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"Ce sera sanglant". Tel est le message qu'a reçu un avocat camerounais en octobre 2012. "Dis à ton complice que nulle part dans ce pays [ses enfants] n'auront la paix".

Ces quatre derniers mois, deux avocats camerounais ont reçu une série de menaces de mort par courriel et par SMS. Les messages sont devenus de plus en plus virulents au fil du temps et consistent notamment en des menaces de mort à l'encontre des avocats eux-mêmes, de leurs enfants et de leurs clients.

Pourquoi une telle haine? Ces deux avocats, Maître Alice Nkom et Maître Michel Togué, ont eu le courage de défendre des clients accusés de comportement homosexuel, dans un contexte social et politique marqué par une homophobie.

Human Rights Watch a adressé récemment une lettre au président du Cameroun, Paul Biya, pour protester contre l'absence de réaction du gouvernement face aux menaces proférées à l'encontre de Maître Nkom et de Maître Togué.

Depuis 2010, au moins 28 personnes ont été poursuivies pour avoir eu des rapports intimes avec des personnes consentantes du même sexe, ce qui, au Cameroun, constitue un crime passible de cinq ans de prison. Le simple fait d'être présumé lesbienne, gay ou bisexuel est souvent un motif suffisant pour se faire arrêter. Les gendarmes et les policiers intimident et torturent ensuite les "suspects", par exemple en les frappant à coup de bâtons sur la plante des pieds, ce qui les rend incapables de marcher pendant plusieurs jours, tout en les questionnant longuement sur les comportements homosexuels qu'ils ont pu avoir.

Le plus souvent, les suspects passent aux aveux. Ils sont ensuite traînés devant le tribunal où, dans la majorité des cas, ils n'ont droit qu'à un simulacre de procès, dont l'issue dépend davantage des préjugés du juge sur les questions d'homosexualité et d'identité de genre que des preuves présentées.

Le cas de Roger Mbede en est un triste exemple. Il a été arrêté à Yaoundé en mars 2011 après avoir envoyé plusieurs SMS à un autre homme, C.F., lui faisant part de son attirance pour lui. Ces messages étaient pourtant respectueux et inoffensifs. L'un d'eux disait:

“Je suis tombé amoureux de vous".

Au lieu de décliner poliment les avances de Roger Mbede, C.F. est allé signaler l'affaire aux gendarmes. Ces derniers ont proposé de tendre un piège à Roger Mbede: C.F. l'inviterait chez lui ce soir-là et, lorsqu'il arriverait, des agents le prendraient sur le fait, ayant obtenu dans cette visite la "preuve" de son homosexualité.

En avril 2011, Roger Mbede a été déclaré coupable et condamné à trois ans de prison. Maître Togué, avocat spécialisé dans les droits humains, a pris connaissance de cette affaire et décidé d'assurer la défense de Roger Mbede. Maître Nkom, avocate, militante infatigable et fondatrice de l'Association pour la Défense des Homosexuel-le-s en 2003, s'est jointe à Maître Togué pour faire appel du jugement ayant condamné Roger Mbede.

Au cours des dix-huit mois qui ont suivi, alors que l'appel de Roger Mbede suivait lentement son cours dans les rouages de l'appareil judiciaire, le nombre d'arrestations pour "homosexualité" se sont multipliées au Cameroun, conférant au pays le triste record mondial du nombre de personnes poursuivies pour des pratiques homosexuelles consenties. Maître Togué et Maître Nkom travaillent sans relâche pour représenter les défenseurs de l'"homosexualité", prenant souvent à leur charge divers frais.

Malheureusement, l'engagement des deux avocats en faveur de la justice et de l'égalité des droits pour tous les Camerounais, quelles que soient leur orientation sexuelle ou et leur identité de genre, n'a pas été bien reçu dans certains quartiers. En octobre 2012, des tribunaux de Yaoundé ont tenu des audiences publiques dans deux affaires d'homosexualité, suscitant une attention nationale et internationale. Il s'agissait des procès de Roger Mbede, d'une part, et de Jonas et Franky, deux jeunes transgenres, d'autre part.

La veille de l'audience du procès de Jonas et Franky, la directrice de l'école où est scolarisée la fille de Maître Togué a dit à ce dernier qu'elle avait reçu un coup de téléphone, pendant la classe, d'un homme l'ayant chargée de dire à l'avocat qu'il devait arrêter de représenter des "pédés". À partir de ce jour-là, Maître Togué et Maître Nkom ont reçu des menaces par courrier électronique et par SMS. Un message envoyé à Maître Nkom disait:

“Continuez et vous verrez... Un accident est vite arrivé".

Un autre, envoyé à Maître Togué, le menaçait ainsi:

“Choisis celui de tes enfants que nous allons transformer en pédé comme toi”.

Maîtres Togué et Nkom ont tous deux porté plainte à la suite de ces menaces. Maître Togué est allé porter plainte en personne au commissariat de police, où les agents lui ont conseillé d'arrêter de prendre la défense des homosexuels s'il voulait éviter d'être la cible de menaces. Maître Nkom a déposé auprès du bureau du procureur une plainte écrite, restée sans suite.

Les menaces ont continué et se sont aggravées au moment du procès en appel de Roger Mbede, dont la condamnation a été confirmée, et au moment du procès en appel de Jonas et Franky, dont la condamnation a été invalidée. Juste après l'audience du procès de Roger Mbede, Maître Togué a reçu le message suivant:

“Abandonne cette folie ou alors tu iras à un deuil la semaine qui précède chaque procès".

Maître Nkom a reçu un message de menace à l'encontre de ses clients.

Au Cameroun, toute menace de mort écrite constitue un crime, passible de deux à cinq ans de prison en vertu de l'article 302 du Code pénal.

Toutefois, l'apparente inaction de l'État pour enquêter sur les menaces proférées à l'encontre de Maîtres Togué et Nkom est consternante, surtout lorsqu'on la compare aux efforts substantiels déployés par les responsables de l'application des lois pour traquer et poursuivre en justice les personnes accusées d'homosexualité. Au vu du nombre infime d'avocats assez courageux pour accepter de se charger des affaires d'"homosexualité", l'inaction de l'État peut s'apparenter à une violation du droit de la défense.

En d'autres termes, au Cameroun, lorsque vous envoyez un message d'amour, vous courez le risque d'être condamné à passer trois ans en prison. Par contre, si vous envoyez des messages de haine et de violence, l'État ne réagira pas.

En janvier dernier, le Président Biya a déclaré lors d'une conférence de presse à Paris que les "mentalités évoluent" au Cameroun en ce qui concerne l'homosexualité. Toutefois, le gouvernement ne devrait pas rester les bras croisés en attendant un progrès social qui tarde à se manifester, alors qu'au même moment des avocats courageux risquent leur vie.

Monsieur Biya devrait montrer l'exemple en déclarant publiquement que les menaces et la violence homophobes sont répréhensibles et ne seront pas tolérées. Il devrait veiller à ce que les forces de sécurité prennent des mesures immédiates pour enquêter sur les menaces adressées à Maître Togué et Maître Nkom.

Il est inacceptable que le Cameroun punisse l'amour mais laisse la haine se déchaîner.

 

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