaire à Kiev afin de s'assurer que les efforts pour désarmer les membres des groupes paramilitaires détenant des armes illégales incluent le groupe paramilitaire nationaliste extrémiste Pravy Sektor (« Secteur droit »). Le gouvernement devrait faire en sorte que Secteur droit rende des comptes pour tous les actes criminels imputables à ses membres.

Les chercheurs de Human Rights Watch dans l'est de l'Ukraine ont documenté des violations commises par des acteurs non étatiques à Slaviansk, Donetsk, Kharkiv, Kramatorsk et Konstantinovka. La situation a été la plus grave à Slaviansk, où le 25 avril, des militants armés ont enlevé huit observateurs militaires appartenant à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ainsi que cinq escortes militaires ukrainiennes. Un des observateurs a été libéré le 27 avril pour raisons médicales. Parmi les autres personnes détenues illégalement figurent Serhiy Lefter, journaliste indépendant ukrainien âgé de 24 ans, dont le dernier contact avec sa famille ou ses amis remonte au 15 avril ; Artem Deyneha, programmeur informatique ; Vadim Sukhonos, adjoint au conseil municipal de Slaviansk ; Irma Krat, journaliste et militante lors des manifestations Euromaïdan basée à Kiev.

Le 20 avril, les forces anti-Kiev ont pris le contrôle de l'émetteur de télévision de Slaviansk et ont retiré des ondes deux stations locales, CTV et CTV +, qui ont été remplacées par des chaînes russes. Deux jours plus tard, des hommes armés ont arrêté et menacé avec leurs armes les journalistes locaux qui voulaient récupérer leur équipement à l’intérieur de l’enceinte de l'émetteur, ont fouillé leur voiture et les ont forcés à partir.

Le 16 avril, dix hommes, dont certains étaient armés, ont fait irruption dans la chambre de dortoir de Roman Guba, un journaliste âgé de 20 ans qui défend ouvertement l’Ukraine unie dans ses articles. Ils l’ont attendu pendant une heure et sont partis, en emportant ses documents d'identité et son ordinateur, ainsi que d'autres équipements. Guba a ensuite quitté Slaviansk pour des raisons de sécurité.

Le 6 avril, à Kharkiv, une bande anti-Kiev nombreuse a attaqué une vingtaine de personnes qui avaient participé à un concert pour la défense de l’Ukraine unie ce jour-là. La police avait essayé de créer un corridor de sécurité pour permettre aux participants au concert de s’échapper, mais le groupe anti-Kiev a atteint les participants, les tabassant pendant plus d'une heure alors qu'ils tentaient de progresser le long du corridor. L'une des victimes, Viktor Ryabko, a perdu sept dents et a subi de multiples blessures, dont une fracture du doigt, des coupures, des ecchymoses et des blessures internes. Le 14 avril à Kiev, une foule en colère d’environ 150 personnes a attaqué Oleg Tsarev, un candidat anti-Kiev à la présidentielle, alors qu'il quittait un studio de télévision, le bombardant avec des œufs et en criant : « Tuez-le ! »

Human Rights Watch a également recueilli des informations sur d'autres violations des droits humains liées au conflit politique. L’avocate d’un leader politique pro-fédération, Pavel Gubarev, a déclaré à Human Rights Watch que Gubarev a été privé d'accès à un avocat pendant 16 heures après avoir été arrêté à Donetsk et transféré à Kiev pendant la nuit du 6 avril. L'avocate a également indiqué à Human Rights Watch qu'elle était au courant de plusieurs cas dans lesquels des militants anti-Kiev ont été arrêtés à Donetsk et transférés à Kiev avec ce qu'elle allègue être des violations de la procédure régulière au regard de la loi ukrainienne, par exemple ne pas informer les familles des détenus de leur arrestation ou de leur localisation.

« Un grand nombre de gens en Ukraine, des deux côtés de la fracture politique, ont des griefs profonds qui découlent de violations des droits humains, de l’impunité, de la corruption et de la méfiance à l’égard des autorités », a ajouté Hugh Williamson. « Pour mettre fin à la violence, les autorités doivent répondre aux griefs d'une manière significative et fondée sur l’État de droit. »

Dans le contexte actuel de violence à motivation politique, il est essentiel que l'OSCE et les Nations Unies continuent de rendre compte de la situation des droits humains de façon indépendante, impartiale, opportune et publique. Human Rights Watch a exhorté les deux organismes à fournir des rapports ponctuels concentrés sur l'évolution de la situation des droits humains, et à identifier les personnes considérées comme responsables de violations lorsque cela est possible.

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Contexte
Le soulèvement « Maïdan » à Kiev en février, qui a conduit à l'éviction du président Viktor Ianoukovitch puis à l’annexion par la Russie de la Crimée, a provoqué des manifestations de masse dans les villes de l'est de l’Ukraine de février à avril par les manifestants pro et anti-Kiev. Certaines des manifestations ont tourné à la violence, les manifestants des deux côtés de la fracture politique prenant part aux affrontements. En mars, des manifestants anti-Kiev ont tenté de s'emparer de bâtiments gouvernementaux dans plusieurs villes, dont Kharkov et Donetsk, en réponse à la saisie de bâtiments gouvernementaux par des partisans pro-Maïdan dans l'ouest de l'Ukraine avant l'éviction de Viktor Ianoukovitch.

