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Les sacrifiés d'Akhchtyr

Le coût humain des JO de Sotchi est particulièrement lourd

Publié dans: Le Monde

En accueillant un événement international aussi prestigieux que les Jeux olympiques, le Kremlin espère rehausser le prestige de la Russie. Mais le visage de ce qui était autrefois une pittoresque station balnéaire au bord de la mer Noire a été bouleversé à jamais par les travaux colossaux qu'aura exigés leur préparation. Il n'est pas étonnant que Sotchi ait battu le record des Jeux les plus coûteux de l'histoire. Leur coût humain, lui aussi, est particulièrement lourd.

Les habitants du village d'Akhchtyr en savent quelque chose. « Au début, l'annonce des Jeux olympiques nous a emplis d'espoir, a déclaré à Human Rights Watch Alexander Koropov, un quinquagénaire qui a vécu toute sa vie dans le village. D'autant que Poutine avait affirmé que personne ne serait lésé par les travaux d'aménagement. Mais en réalité, chez nous, c'est tout le village qui a souffert. »

Niché dans les monts du Caucase, Akhchtyr, qui compte un peu plus de 150 habitants, est situé entre les installations olympiques construites sur la côte de la mer Noire à proximité de Sotchi et les installations olympiques de la station de sports d'hiver de Krasnaïa Poliana. Pour relier ces deux sites, distants de 48 km, les autorités ont construit une autoroute et une voie ferroviaire. L'autoroute a coupé un chemin en terre qu'adultes et enfants du village empruntaient autrefois pour gagner la route voisine, où des cars et des bus scolaires les emmenaient à l'école ou au travail.

Les autorités ayant négligé de prévoir une passerelle pour piétons, traverser l'autoroute est devenu une entreprise dangereuse. L'accès aux transports publics des habitants d'Akhchtyr est donc largement compromis, et il leur est désormais difficile de se rendre à l'école, d'accéder à une clinique ou à d'autres services indispensables.

Quand des enquêteurs de Human Rights Watch se sont rendus à Akhchtyr en 2013, les villageois étaient désespérés. « Depuis le début des travaux pour les Jeux olympiques en 2008, la situation du village n'a cessé de se dégrader, se plaignait une femme. Nous avons été coupés du monde civilisé. Autrefois, il nous fallait environ vingt-cinq minutes pour nous rendre à l'arrêt de car. Maintenant il faut presque deux heures. »

Au début des travaux, les autorités ont ouvert, au-dessus d'Akhchtyr, plusieurs carrières ainsi qu'une énorme décharge pour accueillir les gravats et les déchets des travaux. La route en terre qui traversait le village a été goudronnée afin que les camions puissent rejoindre les carrières et la décharge. Dès lors, les habitants d'Akhchtyr ont dû vivre dans un nuage de poussière permanent et subir le bruit assourdissant de la noria de camions.

Non seulement ils ont inhalé de la poussière durant des années, mais ce fléau a tari leur principale source de revenus : la production et la vente de produits locaux. Pêches, figues et kakis sont apparemment moins résistants que les humains. On aurait pu penser qu'avec la fin des travaux la vie allait reprendre son cours normal. C'était compter sans la disparition des sources naturelles, détruites lors du goudronnage du chemin qui traversait Akhchtyr.

Cinq ans sans eau courante

A cause des Jeux olympiques de Sotchi, depuis plus de cinq ans les familles d'Akhchtyr ne disposent plus d'un approvisionnement sûr en eau. Or les habitants ne pourront remettre en état leurs jardins et vergers s'ils ne peuvent les arroser correctement.

Depuis plusieurs années, environ une fois par semaine, les autorités fournissent de l'eau potable au village par camion. Cela suffit à peine pour boire, et les villageois redoutent qu'après la fin des Jeux les autorités cessent tout simplement leurs livraisons.

Ils ont quelques raisons d'être inquiets. En 2010, à la suite de nombreuses réclamations, les autorités ont fini par installer une pompe à eau à Akhchtyr. Les habitants étaient ravis. Une brochette de responsables publics locaux est venue au village pour participer, devant les caméras, à l'installation de la pompe. Or ce fut l'unique jour où elle fonctionna. Le lendemain matin, les habitants constatèrent que la pompe avait été débranchée pour, finalement, ne jamais être remise en service.

On pourrait se dire qu'après tout il ne s'agit que de 150 personnes, à comparer aux millions de gens passionnés par les épreuves. Et pourtant, dans ce qu'ils ont de meilleur, les Jeux olympiques devraient célébrer la dignité et les réalisations humaines, et non causer du tort à ceux qui vivent là où ils se déroulent.

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(Traduit de l'anglais par Gilles Berton)

Tanya Lokshina est responsable de l'ONG Human Rights Watch à Moscou.

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