Observateur. Le directeur adjoint de l’ONG internationale Human Rights Watch (HRW) pour la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord fait le point sur la situation des droits de l’homme au Maroc.
Affable, Eric Goldstein pèse chacun de ses mots sans pour autant s’interdire une pointe d’humour. Malgré un point de vue très critique à l’égard du Maroc, ne comptez pas sur lui pour scander des slogans militants. Très rigoureux, il préfère avancer des faits et illustrer ses propos avec des exemples. Diplômé des plus grandes universités américaines, fin connaisseur des relations internationales, Eric Goldstein parle parfaitement français, « un peu l’arabe classique », une langue qu’il a étudiée pendant quatre ans, et, sur le terrain, manie avec aisance les dialectes locaux.
Les autorités marocaines affirment que Human Rights Watch s’acharne contre le Maroc. Que répondez-vous à cela ?
Rare est le gouvernement qui ne prétend pas être la cible de Human Rights Watch. Le Maroc ne s’intéresse qu’à ce qui est dit sur lui et a tendance à oublier qu’on réalise le même travail d’enquête dans 90 pays avec les mêmes critères d’observation. Et puis il ne faut pas oublier que le Maroc s’est engagé à respecter les traités internationaux et qu’il souhaite être évalué selon leurs critères.
Le dernier rapport de HRW sur les conditions des migrants au Maroc a suscité une levée de boucliers de la part des politiques, notamment Mustapha El Khalfi, porte-parole du gouvernement. Quelle est votre réaction ?
Cela arrive très souvent. Comme certaines réformes ont été mises en œuvre, les responsables auraient aimé qu’on se focalise sur ces améliorations. Seulement, en parallèle, il y a des violations quotidiennes et beaucoup de violences policières, particulièrement à Nador, que nous devons signaler.
Les responsables politiques marocains sont-ils dans le déni ou la mauvaise foi ?
Lorsqu’on leur présente des cas avérés de violences policières, ils sont dans le déni. On se croirait presque à l’époque de la communication de Saddam Hussein où tout n’était que négation et mensonge. D’un autre côté, il y a aussi une volonté de réforme, notamment au niveau de la migration, qui reflète une conscience que la situation n’est pas bonne et mérite d’être améliorée. C’est un peu de la schizophrénie en fait !
Pourtant, quelque temps plus tard, vous avez publié un communiqué de presse pour insister sur les progrès du Maroc en matière de politique migratoire. Que s’est-il passé entre-temps ?
Ce n’était absolument pas une rectification de tir comme l’aurait souhaité le ministre de la Communication, mais une reconnaissance des réformes engagées par le royaume. HRW n’est pas uniquement dans la dénonciation, c’est pourquoi nous avons publié un communiqué pour encourager la volonté du Maroc et souligner qu’il est l’un des rares pays du monde arabe à reconnaître la présence des migrants et leur droit à la protection.
Avez-vous déjà subi des pressions de la part des autorités marocaines ?
Nous n’avons jamais eu le moindre problème pour accéder au pays, mais nous avons subi quelques entraves. En plus d’être suivi par des policiers en civil, on m’a empêché de m’approcher d’une manifestation à Laâyoune en février dernier. Nos sources ne sont pas directement menacées mais on tente parfois de les dissuader de nous parler.
L’indépendance de HRW a souvent été remise en cause. L’ONG est par exemple accusée d’être proche du secrétariat d’Etat américain. Est-ce le cas ?
Il suffit de regarder notre site pour voir à quel point on déplore la politique américaine concernant Guantanamo ou la souplesse des Etats-Unis par rapport à ses alliés, comme Israël ou l’Arabie Saoudite. Si nous trouvons que la politique américaine est bonne, nous la soutenons, mais souvent nous la condamnons et nous arrivons à nos conclusions de manière indépendante. Nous ne sommes pas une association américaine mais globale.
Quel est votre lien avec Moulay Hicham ?
Moulay Hicham est membre du comité de conseillers pour la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), à titre purement consultatif. Au Maroc, il possède un excellent réseau et maîtrise bien la situation du pays. Il lui arrive donc de faciliter les contacts. C’est un membre engagé qui lit d’un œil critique nos travaux et nous aide à les améliorer.
Pouvez-vous comparer l’évolution du Maroc entre le début de votre mandat dans la région en 1989 et aujourd’hui ?
De nombreux chantiers de réformes ont été lancés. Parmi les réussites, il y a eu le travail de l’Instance équité et réconciliation, malgré ses limites, et la réforme de la Moudawana. Il y a une véritable volonté de réformer mais, en même temps, le système conserve un caractère répressif : il n’hésite pas à broyer ceux qui dérangent trop. Cela se vérifie par exemple avec la poursuite des arrestations arbitraires, la répression contre les manifestants ou la réforme jamais aboutie de la justice.
Avez-vous observé un changement avec l’élection du gouvernement Benkirane ?
C’est plutôt une continuité, dans le sens où l’arrivée des islamistes au pouvoir n’a pas infléchi l’évolution du royaume. L’abrogation de l’article 475 du Code pénal est une réussite. Cependant, le gouvernement, qui dispose d’une certaine marge de manœuvre, ne semble pas avoir de véritable volonté politique pour faire plus.
Dorénavant, les tribunaux militaires ne pourront plus juger les civils, qu’en pensez-vous ?
On ne peut qu’applaudir le vote par le Conseil des ministres pour supprimer la juridiction des tribunaux militaires sur les civils. Espérons que l’adoption finale de la loi sera pour bientôt, ainsi qu’une révision des jugements injustes prononcés par les tribunaux militaires, tel que celui des civils sahraouis incarcérés après le procès « Gdeim Izik ». Reste le grand chantier d’asseoir une justice plus indépendante et plus disposée à examiner la crédibilité des procès verbaux établis par la police judiciaire.
Vous affirmez qu’il y a des prisonniers politiques au Maroc. Qui sont-ils et pour quel motif sont-ils en prison ?
C’est un terme qu’on utilise avec précaution et c’est très difficile de donner un chiffre exact. Cela ne concerne pas les personnes condamnées pour des actes de violences. Bien souvent, ce sont des gens condamnés dans des affaires de droit commun mais qui ont eu le tort de s’exprimer sur le régime. Par exemple, Abdeslam Aïdour, le jeune de Taza qui a critiqué le roi dans une vidéo sur YouTube, croupit en prison à cause de ses prises de position. Zakaria Moumni, le boxeur condamné en 2010 à trois ans de prison (il a été gracié en 2012, ndlr), l’a été en réalité pour son activisme contre la monarchie. Il a été victime de torture et son dossier manque de preuves tangibles. Je pense aussi à Chakib El Khyari, le militant rifain, qui a fini par être gracié par le roi en 2011 après trois ans de prison ferme, et à beaucoup de salafistes. C’est un travail de longue haleine, mais HRW compte mener des enquêtes au cas par cas.
PROFIL 1956. Voit le jour à Pittsburgh. 1978. Diplômé de Harvard. 1985. Obtient un master en relations internationales à Columbia University. 1986. Rejoint le Comité de protection des journalistes à New York. 1989. Intègre Human Rights Watch. |