Version française d'une tribune parue dans le quotidien britannique The Guardian le 12.03.12
Aminata* a onze ans et n’a jamais été à l’école. Alors que d’autres enfants apprennent à lire, à écrire et à calculer, Aminata travaille dans une mine d’or artisanale du Mali, en Afrique de l’Ouest. Elle passe ses journées à laver des minerais afin d’en extraire l’or. Pour récupérer l’or, elle mélange à main nue du mercure avec le minerai aurifère et elle brûle ensuite l’amalgame or-mercure.
Lorsque j’ai rencontré Aminata dans l’une des nombreuses mines artisanales du Mali – qui opèrent à petite échelle et souvent de façon informelle –, elle m’a confié qu’elle souffrait souvent de maux de dos provoqués par les heures passées à se courber. À propos du mercure, un métal extrêmement toxique utilisé couramment dans le secteur de l’orpaillage au Mali, elle a déclaré : « Je sais que le mercure, c’est dangereux, mais je ne sais [comprends] pas comment. Je ne me protège pas. »
Aminata fait partie des dizaines d’enfants que j’ai interrogés dans le cadre de mes recherches sur le travail des enfants dans l’orpaillage. Ces enfants travaillent à la base d’une longue chaîne d’approvisionnement. Au Mali, où une main d’œuvre infantile travaille souvent dans des conditions dangereuses dans le secteur de l’orpaillage, une grande partie de l’or est vendu aux négociants dans la capitale, pour être ensuite exporté vers la Suisse, Dubaï et d’autres destinations. Selon les estimations de l’Organisation internationale du Travail, un million d’enfants travailleraient dans les mines artisanales à travers le monde. L’exploitation minière expose beaucoup d’autres enfants à des menaces sur le plan de l’environnement et de la santé.
Une nouvelle initiative, intitulée « Droits de l'enfant et Principes régissant les entreprises » , pourrait être source d’espoir pour ces enfants. Les Principes qui seront lancés à Londres par l’UNICEF, Save the Children et le Pacte mondial de l’ONU visent à fournir aux entreprises des lignes directrices sur la façon de mieux respecter et soutenir les droits de l’enfant sur les lieux de travail, sur le marché et au sein de la communauté. Selon ces Principes, les entreprises devraient veiller à ce que les enfants soient protégés contre le travail des enfants, la violence et la négligence, les produits dangereux et le marketing, les impacts environnementaux, ou les conséquences néfastes de l’acquisition de terres. Les entreprises doivent être les défenseurs proactifs des droits de l’enfant, par exemple en s’employant à rendre facilement accessibles et abordables les produits essentiels pour le développement des enfants.
La grande question est de savoir si les entreprises s’efforceront de mettre en œuvre ces principes ou si les affaires continueront comme avant.
Au cours des dernières années, nous avons été les témoins d’une vague d’initiatives volontaires visant à guider les entreprises, ainsi que de l’adoption de mesures par certaines entreprises elles-mêmes, par exemple concernant les défis mondiaux liés au travail des enfants. En 2011, l’ONU a adopté les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme ; diverses initiatives sectorielles et divers codes de conduite ont également été mis en place, notamment en ce qui concerne l’extraction des ressources. Mais la plupart de ces initiatives sont faibles à dessein. Elles échappent à tout contrôle indépendant permettant de vérifier leur respect, et aucune information publique n’est fournie au sujet de l’impact des entreprises sur les droits humains. Force est malheureusement de constater qu’il en va de même avec les nouveaux Principes d’entreprise appliqués aux droits des enfants. La possibilité pour des enfants tels qu’Aminata de bénéficier de ces nouveaux principes sera uniquement tributaire de la volonté d’agir des entreprises – ainsi que de la volonté des gouvernements de pousser les entreprises dans ce sens.
Au Mali, le gouvernement et les entreprises n’ont toujours pas pris de mesures suffisantes pour s’attaquer au problème des enfants travailleurs et à l’utilisation du mercure dans l’orpaillage. Et ils ne pourront progresser que s’ils s’y attèlent ensemble. Le pays dispose de lois rigoureuses sur le travail des enfants, mais ces lois sont mal appliquées. Les entreprises actives dans l’extraction minière et le commerce de l’or malien, ainsi que les affineurs et les détaillants s’approvisionnant en or du Mali, devraient s’ériger en acteurs de la lutte en faveur des droits des enfants. Ils devraient adopter des mesures proactives visant à s’assurer que leur propre chaîne d’approvisionnement est exempte de travail des enfants et devraient mettre en place des programmes d’assainissement durables et efficaces ayant pour but de s’attaquer au travail des enfants, à la pollution par le mercure ou à d’autres conséquences néfastes pour les enfants. Les acteurs commerciaux devraient également inviter le gouvernement malien à adopter des mesures fortes pour mettre fin au travail des enfants, améliorer l’accès à l’éducation dans les zones minières et contrer la menace posée par le mercure dans l’extraction minière.
Malheureusement, au Mali, la Chambre des Mines nie l’existence d’une main d’œuvre infantile effectuant des travaux dangereux, et le Ministère des Mines cherche actuellement à minimiser le problème. Mais il convient de mentionner quelques bonnes nouvelles. Certaines entreprises maliennes et des acteurs gouvernementaux maliens—ainsi que des ONG—ont à cœur de respecter et de protéger les droits des enfants. Le Ministère du Travail a élaboré des lois et politiques fermes concernant le travail des enfants, et le Ministère de l’Environnement joue un rôle de premier plan dans les efforts internationaux tendant à l’adoption d’un traité de réduction de l’utilisation du mercure.
Certes, les Principes d’entreprise appliqués aux droits des enfants n’apporteront pas une solution magique aux problèmes auxquels sont confrontés les enfants au Mali et partout dans le monde. Il n’en demeure pas moins que pour les entreprises qui cherchent à contribuer à un changement positif, ces Principes fourniront des lignes directrices utiles pour assumer leurs responsabilités dans le domaine des droits humains. De cette façon, Aminata pourra un jour cesser d’effectuer des tâches dangereuses et plutôt que de travailler, elle pourra aller à l’école.
*Aminata est un pseudonyme utilisé pour protéger l’identité de la jeune fille.
Juliane Kippenberg, chercheuse senior à la division Droits de l’enfant de Human Rights Watch, est l’auteur du rapport Un mélange toxique : Travail des enfants, mercure et orpaillage au Mali (décembre 2011).