(New York, le 28 mars 2014) – Le refus du gouvernement syrien d’autoriser l’entrée d’aide humanitaire dans le pays à travers les postes-frontières aux mains de l’opposition entrave l’acheminement de l’aide destinée à des centaines de milliers de personnes en situation désespérée, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Ce refus par le gouvernement constitue une violation du droit international des conflits armés.
Dans une résolution adoptée unanimement le 22 février 2014, le Conseil de sécurité de l’ONU a exigé que « toutes les parties, et en particulier les autorités syriennes, autorisent immédiatement un accès humanitaire rapide, sûr et sans entrave aux organismes humanitaires des Nations Unies et à leurs partenaires de mise en œuvre, y compris à travers les lignes de conflit et à travers les frontières des pays voisins ».
Depuis lors, le gouvernement syrien a pour la première fois autorisé l’aide humanitaire à entrer dans le pays à travers Kameshli, poste-frontière contrôlé par le gouvernement, situé dans le nord du pays, à la frontière avec la Turquie. Pourtant, le gouvernement s’est systématiquement et fermement opposé aux demandes des Nations Unies d’acheminer l’aide à travers d’autres postes-frontières tenus par les rebelles, en Turquie et en Jordanie.
« Personne ne devrait se leurrer quant au fait que la Syrieait bien voulu consentir à ouvrir un seul poste-frontière dans le nord du pays », a déclaré Nadim Houry, directeur adjoint de la division Moyen Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Le refus de la Syrie à envisager un éventuel acheminement de l’aide à travers les postes-frontières tenus par l’opposition signifie que la situation de la vaste majorité des civils manquant cruellement d’assistance reste inchangée. »
Ces postes-frontières constituent le seul moyen sécurisé et efficace de porter secours aux 3 millions de Syriens vivant dans les zones contrôlées par les rebelles et, qui selon l’ONU, ont besoin d’une aide immédiate. Tandis que la position de la Syrie restreint les opérations humanitaires onusiennes à travers ces postes-frontières, des organisations non gouvernementales tentent de pallier les insuffisances en acheminant de l’aide jusqu’aux régions rebelles accessibles depuis la Turquie, la Jordanie et l’Irak. Toutefois, les besoins sont loin d’êtres satisfaits.
L’aide acheminée via le poste-frontière de Kameshli est en grande partie distribuée par le gouvernement et par des organismes étatiques, ce qui soulève des inquiétudes quant à sa livraison réelle aux civils vivant dans les zones contrôlées par l’opposition.
Selon un rapport qui sera présenté au Conseil de sécurité le 28 mars par le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, la Syrie continue également à interférer avec l’aide destinée à environ 175 000 civils dans les zones assiégées par le régime. Toujours selon ces estimations, les forces armées d’opposition bloqueraient l’aide destinée à 45 000 civils dans d’autres régions assiégées. Le rapport du Secrétaire général estime également que 3,5 millions de personnes dans 258 zones « d’accès difficile » à l’intérieur de la Syrie, ont besoin d’une aide immédiate.
À la mi-mars, Human Rights Watch a mené une enquête de terrain dans l’une de ces zones : le camp de Bab al-Salam à proximité de la ville syrienne d’Azaz. Accessible en 10 minutes à pied depuis la frontière turque, le camp abrite plus de 16 000 personnes déplacées, selon son directeur. Les occupants du camp, dont la plupart ont fui la ville d’Alep et sa campagne avoisinante suite aux bombardements aériens aveugles du régime, n’ont pas bénéficié de niveaux adéquats d’assistance humanitaire, malgré leur proximité de la frontière turque. Ils ont reçu un seul repas par jour et n’ont pas eu un accès adéquat à des médicaments, à du personnel soignant et à des installations de soins. Les conditions sanitaires du camp étaient insatisfaisantes.
Au cours des derniers mois, trois autres nouveaux camps ont été dressés dans le village voisin de Shmareen. Des milliers de personnes fuyant Alep s’y réfugient, toujours selon le directeur du camp de Bab al-Salam. Il explique à Human Rights Watch que chaque camp abrite entre treize et quinze mille personnes, tributaires elles aussi des restrictions imposées sur l’acheminement de l’aide humanitaire.
La Syrie est catégorique sur la question. L’aide destinée aux régions rebelles doit entrer sur le territoire via des points de passage contrôlés par le régime syrien et doit être transportée à travers les lignes de conflit. Sur le terrain, les convois d’aide sont donc contraints à emprunter des détours rallongeant de dix fois les itinéraires plus directs, à franchir une douzaine de points de contrôle et à surmonter d’innombrables barrières bureaucratiques et logistiques. Depuis que le Conseil de sécurité a adopté la résolution du 22 février, le gouvernement syrien a autorisé seulement trois convois à entrer dans les territoires aux mains de l’opposition.
« Il est honteux que la Syrie refuse aux personnes situées à quelques kilomètres de la frontière turque l’emprunt de l’itinéraire le plus proche et le plus sûr pour recevoir de l’aide», a observé Nadim Houry. « Le refus arbitraire du régime syrien d’autoriser l’usage des postes-frontières contrôlés par l’opposition condamne des centaines de milliers de syriens à la privation et à la maladie. »
Les combats entre les groupes d’opposition ont également coupé les voies d’acheminement vers certaines régions du Nord de la Syrie à travers les lignes de conflit. Des groupes armés extrémistes ont menacé des convois d’aide. Le rapport du Secrétaire général fait état d’une situation où un convoi n’a pas pu livrer l’aide à deux localités pour des raisons tenant en partie à l’absence de garanties suffisantes imputable à l’un des groupes armés, Jabhat al-Nusra. Dans un autre cas, une faction rebelle armée a violenté des bénévoles du Croissant-Rouge syrien, près de la prison centrale d’Alep.
