Le 10 décembre, l'Union Européenne (UE) recevra officiellement le Prix Nobel de la Paix pour avoir "depuis plus de six décennies, contribué à la promotion de la paix et de la réconciliation, de la démocratie et des droits de l'homme en Europe". Depuis la seconde guerre mondiale, l'intégration européenne a effectivement permis de créer un climat de paix sur le continent.
Mais l'UE ne semble malheureusement pas avoir tiré toutes de leçons du passé.
La seconde guerre mondiale avait précipité des millions de réfugiés sur les routes. Beaucoup ont été accueillis dans des pays lointains. Qu'aurions-nous pensé s'ils avaient été traités en indésirables ? Et pourtant. Alors que le printemps arabe a provoqué un afflux massif de réfugiés en Afrique du Nord, l'UE n'a fait que peu d'efforts pour répondre à cette crise et empêcher des milliers de migrants de se noyer en Méditerranée en tentant de gagner les côtes européennes.
Si elle veut être à la hauteur d'une telle récompense, l'UE se doit d'offrir un bien meilleur accueil aux réfugiés venus d'Afghanistan, de Somalie, de Syrie et d'autres pays touchés par des conflits.
L'on dénombre déjà plus de 475.000 réfugiés syriens, et ce nombre pourrait atteindre les 700 000 d'ici la fin de l'année. Or l'UE n'a encore adopté aucun dispositif commun pour aider les Syriens fuyant la violence des combats. Bruxelles pourrait, par exemple, assouplir les critères d'attribution des visas et de regroupement familial, ou encore, soutenir davantage les pays frontaliers de la Syrie qui accueillent de nombreux réfugiés syriens. Au lieu de cela, en octobre dernier, la Commission européenne a reproché à la Turquie, où, rappelons-le, se sont réfugiés près de 190.000 Syriens, d'avoir laissé 300 d'entre eux traverser la frontière gréco-turque.
Non, l'UE n'est pas le refuge qu'elle devrait être. Dans les faits, la politique d'asile de l'UE expose les réfugiés, y compris les enfants, à toute une série d'abus.
Le règlement Dublin II, élément clef de la politique d'asile européenne, exige des demandeurs d'asile qu'ils formulent leur demande dans le premier pays européen qu'ils atteignent, sous peine d'être renvoyés vers ce premier pays s'ils déposent leur demande ailleurs en UE. Non seulement ce système fait peser de façon arbitraire et inéquitable la charge de l'accueil et de l'admission des demandeurs d'asile sur les pays situés aux frontières de l'UE, mais qui plus est, certains pays de l'UE ne traitent pas les demandeurs d'asile de façon adéquate. Des pays comme la Grèce, l'Italie ou encore la Hongrie sont loin de satisfaire à leurs obligations en la matière : les délais d'instruction des demandes d'asile y sont excessivement longs, les conditions d'accueil très mauvaises et les mineurs non-accompagnés y subissent un traitement totalement inapproprié.
Chaque année, près de 10 000 enfants atteignent l'UE seuls, fuyant des zones en guerre comme l'Afghanistan ou la Somalie. Mais ces enfants ne reçoivent pas l'aide dont ils ont besoin. Par exemple, alors que certains enfants prennent des risques considérables pour relier la Grèce à l'Italie comme passagers clandestins à bord de ferries, à leur arrivée, les autorités italiennes les refoulent immédiatement vers la Grèce, où les conditions sont épouvantables. Human Rights Watch a notamment fait état d'actes de violence et de graves abus par les forces de police à l'encontre de demandeurs d'asile dans ce pays. Assad H., un jeune afghan de 16 ans arrivé seul en Grèce, nous a montré une cicatrice au bras, causée par l'attaque d'un chien lâché sur lui par la police. "Un des policiers m'a tordu la main derrière le dos et l'autre a lâché la laisse du chien en lui donnant un ordre, le chien m'a alors attaqué pendant qu'un autre policier me tenait", nous-a-t-il raconté.
Le nouveau lauréat du Prix Nobel de la Paix doit impérativement revoir ses politiques à l'égard des personnes en situation vulnérable comme Assad. L'UE devrait réformer le Règlement Dublin II de façon à permettre la mise en place effective de critères d'asile et de procédures d'accueil communes. L'UE doit également assister davantage les pays situés à ses frontières, comme la Grèce, l'Italie ou encore Malte, et les aider à mieux protéger les demandeurs d'asile.
Comme l'a appelé de ses vœux le ministre allemand des Affaires étrangères, l'UE devrait immédiatement mettre en place un programme commun afin d'accueillir un plus grand nombre de demandeurs d'asile syriens.
Mais surtout, alors qu'avec l'arrivée de l'hiver, les réfugiés syriens, dont beaucoup d'enfants, manquent de tout pour se protéger du froid, l'UE devrait se montrer plus solidaire avec les voisins de la Syrie ayant accueilli la majorité de ces réfugiés. Ceci implique une contribution financière plus importante de la part de l'UE, notamment au plan régional de réponse de l'ONU pour la Syrie qui n'est pour l'instant financé qu'à 29%.
Enfin, les réfugiés non-syriens fuyant la Syrie, notamment des Irakiens et des Palestiniens, ne devraient pas être oubliés et devraient bénéficier de procédures d'accueil dans des pays de l'Union européenne.
L'UE se doit maintenant de répondre aux exigences du statut de Prix Nobel de la Paix et enfin constituer un refuge digne de ce nom en protégeant les victimes de la guerre.
Judith Sunderland, Chercheuse senior au sein de la division Europe de l'Ouest à Human Rights Watch
Alice Farmer, Chercheuse spécialisée sur les droits des enfants à Human Rights Watch.