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Liban: Il faut enquêter sur les enlèvements et poursuivre en justice les ravisseurs

L’impunité doit prendre fin et les droits des Syriens au Liban doivent être protégés

(Beyrouth, le 20 août 2012) – Les autorités libanaises devraient enquêter sur l’enlèvement signalé de dizaines de ressortissants syriens, ainsi que d’un homme turc le 15 août 2012, et poursuivre en justice les responsables. Des membres de la famille Al Meqdad au Liban ont revendiqué sur la télévision nationale certains enlèvements, les qualifiant de représailles pour le kidnapping d’un de leurs proches, le ressortissant libanais Hassan Al Meqdad, le 13 août en Syrie, par un groupe revendiquant son appartenance aux opposants de l’Armée syrienne libre.

Les autorités libanaises n’ont effectué aucune arrestation concernant les récents enlèvements ou les autres attaques de représailles contre des citoyens syriens au Liban au cours des derniers mois. Human Rights Watch a interviewé des représentants de l’Armée syrienne libre, un représentant d’un groupe impliqué dans les négociations de la libération des personnes enlevées au Liban, ainsi que des gens impliqués dans des enlèvements « de riposte » similaires et d’autres types d’abus durant l’été.   

« Un crime ne peut jamais justifier un autre crime, même si nous comprenons l’angoisse des familles libanaises dont les proches ont été enlevés », a déclaré Nadim Houry, directeur adjoint de la division Moyen-Orient à Human Rights Watch. « Les autorités libanaises doivent appliquer la loi et mettre fin à l’impunité qui règne concernant les enlèvements et les autres actes de violence commis contre les citoyens syriens en guise de représailles. » 

Il ne s’agit pas du premier cas de vengeance apparente contre des Syriens au Liban pour des crimes commis contre des Libanais en Syrie depuis le début des émeutes contre le gouvernement dans ce pays, en 2011. Suite à l’enlèvement signalé de onze chiites libanais d’un bus de pèlerins par un groupe d’opposition armé, le 22 mai à Azaz, dans la région d’Alep en Syrie, de nombreux Syriens ont été attaqués dans divers endroits du Liban. Les comptes-rendus des médias indiquent qu’à cause de ces violences, beaucoup de Syriens ont fui le Liban. À la connaissance de Human Rights Watch, les autorités libanaises n’ont pas mené d’enquête, ni arrêté ou poursuivi quiconque pour ces crimes.

Les entités au Liban et en Syrie qui ont été impliquées dans ces enlèvements devraient relâcher tous ceux qu’elles détiennent, a déclaré Human Rights Watch.

Dans une vidéodiffusée sur YouTube le 13 août, un groupe disant faire partie de l’Armée syrienne libre a revendiqué l’enlèvement de Al Meqdad à Damas, en Syrie. Dans un entretien avec Human Rights Watch le 16 août, un individu se présentant comme un consultant politique de l’Armée syrienne libre, Bassam Al Dada, a confirmé qu’Al Meqdad était détenu par le groupe. Pourtant, Fahd Al Masri, un attaché de presse du groupe, a nié devant les médias que celui-ci soit responsable de l’enlèvement. Dans un entretien avec Human Rights Watch le 17 août, Al Masri a déclaré que l’Armée syrienne libre « niait toute implication dans le kidnapping de Hassan Al Meqdad. Nous refusons toute forme d’enlèvement car c’est contraire à la loi ».

Le groupe responsable de l’enlèvement d’Al Meqdad devrait le relâcher immédiatement, a déclaré Human Rights Watch, et l’Armée syrienne libre devrait proclamer à nouveau son opposition aux enlèvements et à toute autre détention illégale, en toute circonstance et par toute force sous son commandement.

Déclarant qu’ils agissaient en représailles de l’enlèvement de Al Meqdad, des membres de la famille étendue Al Meqdad, s’identifiant comme « l’aile armée » du clan, ont revendiqué l’enlèvement de ressortissants syriens ainsi que d’un homme turc, Aydin Tufan, le 15 août. Maher Al Meqdad, le porte-parole de la famille Al Meqdad, un puissant clan de Baalbak, au Liban, a déclaré aux reporters que les Syriens qu’ils détenaient faisaient partie de l’Armée syrienne libre et que les Al Meqdad avaient libéré des Syriens dont ils s’étaient emparés et qui n’étaient pas membres du groupe.

D’après l’Agence nationale d’information, le 15 août, Hatem Al Meqdad, le frère de Hassan Al Meqdad, a déclaré que sa famille avait kidnappé 26 Syriens et que quatre d’entre eux avaient été relâchés. L’Agence nationale d’information a également rapporté que Maher Al Meqdad avait annoncé, le 16 août, que la famille Al Meqdad avait cessé ses enlèvements, puisqu’elle détenait « un nombre suffisant de partisans de l’Armée syrienne libre » ainsi qu’un citoyen turc.     

