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Cameroun : Lettre au Président du Cameroun Paul Biya

Lettre sur les menaces de mort à l’encontre de deux avocats camerounais représentant des clients accusés d'homosexualité

le 13 février 2012

Son Excellence Paul Biya
Président de la République du Cameroun
Présidence de la République
P.O. Box 100
Yaoundé, Cameroun

Via facsimile à la Mission Permanente du Cameroun auprès des Nations Unies

Objet : Menaces de mort à l’encontre de deux avocats camerounais défenseurs des droits humains

Monsieur le Président,

Nous vous écrivons afin d'attirer votre attention sur une série de menaces de mort reçues au cours des quatre derniers mois par Maître Alice Nkom et Maître Michel Togué, deux avocats camerounais défenseurs des droits humains qui représentent des clients accusés d'homosexualité aux termes de l'article 347 bis du code pénal du Cameroun. Nous sommes profondément préoccupés par l'apparente inaction de l'État en réponse à ces graves menaces.

Maître Nkom et Maître Togué ont tous deux commencé à recevoir des menaces de mort à la mi-octobre 2012, quand deux affaires dans lesquelles ils représentaient des clients accusés d'homosexualité – celle concernant Roger Jean-Claude Mbédé, ainsi que celle concernant Franky Djomé et Jonas Singa Kimié – ont eu un retentissement national et international. Il s'agit de menaces de violences proférées à l'encontre des avocats eux-mêmes, de leurs enfants et de leurs clients, et envoyées par courriel et par messages SMS.

Les menaces de mort font explicitement allusion au travail de ces avocats visant à défendre des personnes présumées gays ou lesbiennes. Les menaces proviennent de l'adresse électronique «pasdepedesauCameroon@gmail.com», et de plusieurs numéros de téléphone camerounais. Les messages contiennent des formules insultantes et homophobes à l'égard de Maître Nkom et de Maître Togué. Ils avertissent que les avocats seront assassinés à des dates précises. Un de ces messages, adressé à Maître Nkom, promet: «Ce sera sanglant ». Un autre, qui menace ses clients, avertit : « Il ne reste plus [qu'à trouver] leurs maisons… les quartiers dans lesquels elles se trouvent sont déjà entre nos mains ». Un des messages reçus par Maître Togué contient des photos de sa fille prises devant l'école primaire qu'elle fréquente, ce qui indique que les auteurs de ces menaces ont pris en filature les avocats et leurs familles. Un message ultérieur a intimé à Maître Togué l'ordre de cesser « de défendre tes idées de pédé », sous peine de se retrouver un jour « au chevet d'un de tes enfants mourant(e)». Nous avons joint ces messages à cette lettre, en annexe.

Maître Alice Nkom a porté plainte par écrit auprès des procureurs de la République de Douala et de Yaoundé, fin octobre 2012. À ce jour, elle n'a reçu aucune réponse et n'a pas été convoquée pour supplément d'information afin que les procureurs puissent ouvrir des enquêtes.

Maître Michel Togué s'est rendu le 19 octobre à la Division régionale de la police judiciaire du Centre, où il a rencontré en personne le chef de la division, afin de déposer plainte. D'autres fonctionnaires de police, qui étaient présents lors de cette rencontre, lui ont dit que s'il ne voulait pas recevoir de menaces, il devrait cesser de représenter en justice des personnes accusées d'homosexualité.

Malgré la gravité de ces menaces, ni Human Rights Watch ni les avocats eux-mêmes n'ont connaissance de la moindre déclaration publique de votre part, Monsieur le Président, ou de la part d'autres responsables du gouvernement camerounais, condamnant ces menaces.

L'article 7 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, qui est intégrée dans la constitution du Cameroun dans le cadre de son article 45, garantit aux personnes accusées d'un crime « le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ». Les menaces de mort reçues par les avocats, auxquelles s'ajoute l'inaction de l'État, équivalent à une remise en cause du droit fondamental de la défense.

Nous appelons le gouvernement camerounais à prendre immédiatement des mesures pour que ces menaces fassent l'objet d'enquêtes. Les organismes chargés du maintien de l’ordre devraient enquêter sur la provenance de ces messages par les voies juridiques habituelles et devraient poursuivre leurs auteurs en justice.

Nous vous demandons respectueusement de bien vouloir ordonner à des responsables de haut rang de l'application des lois de rencontrer Maître Nkom et Maître Togué, afin de discuter des mesures que le gouvernement pourrait prendre pour assurer leur protection et leur sécurité.

Nous vous encourageons à vous exprimer publiquement, en tant que président du Cameroun, pour condamner ces menaces de mort et faire savoir à tous les Camerounais que, quelles que soient leurs convictions au sujet de l'homosexualité, les menaces de violence contre des avocats et des défenseurs des droits humains, ainsi que les menaces à l'encontre de personnes présumées gays ou lesbiennes, sont répréhensibles et ne seront pas tolérées.

Nous serions heureux de recevoir des informations sur les mesures que vous et votre gouvernement allez prendre pour faire en sorte que les menaces proférées à l'encontre de Maître Alice Nkom et de Maître Michel Togué fassent l'objet d'enquêtes, pour assurer que les droits de la défense soient garantis et pour adresser à l'opinion un message fort en faveur de la tolérance et contre la violence.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de notre haute considération.

Graeme Reid
Directeur du programme Droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT)

Daniel Bekele
Directeur de la division Afrique

 

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