Au début de mars, la plupart des manifestants anti-Kiev ont commencé à appeler à ce que l'Ukraine devienne une fédération, ainsi qu’à un référendum sur le statut de régions de l'est de l’Ukraine. Dès la mi-avril, des hommes armés et des groupes violents se sont emparés de certains bâtiments gouvernementaux dans une série de villes de la région du Donbass en Ukraine, notamment Slaviansk, Louhansk, Kramatorsk, Donetsk, Gorlovka et d'autres. Le degré de contrôle que les forces anti-Kiev exercent dans ces villes varie considérablement, à l’heure où nous écrivons, mais des forces qui se font appeler la « République populaire de Donetsk », contrôlent la plupart des principaux bâtiments gouvernementaux ainsi que l'émetteur de télévision à Slaviansk.

Les partisans de Kiev appellent à l'unité de l'Ukraine, à l’obligation de rendre des comptes pour les fonctionnaires corrompus et les personnes impliquées dans les exactions commises lors des manifestations « Euromaïdan ». Les autorités intérimaires à Kiev ont exprimé leur soutien en faveur d’une large autonomie régionale.

Cependant les discours politiques sont de plus en plus enflammés et polarisés. Les militants anti-Kiev qualifient les partisans de Kiev de « fascistes », en partie à cause du rôle que le groupe paramilitaire ultranationaliste Secteur droit et le parti nationaliste Svoboda ont joué dans l'éviction de Viktor Ianoukovitch et du rôle beaucoup plus important que Svoboda a joué dans le gouvernement intérimaire post-Ianoukovitch.

Ces derniers jours, Kiev a lancé des opérations de contre-insurrection dans Slaviansk afin de désarmer les militants affiliés à la « République populaire de Donetsk ». Human Rights Watch n'a pas été en mesure de documenter si ces opérations étaient oui ou non conformes aux normes internationales des droits humains.

Meurtres
Le 19 avril, deux corps ont été retrouvés dans la rivière Donets Severny, près de Slaviansk. L'un des corps était celui de Vladimir Rybak, un adjoint au conseil municipal de Gorlovka et un ancien membre du parti Patrie. Rybak a été vu pour la dernière fois le 17 avril à proximité de la mairie de Gorlovka. Des images vidéo l’ont montré entouré par des hommes armés présumés être des militants anti-Kiev qui ont essayé de l'empêcher de pénétrer dans le bâtiment de l'administration municipale pour enlever le drapeau de la République populaire de Donetsk autoproclamée et le remplacer par le drapeau ukrainien. La vidéo le montre en train d’être expulsé de force par plusieurs hommes masqués, puis relâché devant le bâtiment du conseil municipal. L'épouse de Rybak, Elena, a déclaré à Human Rights Watch qu'après que Rybak a disparu, la police locale a ouvert une enquête criminelle sur son enlèvement. Elle a affirmé que la police a interrogé un témoin qui, le 17 avril, a vu des hommes armés pousser Rybak dans une voiture et démarrer.

Elena Rybak a déclaré que la cause du décès énoncée dans le rapport d'autopsie était une profonde blessure à la poitrine qui avait pénétré les poumons. Elle a également confié que le rapport d'autopsie a révélé que Rybak a été noyé alors qu'il était encore en vie. Viatcheslav Ponomarev, le maire autoproclamé de Slaviansk, a déclaré qu'il y avait des « marques » de torture sur les mains et le visage de Rybak, mais il n'a pas donné de détails. Il a également vigoureusement nié toute implication des partisans de la République populaire de Donetsk dans la mort de Rybak.

Cependant, le 24 avril, le journal Ukrainskaya Pravda a publié des extraits de conversations téléphoniques secrètement enregistrées par les services de sécurité d’Ukraine, que Human Rights Watch a pu examiner, et qui proviendraient d'un commandant militaire allié avec les forces anti-Kiev ordonnant de s’emparer de Rybak, de lui bander les yeux et de le conduire dans un endroit « aussi éloigné que possible » de la ville. Le commandant ordonne également de le prévenir une fois qu'ils arrivent, afin qu'il puisse les rencontrer. Un autre extrait semble être une brève conversation de suivi avec le chef des forces armées anti-Kiev, Igor Strelkov, demandant au maire autoproclamé de Slaviansk, Viatcheslav Ponomarev, de « se débrouiller avec le cadavre. »

Le 26 avril, le Kyiv Post a publié un article affirmant que le second corps avait été identifié comme étant celui de Yuriy Popravko, un étudiant universitaire âgé de 19 ans et militant pro-Maïdan.

Une description détaillée d’autres types d’exactions commises en Ukraine au cours des dernières semaines figure dans la version anglaise de ce communiqué.

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