Dans une déclaration télévisée du 16 août, un représentant de Mukhtar Al Thaqafi, un groupe auparavant inconnu qui semble avoir été constitué en réaction à l’enlèvement des onze Libanais chiites le 22 mai en Syrie, a déclaré qu’ils avaient eux aussi effectué des kidnappings de riposte et qu’ils enlèveraient tout Syrien soutenant l’opposition ou l’Armée syrienne libre, mais qu’ils relâchaient les gens qui n’étaient pas partisans ou liés au groupe. Les interviews de certains de leurs prisonniers, toujours en détention, ont été diffusées sur des chaînes d’information locales. Ali Aqil Khalil, membre de l’Organisation internationale pour les droits humains, un groupe local engagé dans les négociations sur les otages avec la famille Al Meqdad, s’est entretenu avec Human Rights Watch le 16 août. Il a déclaré qu’un des détenus syriens avait été relâché la veille, mais qu’à sa connaissance, environ 50 personnes restaient captives au Liban suite à l’enlèvement d’Al Meqdad en Syrie.

Al Dada, celui qui se présente comme consultant politique de l’Armée syrienne libre, a déclaré à Human Rights Watch le 16 août qu’à sa connaissance, plus de 30 Syriens avaient été enlevés au Liban en représailles de l’affaire Hassan Al Meqdad, et qu’aucun d’eux n’était membre de son groupe.

Human Rights Watch n’a pas été en mesure de confirmer le nombre de personnes enlevées encore en captivité.

Le Premier ministre Najib Mikati a déclaré que le gouvernement œuvrait à négocier la libération des otages libanais captifs en Syrie, y compris Hassan Al Meqdad. Le ministre de l’Intérieur Marwan Charbel a déclaré le 16 août que le cabinet avait admis la nécessité de mener des arrestations des responsables des enlèvements au Liban, a rapporté l’Agence nationale d’information. Mais les autorités libanaises n’ont toujours annoncé aucune mesure concrète contre les ravisseurs.  

« Les autorités libanaises doivent agir pour faire cesser les enlèvements de Syriens et les attaques contre eux au Liban, en faisant rendre des comptes aux responsables, indépendamment de leurs motifs », a déclaré Nadim Houry. « Si les autorités ne font pas respecter la loi, des acteurs ‘voyous’ continueront à commettre des crimes au nom de la vengeance. »

Enlèvements et contre-enlèvements au Liban du Nord en juin

Les enlèvements revendiqués par la famille Al Meqdad ne sont pas les premiers à être revendiqués au Liban en tant que forme de vengeance. En juin, des proches de Suleiman Mohammed Al Ahmad, un homme libanais enlevé le 9 juin à Hisah, au Liban, et transféré illégalement aux mains des Syriens, ont enlevé au Liban des hommes libanais et syriens, chiites et alaouites.   

Décrivant les circonstances de l’enlèvement d’Al Ahmad, Ahmed Nhaile, un ressortissant libanais qui l’accompagnait, a déclaré à Human Rights Watch lors d’un entretien le 10 juillet : 

J’allais au Sahel avec Suleiman [Al Ahmad]. Il avait des affaires là-bas avec un alaouite… Nous sommes partis avec mon taxi et je conduisais. Quand nous sommes arrivés à l’endroit du rendez-vous, des voitures des services secrets militaires syriens ont bloqué la rue par l’avant et par l’arrière… Les deux voitures nous ont encerclés et des hommes armés se sont approchés de notre voiture… Ils nous ont arrachés du taxi, Suleiman et moi… Les hommes armés portaient des vêtements civils et tenaient des kalachnikovs... Deux des kidnappeurs ont attrapé Suleiman et l’ont mis dans la Mercedes en face de nous… [et] L’un d’eux m’a frappé avec la crosse de son arme, [jusqu’à ce que] je tombe par terre et perde connaissance… 

Après avoir repris conscience, Nhaile a voulu signaler l’enlèvement d’Al Ahmad aux autorités, mais, a-t-il déclaré à Human Rights Watch, au lieu d’enquêter sur ses déclarations, les services secrets militaires libanais l’ont tabassé et accusé de trafic d’armes :

Un des agents a pris ma déposition. J’ai pensé que c’était tout, mais ils m’ont dit alors que je devrais aller à Tripoli pour leur donner une seconde déposition… Les agents m’ont emmené au bureau des renseignements militaires à Tripoli… Ils me parlaient de façon respectueuse et tout allait bien, jusqu’au matin suivant, quand ils m’ont menotté et accusé de vendre des armes. Ils ont commencé à me battre avec des gourdins en bois sur les jambes, la poitrine et le dos. Ils ont aussi utilisé la torture du « balango » [la victime est pendue par les poignets liés derrière le dos]. L’un d’eux m’a donné un coup de poing à la tête [là où j’étais blessé]. Ça a commencé à saigner et ils n’ont pas permis qu’un médecin l’examine.

