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Le troisième projet de Constitution, adopté par la commission de coordination au sein de l’Assemblée nationale constituante (ANC) à minuit le 22 avril 2013, nous met face à des incertitudes sémantiques et normatives peu rassurantes pour l’avenir des droits humains en Tunisie.

Le texte est le résultat de longs mois d’élaboration et de discussions au sein des six commissions constituantes de l’ANC, d’une lecture en séance plénière et de modifications apportées par la commission de coordination.

Ce texte, issu d’équilibres politiques et de forces idéologiques antagonistes, porte en lui des ambigüités et de profondes contradictions qui brouillent le sens des droits et laisse planer le doute sur leur portée, ouvrant ainsi la voie à des interprétations contraires aux droits humains.

Dès le préambule, on y lit que la Constitution est fondée sur les principes immuables de l’Islam et ceux des droits de l’homme universels « qui sont en accord avec les spécificités culturelles du peuple tunisien », ce qui leur appose des qualificatifs culturalistes propices à vider ces droits de leur sens.

Dans le chapitre droits et libertés, plusieurs articles affirment des droits tout en donnant une large marge de manœuvre au législateur pour les restreindre à volonté, sans les garde-fous requis par le droit international.

La liberté d’expression y est garantie et ne peut être restreinte que par « une loi qui protège le droit des autres, leur réputation, leur sécurité et leur santé », une formule qui n’intègre pas les principes de nécessité et de proportionnalité requis pour toutes les limitations légitimes aux droits humains.

Absence de la liberté de conscience

De même, la liberté de conscience, qui garantit le droit de chacun à adopter une religion de son choix, à changer de religion ou à n’adopter aucune religion y est introuvable. La liberté de croyance s’y trouve mais est liée à l’exercice du culte.

De plus, le contexte sémantique de l’article, où il est question de l’Etat comme le « patron de la religion » et le « protecteur du sacré », laisse planer le flou sur le sens de ces concepts et donne ainsi trop de place à l’Etat pour interférer, réglementer et orienter cette liberté.

Cette impression est renforcée par l’article 136, qui affirme que l’Islam est la religion de l’Etat. L’adoption par un Etat d’une religion officielle n’est pas interdite par le droit international. Cependant, une telle mention préfigure la possibilité de discrimination sur la base de l’appartenance religieuse et d’interprétations orthodoxes de la religion dominante qui risquent de museler les opinions dissidentes.

Mais ce qui aggrave davantage la déviation du sens universel des droits humains, c’est l’absence d’une clause générale intégrant les conventions internationales des droits de l’Homme ratifiées par la Tunisie en tant que partie intégrante de l’ordre interne.

Pire, les conventions internationales ont une suprématie sur les lois mais, selon l’article 21, sont inférieures à la constitution, ce qui, en l’absence d’un article qui réitère l’engagement de la Tunisie à respecter les conventions internationales qu’elle a ratifiée, donnera l’occasion au législateur et au juge d’ignorer les droits humains sous prétexte qu’ils sont contraires au texte suprême.

Universalité?

Les débats au sein des commissions ainsi que ceux tenus en plénière ont montré de façon flagrante qu’un groupe parlementaire en particulier, Ennahdha, était opposé à l’introduction de références aux droits humains universels ou à l’incorporation de toutes les conventions internationales auparavant ratifiées par la Tunisie de manière directe dans l’ordre interne.

Pourtant, le leitmotiv martelé par les Islamistes durant les élections et dans leurs discours officiels a souvent été de vouloir concilier « l’Islam et les droits de l’Homme », qu’ils ne considèrent pas comme antagonistes mais bien complémentaires.

Mais la formulation choisie dans le projet de Constitution ne peut que laisser perplexe sur la réalité de cet engagement. Ennahdha a certes renoncé à l’introduction de la Sharia en tant que source de la législation en mars 2012, mais elle a refusé de renoncer à un article controversé qui qualifie l’Islam de « religion de l’Etat », rompant ainsi l’équilibre savant de l’article premier de la Constitution, adopté par consensus, qui parle plutôt de l’Islam, religion de la Tunisie dans une acception sociologique et non normative.

Certes, le projet contient une liste de droits politiques, économiques et sociaux ainsi que des garanties importantes pour leur application, comme une nouvelle cour constitutionnelle qui va être investie d’un contrôle en amont et en aval de la constitutionnalité des lois.

Mais ces garanties seront toujours fragiles tant qu’une orientation claire et sans ambiguïté n’est pas prise en faveur des droits humains.

Corriger les défauts du texte

Un texte constitutionnel adopté à la suite d’une révolution qui a renversé un régime autocratique se doit d’instituer les fondements d’un système à la hauteur des revendications sociales et politiques des Tunisiens.

Pour y réussir, il faudrait intégrer une clause qui incorpore les conventions internationales des droits de l’homme comme partie intégrante du droit interne, exiger que toutes les institutions de l’Etat interprètent la charte des droits et des libertés dans un sens conforme à leur acception universelle, et mentionner qu’aucun article de la constitution, y compris l’article premier ou l’article 136, s’il est maintenu, ne doit être interprété dans un sens discriminatoire ou contraire aux libertés publiques et individuelles.

Avant de passer au vote sur le texte définitif de la constitution, prévu au moins de juillet 2013, il faudrait corriger les défauts du texte et en faire un rempart solide contre la résurgence de toute forme d’autoritarisme.

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