(Bruxelles, le 19 janvier 2011) - La mission État de droit de l'Union européenne au Kosovo, EULEX, devrait désigner un procureur de haut niveau indépendant pour se charger du dossier des crimes présumés commis par d'anciens dirigeants de l'Armée de libération du Kosovo (UCK), a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Un programme amélioré de protection et de relogement des témoins est également nécessaire pour assurer la crédibilité de l'enquête, selon Human Rights Watch.
Les allégations d'enlèvements, de disparitions, d'exécutions, de trafic d'organes et d'autres crimes sérieux coordonnés par d'éminents politiciens du Kosovo ont été présentées dans un rapport de décembre 2010 du sénateur suisse Dick Marty destiné au Conseil de l'Europe.
« La mission de l'UE au Kosovo sera confrontée à d'importants obstacles alors qu'elle devra enquêter de manière crédible sur les accusations graves concernant l'UCK », a déclaré Lotte Leicht, directrice de plaidoyer auprès de l'Union européenne à Human Rights Watch. « Il est crucial que cette mission dispose d'un procureur indépendant et expérimenté, d'un programme efficace de protection des témoins, comprenant la possibilité de les reloger en dehors des Balkans, et des mesures sécuritaires requises pour mener à bien une enquête aussi délicate. »
L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe examinera le rapport Marty le 25 janvier 2011.
Les gouvernements du Kosovo, de l'Albanie et des États-Unis ont salué l'ouverture par la mission État de droit de l'UE au Kosovo d'une enquête sur les allégations mises en évidence par le rapport Marty. La police internationale, les procureurs et les juges qui composent EULEX collaborent avec leurs homologues locaux pour renforcer et développer les mécanismes locaux propices à la justice et à l'obligation de rendre des comptes.
Les gouvernements des États-Unis et de l'UE devraient exiger la nomination d'un procureur spécial indépendant et d'une unité d'enquête, a déclaré Human Rights Watch, ainsi que donner à cette unité le soutien politique de haut niveau dont elle a besoin pour assurer la réussite de son opération.
Une enquête crédible menée par EULEX et dirigée par un procureur spécial indépendant devrait remplir sept critères, selon Human Rights Watch :
•1. Cette enquête devrait être dirigée par un procureur spécial, indépendant et de haut niveau justifiant d'une expérience dans le domaine des enquêtes sur des affaires pénales complexes et disposant de l'autorité nécessaire pour désigner sa propre équipe d'enquête.
•2. Le siège de l'équipe d'enquête devrait être basé en dehors du Kosovo et de l'Albanie afin d'assurer la collecte d'éléments de preuve et de protéger le personnel d'éventuelles mesures d'intimidation.
•3. L'équipe d'enquête devrait pouvoir accéder à un programme opérationnel de protection des témoins, les gouvernements de l'UE, des États-Unis et d'autres nations devant s'engager à accueillir les témoins et les membres de leur famille dont la sécurité exige leur relogement.
•4. Elle devrait disposer de systèmes sécurisés permettant de sauvegarder et de maintenir l'intégrité des éléments de preuve, ainsi que de systèmes informatiques dont l'accès serait réservé exclusivement au personnel de l'unité d'enquête spéciale.
•5. Elle devrait disposer de traducteurs assermentés pour toutes les langues locales.
•6. Elle devrait disposer d'un budget garanti lui permettant de mener à bien des enquêtes complexes et multiples.
•7. Elle devrait pouvoir compter sur l'entière coopération des autorités pertinentes - au Kosovo, en Albanie et en Serbie, entre autres - et des institutions internationales, y compris d'EULEX, de la Mission d'administration intérimaire de l'ONU au Kosovo (MINUK) et du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).
Selon Human Rights Watch, les États-Unis et l'UE devraient par ailleurs exhorter les gouvernements du Kosovo, de l'Albanie, de la Serbie et d'autres pays à apporter leur entière coopération à l'enquête, notamment en honorant les demandes d'éléments de preuve ou de témoignages émanant des autorités et en procédant à des arrestations.
D'après le rapport du Conseil de l'Europe, approuvé à l'unanimité le 16 décembre 2010 par la Commission des affaires juridiques et des droits de l'homme de l'Assemblée parlementaire, un groupe d'anciens membres de l'UCK, notamment le Premier ministre kosovar sortant Hashim Thaçi, serait responsable d'enlèvements, de passages à tabac, d'exécutions sommaires et, dans certains cas, de l'ablation forcée d'organes humains sur le territoire albanais après la fin de la guerre au Kosovo le 12 juin 1999. Le rapport décrit les victimes comme étant principalement des Serbes et des Roms du Kosovo, mais également des Albanais ethniques soupçonnés d'avoir collaboré avec le gouvernement serbe avant ou pendant la guerre, ou des membres de groupes armés rivaux.
Le rapport souligne par ailleurs le calvaire de quelque 1 900 personnes toujours portées disparues depuis la guerre au Kosovo, dont environ les deux tiers sont des personnes d'ethnie albanaise.
« Tout en soutenant une enquête d'EULEX en bonne et due forme sur les crimes présumés de l'UCK, les gouvernements des États-Unis et de l'UE devraient faire pression sur la Serbie pour qu'elle révèle ce qui est advenu des personnes portées disparues, y compris des personnes mortes dont les dépouilles ont été déplacées, détruites ou ré-enterrées en Serbie », a précisé Lotte Leicht.