Le droit humanitaire international prévoit que toutes les parties au conflit autorisent et facilitent le « passage rapide et sans encombre » de l’aide humanitaire aux civils en situation de risques, y compris dans les régions assiégées. Le droit de la guerre exige également que les parties au conflit permettent la libre circulation des civils qui souhaitent quitter ces zones.
Outre bloquer l’aide humanitaire aux postes-frontières tenus par les rebelles, la Syrie empêche la livraison d’aide aux régions assiégées. La résolution du Conseil de sécurité exhorte toutes les parties à « lever immédiatement le siège des zones peuplées », notamment dans les villes de Homs, de Mouadamiya et de Daraya dans la Ghouta occidentale et la Ghouta orientale, dans le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk au Sud de Damas et à Nubul et Zahra, villes assiégées par des factions rebelles armées.
Parmi les cas cités par le Secrétaire général, un convoi onusien muni d’une autorisation d’entrée à Mouadamiya s’est vu refuser l’accès à cette ville le 18 mars dernier. Les forces pro-gouvernementales n’autorisaient que les livraisons dans les zones contrôlées par le régime syrien. Le jour précédent, le convoi avait été soumis à de longues fouilles après quoi les forces de sécurité syriennes lui ont interdit de transporter des médicaments jusqu’à Mouadamiya.
Étant donné l’ampleur des besoins dans les régions frontalières avec la Jordanie et la Turquie, les organisations humanitaires onusiennes devraient s’engager dans des opérations transfrontalières, a recommandé Human Rights Watch. De son côté, l’ONU devrait renforcer son soutien aux organisations non gouvernementales qui parviennent à livrer de l’aide à travers ces frontières. Les bailleurs de fonds sont appelés à accroître leur financement de ces opérations.
Le Conseil de sécurité, qui a explicitement exprimé « son intention de prendre des mesures supplémentaires en cas de non-respect »de sa résolution du 22 février, devrait sanctionner le régime syrien par des mesures punitives pour violation manifeste de celle-ci, a déclaré Human Rights Watch. De telles mesures devraient comprendre l’imposition d’un embargo sur les armes au gouvernement syrien et à tous les groupes impliqués dans des violations généralisées ou systématiques des droits humains, des sanctions visant les auteurs de violations graves, ainsi que le renvoi de la situation syrienne devant la Cour pénale internationale (CPI).
« Combien de temps les civils syriens vont-ils encore être laissés pour compte en attendant de recevoir une aide humanitaire des plus basiques ? », s’est interrogé Nadim Houry. « Plutôt que d’attendre le feu vert d’Assad, les Nations Unies et les bailleurs de fonds devraient d’ores et déjà renforcer leurs opérations de secours à travers les frontières. »
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Situation au camp de personnes déplacées de Bab al-Salam
Les occupants du camp de Bab al-Salam disent qu’ils ne reçoivent qu’un seul repas par jour, information confirmée par le directeur du camp. Human Rights Watch a également vu des mères supplier les responsables du camp pour recevoir des bons de lait afin de nourrir leurs jeunes enfants.
Les habitants vivent dans des tentes dressées à même la terre, transformée en boue par les pluies récentes. Les tentes n’ont pas été aménagées pour l’hiver. Le nombre de latrines est insuffisant en raison de l’agrandissement rapide du camp. Les occupants ont construit des toilettes improvisées qui ont formé des fosses d’eaux usées dans toute l’installation. Un conduit d’égouts à l’air libre, qui d’après les dires des habitants, a pour point de départ le camp Kilis 1 en Turquie, sillonne le camp de Bab al-Salam. Les habitants ont installé une petite passerelle pour traverser le conduit d’égouts et pouvoir circuler de part et d’autre.
Ils ont dit à Human Rights Watch qu’avec la pluie, les eaux usées provenant du camp Kilis 1 et des toilettes improvisées s’écoulaient dans les tentes et les voies de passage aménagées. « Si nous en sommes là aujourd’hui, imaginez l’odeur en été », fait remarquer un occupant. Le directeur du camp de Bab al-Salam a également indiqué à Human Rights Watch que le camp était infesté d’animaux nuisibles, notamment de souris et de rats, et que le personnel ne disposait d’aucun pesticide pour y remédier.
Les habitants se plaignent de ne pas avoir un accès adéquat à des médicaments, à du personnel soignant et à des installations de soins. Les personnes souffrant de blessures de guerre graves sont transportées en Turquie pour y recevoir des soins. Celles atteintes de maladies chroniques ou autres n’ont d’autres choix que d’être traitées dans les deux dispensaires du camp où travaillent au total huit docteurs et sept infirmiers.
Le directeur du camp explique que dans certains cas, des patients ont dû être transportés clandestinement en Turquie pour bénéficier d’une dialyse ou d’autres soins. Le directeur déplore par ailleurs que l’hôpital manque de médicaments adaptés, y compris pour le traitement de la leishmaniose, une maladie à transmission vectorielle qui provoque des lésions de la peau.