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© 2025 Dianah Lala Bwengye pour Human Rights Watch

L'adoption de la loi ougandaise contre l'homosexualité (« Anti-Homosexuality Act ») en 2023 met en danger la vie des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) ainsi que celle des personnes qui les soutiennent. Cette loi qui prévoit la peine de mort pour « homosexualité aggravée » et de longues peines de prison pour « promotion de l'homosexualité », a entraîné une vague d'arrestations, de descentes dans les organisations et les refuges, d'expulsions abusives des logements et des discours publics haineux. Par conséquent, de nombreuses personnes LGBT sont entrées dans la clandestinité.

Dans le contexte de cette répression, un petit groupe de mères ougandaises - certaines pour la première fois - ont commencé à s'exprimer publiquement pour soutenir leurs enfants LGBT. 

En avril 2023, huit mères ont signé une lettre ouverte au président Yoweri Museveni, l'exhortant à ne pas approuver le projet de loi anti-homosexualité. Elles ont écrit : « Nous ne sommes pas des promotrices d'un quelconque agenda ; nous sommes des mères ougandaises qui ont surmonté de nombreux préjugés pour comprendre, accepter et aimer pleinement nos enfants. » Elles ont appelé le président à protéger tous les enfants de la violence et de la discrimination.

Le Président a néanmoins signé le projet de loi.

Cependant, les mères n'ont pas reculé.

Au cours de l'année 2024, Human Rights Watch a rencontré sept mères signataires de la lettre, dans la capitale ougandaise, Kampala, et dans le district voisin de Wakiso. Dans un pays où le soutien public aux droits LGBT est rare et potentiellement illégal, ces mères font preuve de clarté, de compassion et de conviction. Leurs histoires illustrent le coût humain des lois anti-LGBT et le courage silencieux des parents qui y résistent, par amour pour leurs enfants.

© 2025 Dianah Lala Bwengye pour Human Rights Watch

Mama Joseph (mère de Joseph)

L'une des premières à prendre la parole était Mama Joseph, mère de cinq enfants. Son aîné, Joseph, aujourd'hui âgé de 26 ans, s'identifie comme non binaire. À 17 ans, Joseph a révélé à sa mère qu'il se sentait comme une fille et qu'il était attiré par les garçons. La conversation a été douloureuse et déroutante. « J'ai beaucoup pleuré », a-t-elle déclaré. « Je savais que mon enfant était différent. Mais c'était difficile. » Comme beaucoup de parents, sa réaction initiale a été d'essayer de changer son enfant. Elle a envoyé Joseph vivre chez des proches, espérant ces derniers l'aideraient à « corriger » son penchant. Mais alors que Joseph devenait dépressif, Mama Joseph a réalisé que ce déménagement ne faisait qu'aggraver les choses. Finalement, elle a ramené Joseph à la maison. « Il n'y a rien que vous puissiez faire sauf nuire », avoue-t-elle après réflexion, « quand vous essayez à tout prix que votre enfant soit conforme à ce qu’on attend de lui». Et en tant que mère de Joseph, ce qu’elle en tire comme leçon c’est ceci : « personne ne va soutenir mon enfant sauf moi ».

Malheureusement, ce soutien s'accompagne désormais d'un risque significatif après l'adoption de la loi sur l'anti-homosexualité. Joseph vit dans une peur presque constante qui affecte également Mama Joseph. Être visible en tant que personne non binaire peut attirer le harcèlement ou pire.

L'attention médiatique intense sur la loi a créé une anxiété accrue pour les personnes LGBT et pour les personnes qui les aiment. « Chaque fois qu'ils parlent des personnes LGBT, quelque chose de mauvais arrive », a déclaré Mama Joseph. Mais sa position est claire : « Aucune loi ne changera mon amour pour mon enfant. »

Mama Denise (mère de Dennis)

Mama Dennis, la quarantaine avancée, a partagé un parcours similaire. Sa fille, Dennis, est une femme transgenre de 24 ans. Dès son jeune âge, Dennis s'est exprimée de manière à défier les normes de genre. Elle préférait les robes aux pantalons et adorait jouer avec les vêtements de ses sœurs. Dans son école à 10 ans, elle a même participé à un concours de mannequinat contre des filles et a gagné. Sa mère se souvient de son assurance et de sa force.

En 2020, pendant le confinement dû à la Covid-19, lorsqu'un crime à caractère moral et sexuel s'est produit près de chez Dennis, ses voisins ont saisi l'occasion pour signaler l'expression de genre et l'orientation sexuelle de Dennis à la police, bien qu'ils sussent que Dennis n'était pas impliquée dans ce crime. Les autorités ont alors arrêté Dennis et l'ont faussement accusée d'autres délits. Furieuse, Mama Dennis s’en est prise directement à sa communauté, en particulier les hommes. « Je leur ai demandé : 'Mon enfant a-t-il couché avec l'un d'entre vous ?' Ils étaient embarrassés. Je ne m’en souciais pas. »

Aujourd'hui, à cause de la loi anti-homosexualité, Dennis est de nouveau caché. Elle ne vient plus rendre visite, et son absence a laissé un silence dans la maison. « Sa joie me manque », a déclaré sa mère. « Mais je continuerai à la défendre. Nos enfants ne sont pas des criminels. »

Pour ces mères, la loi a créé non seulement la peur, mais aussi de la clarté. « Cette loi nous montre que nous ne sommes pas égaux » a déclaré Mama Dennis. « Notre gouvernement est en colère. Il devrait utiliser cette énergie pour lutter contre la discrimination, pas contre nos enfants. »

© 2025 Dianah Lala Bwengye pour Human Rights Watch

Mama Arthur (mère d’Arthur)

Mère de cinq enfants, Mama Arthur a vécu un autre type de combat. Son aîné, Arthur, a été arrêté en 2014 en vertu de la précédente loi anti-homosexualité, invalidée par la Cour constitutionnelle. Depuis lors, Arthur vit caché et leur communication est limitée et secrète. La vraie bataille, cependant, se déroule à la maison. Son mari, le père d'Arthur, n'a jamais accepté leur enfant. « Il me fait constamment des reproches », dit-elle. « Il me harcèle pour avoir donné naissance à un enfant ‘maudit’ ».

