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Cela peut sembler surréaliste, mais ma rencontre avec le Général Abdallah Hamat a commencé par une grande accolade. C’est un homme de forte carrure, qui remplit bien son uniforme militaire tout comme le costume élégant qu’il portait ce jour-là. Il me serre fort dans ses bras, d’un geste qui semble sincère. Toutefois, notre rencontre ce 15 novembre à Bangui, capitale de la République centrafricaine, n’avait rien d’un événement social. J’étais là pour poser des questions difficiles, des questions pouvant impliquer le général dans des crimes de guerre. 

Ce n’était pas la première fois que je posais les yeux sur le général. Cinq jours auparavant, dans la petite ville de Gaga, j’avais vu Hamat rassembler ses hommes, d’anciens combattants de la Séléka censés servir dorénavant dans l’armée nationale, avant qu’ils n’attaquent le village de Camp Bangui. Il avait déjà confisqué des motos à des chauffeurs locaux afin de transporter ses hommes, mais il avait du mal à se procurer du carburant. Il a interpellé une petite foule rassemblée : « N’y a-t-il ici aucun musulman loyal pour nous donner du carburant afin que nous puissions combattre l’ennemi ? » La plupart des marchands se sont alors éloignés discrètement, mais certains, par peur ou par sentiment d’obligation, ont accédé à cette demande.

Le lendemain, des rumeurs faisant état de villages incendiés et de civils tués ont commencé à circuler.

Le 14 novembre, j’ai roulé en moto avec mon interprète sur une petite route, et au bout de quatre heures nous avons fini par arriver à la lisière de Camp Bangui. Nous pouvions sentir l’odeur des cadavres avant même d’arriver au village. Un jeune homme gisait mort en travers du chemin. Le village avait été dévasté. J’ai rapidement dénombré des dizaines de maisons incendiées. Une casserole contenant encore des restes de nourriture était posée sur un fourneau brûlé, à côté d’une chaise renversée. Il est rare de capter des instants aussi intimes du moment où une personne tente d’échapper à la mort.

Nous avons réussi à trouver quelques personnes qui se cachaient à proximité du village abandonné. Elles ont confirmé que les ex-Séléka avaient fait irruption en tirant sur tous ceux qu’ils trouvaient. Les personnes que j’ai rencontrées avaient découvert d’autres corps dans les rues, mais personne ne connaissait le nombre exact des victimes. C’était trop dangereux de s’attarder pour les compter. Le bilan final ne sera peut-être jamais connu.

Pendants les six derniers mois, Human Rights Watch a rendu compte des atrocités perpétrées par les ex-Séléka, une coalition principalement musulmane qui a pris le pouvoir en République centrafricaine le 24 mars 2013. L’attaque contre Camp Bangui était la première occasion où j’étais témoin en République centrafricaine d’une responsabilité de commandement flagrante dans des atteintes aux droits humains.

Ainsi, lorsque je me suis entretenu avec le général, il m’a affirmé que ses forces à Camp Bangui avaient combattu l’ennemi, les anti-balaka, des groupes armés principalement chrétiens usant de représailles contre les exactions des ex-Seleka.

Quatre maisons seulement avaient été endommagées dans les combats, selon lui. « Je l’ai vu de mes propres yeux », a-t-il déclaré. L’attaque, a soutenu Hamat, était une « intervention humanitaire » qui devait permettre aux habitants de retourner chez eux en sécurité, après que les anti-balaka avaient été neutralisés.

L’attaque contre Camp Bangui constitue une violation des lois de la guerre, qui interdisent les attaques contre les civils, ainsi que la destruction et le pillage de biens civils. Les personnes qui ordonnent de telles attaques sont responsables de crimes de guerre. Les amabilités du général n’y changent rien.

Les habitants de la RCA font les frais de ce conflit de plus en plus sectaire entre les ex-Séléka et les anti-balaka. Mettre fin aux atteintes aux droits humains commises contre des civils – qui ont perdu leurs proches, tout sentiment de sécurité et le peu de biens qu’ils possèdaient – exige une attention internationale et des efforts plus concertés que ne peut offrir un seul homme sur une moto.

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