Il a aussi déclaré à Human Rights Watch qu’il avait été accusé d’avoir orchestré l’attaque contre Al Ahmad. Après avoir été détenu dans les bâtiments des services militaires de Tripoli pendant trois jours, Nhaile a été transféré au poste de police de cette ville pour une nuit, puis au tribunal militaire de Beyrouth. Le lendemain, il était relâché. « Pendant tout le temps que j’étais à Tripoli, je n’ai pas pu parler à ma famille », a-t-il déclaré. « Pendant ce temps, mon frère [avait contacté les services militaires et] insistait pour que je sois relâché… Mon frère a aussi menacé de bloquer les routes [si je n’étais pas libéré] ». 

Lors d’un entretien avec Human Rights Watch le 10 juillet, un cousin d’Al Ahmad a expliqué comment il avait décidé de mener à bien un enlèvement dans l’espoir de garantir la libération de son cousin. Le cousin a demandé à rester anonyme, craignant pour sa sécurité. Il a déclaré :

Nhaile m’a appelé pour me dire que Suleiman avait été kidnappé et qu’il partait chez les services militaires pour rapporter ce qu’il s’était passé… Nous sommes allés voir le cheikh ici à Wadi Khaled, qui a appelé des gens qu’il connaît dans le Sahel… Les coups de fil aux gens du Sahel n’ont servi à rien. Nous avons appelé l’armée libanaise en espérant qu’elle puisse nous aider. Dès que j’ai expliqué la situation à un des militaires, il m’a dit que Suleiman était impliqué dans l’achat et la vente d’armes. Je lui ai dit, s’il est vraiment impliqué dans le trafic d’armes, alors pourquoi est-il kidnappé et pas arrêté ? Pendant 24 heures nous ne savions pas où il était et l’armée libanaise non plus. Nous ne comprenions pas comment l’armée libanaise pouvait ne pas savoir où il était. Nous avons décidé de prendre les choses en main nous-mêmes.

La première personne à être enlevée par les proches d’Al Ahmad était apparemment un homme libanais d’Ayn Al Zayt. Le cousin d’Al Ahmad a déclaré que cet homme, qu’Al Ahmad et lui-même connaissaient, « s’était offert » pour être enlevé, de façon à aider à garantir la libération d’Al Ahmad. Deux jours plus tard, après avoir appris qu’Al Ahmad était en Syrie, son cousin a décidé d’enlever d’autres personnes. Il a déclaré qu’il avait kidnappé un homme et son fils de 10 ans du quartier Jabal Mohsen à Tripoli, ainsi que deux autres chiites.

Il a déclaré que lui et ses collaborateurs avaient aussi enlevé « par erreur » un chrétien syrien et un alaouite morshedi, mais qu’ils les avaient relâchés 10 minutes plus tard, après avoir appris leur appartenance religieuse. Il a soutenu que les gens qu’il avait détenus n’étaient pas vraiment kidnappés, « mais seulement gardés avec nous ». Il a déclaré : « Ils ne pouvaient pas s’en aller, mais nous les traitions comme des invités. L’homme d’Ayn Al Zayt a été relâché le même jour que les autres étaient enlevés… Quand ils ont libéré Suleiman, nous avons libéré les otages ».   

Ces enlèvements ont été amplement rapportés et décrits par les médias libanais locaux. Un habitant de Wadi Khaled, où vit Al Ahmad, a confirmé les kidnappings signalés à Human Rights Watch.

Al Ahmad a été relâché le 12 juin. Dans un entretien avec Human Rights Watch le 10 juillet, il a déclaré que ses ravisseurs l’avaient transporté en voiture depuis Hisah, fait franchir la frontière vers Tal Kalakh, en Syrie, où il a été tabassé par des soldats syriens, puis détenu et battu à nouveau par des agents des services secrets de l’armée de l’air à Homs. Al Ahmad a déclaré qu’il avait été emmené à Damas, puis ramené au Liban. 

Attaques contre des travailleurs syriens suite à l’enlèvement de 11 chiites libanais en Syrie

Suite à l’enlèvement, le 22 mai, de 11 chiites libanais d’un bus de pèlerins qui roulait dans la campagne autour d’Alep, un certain nombre de travailleurs syriens ont été attaqués par des gens au Liban, qui pourtant n’ont pas été accusés ou poursuivis. Un groupe armé d’opposition basé à Azaz, près d’Alep, a revendiqué l’enlèvement. D’après des comptes-rendus dans les médias, qui citaient « Abu Ibrahim », décrit comme l’un des ravisseurs, quatre des onze hommes ont été tués le 15 août par une frappe aérienne alors qu’ils étaient captifs dans la ville d’Azaz, dans le Nord-Est. Human Rights Watch n’a pas confirmé les décès.

Des reportages dans les médias indiquent que certains Syriens ont fui le Liban parce qu’ils avaient été menacés, intimidés ou frappés par des citoyens. Human Rights Watch a interviewé deux ressortissants syriens qui ont été passés à tabac en juin par des hommes non identifiés dans une rue de Beyrouth. Tous deux ont indiqué qu’ils n’avaient pas porté plainte car ils n’avaient pas confiance en la police libanaise.

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