Son mariage est devenu un espace de conflit quotidien. « Je vis comme une mère célibataire avec un mari », dit-elle. « Mais j'apprécie beaucoup mon enfant. J'accepte Arthur tel qu'iel est. » Elle souhaite que les chefs religieux, dont beaucoup ont soutenu la loi contre l'homosexualité, reconsidèrent leur message. « Si vous êtes une personne de foi, vous devriez prêcher l'amour, pas la haine. »

© 2025 Dianah Lala Bwengye pour Human Rights Watch

D'autres mères

Trois autres mères - Mama Rihanna, Mama Joshua et Mama Hajjat - ont fait l'objet d'une attention publique négative après l'arrestation de leurs enfants en 2016 et 2022 respectivement. La vaste couverture médiatique nationale qui a suivi, avec les noms, les visages et les délits présumés de leurs enfants, a eu des conséquences dévastatrices sur elles et leurs familles. Chaque mère a dû faire face, seule, aux retombées.

L'une d'entre elles a vendu sa seule vache pour payer les frais de justice et obtenir la libération de son enfant. Une autre a été contrainte de déménager après que ses voisins aient multiplié des gestes hostiles. La troisième a dû cacher sa fille pour la protéger d'un partenaire violent. Dans chacun de ces cas, la sécurité, les finances et la réputation de la famille ont été bouleversées du jour au lendemain.

Pourtant, ces mères sont restées inébranlables. « La sexualité n'a pas d'importance », déclare Mama Hajjat, aujourd'hui âgée d'une cinquantaine d'années. C'est ainsi qu'elle aussi a protégé sa fille pendant les pires moments de la crise, lors des débats sur le projet de loi. Avec le temps, même son partenaire auparavant menaçant, a commencé à s'adoucir. « Il a vu ce que ma fille avait vécu, ce dont elle était capable. Il a commencé à changer. »

Pour Mama Joshua, la question est profondément politique. « Nos enfants sont la cible la plus facile » a-t-elle dit. « Mais ils ne sont pas le problème. » Elle croit que le gouvernement utilise les personnes LGBT comme boucs émissaires pour détourner l'attention des échecs de gouvernance plus larges. « Rien de tout cela ne créera des emplois. Cela ne construira pas de routes. Cela ne nourrira pas les enfants. C'est juste une distraction. »

Il existe effectivement des preuves pour soutenir cette affirmation. La rhétorique anti-LGBT en Ouganda, comme dans d'autres pays, s'intensifie souvent en période de pression politique ou économique. Les dirigeants utilisent la panique morale pour consolider le pouvoir, mobiliser le soutien populaire et détourner les critiques. La loi anti-homosexualité, introduite et adoptée au milieu de scandales de corruption et avant un cycle électoral critique, a servi cet objectif. Mais son coût—mesuré en peur, violence et exil—est supporté de manière disproportionnée par les personnes LGBT et celles qui les aiment.

Les mères interviewées par Human Rights Watch sont affiliées à Parents of Lesbians and Gays-Uganda (PFLAG-Uganda), un projet d'intervention sociale dans le cadre du programme de diversité, d'équité et d'inclusion de Chapter Four Uganda. Elles ne s'identifient pas comme des militantes. La plupart sont profondément religieuses, et plusieurs fréquentent régulièrement l'église ou la mosquée. Certaines ont peur des conséquences de leur prise de parole. Mais aucune ne regrette de soutenir ses enfants.

Elles ont formé des réseaux discrets de solidarité depuis 2019, se rencontrant régulièrement, partageant des conseils et se réconfortant mutuellement lorsque des enfants disparaissent ou fuient le pays. Elles savent qu'elles ne sont pas seules, même si l'État essaie de les isoler.

« Nous sommes des mères », a déclaré Mama Dennis. « Nous connaissons nos enfants. Nous les aimons. »

Leurs voix sont claires et cohérentes. Certaines ont pris la parole à la radio communautaire ou ont assisté à des audiences judiciaires. D'autres écrivent des lettres, passent des appels téléphoniques ou refusent simplement d'abandonner leurs enfants.

Et leur nombre est en croissance, avec le soutien de Clare Byarugaba, la fondatrice de PFLAG-Uganda.

Le message de ces mères reste ancré dans l'espoir : que l'amour peut coexister avec la peur, que la compréhension peut vaincre l'endoctrinement et que le changement, aussi lent soit-il, est possible. « Les gens peuvent apprendre », a déclaré une mère. « C'est une question de temps.

En Ouganda, l'espace public consacré aux droits humains s'est considérablement réduit. Mais ces femmes se taillent un espace dans le domaine le plus personnel : le foyer. Elles défient la violence politique non pas en manifestant, mais en étant présentes. Par la constance. Par l'attention qu'elles portent à leurs enfants et aux autres.

Leur résistance n'est peut-être pas visible dans les rues, mais elle est constante. Leur choix d'aimer leurs enfants - et de le dire publiquement - est à la fois profondément personnel et intrinsèquement politique.

« Je ne pourrais jamais cesser d'aimer mon enfant », a répété une mère, sans hésiter.

Et elle ne cessera jamais.

© 2025 Dianah Lala Bwengye pour Human Rights Watch

 

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