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Côte d’Ivoire : Les forces pro-Gbagbo enlèvent des opposants

Les disparitions et les meurtres pourraient relever de la compétence de la Cour pénale internationale

(Dakar, le 23 décembre 2010) - Les forces de sécurité liées à Laurent Gbagbo se livrent à des enlèvements et à des « disparitions » de partisans de son rival, a indiqué Human Rights Watch aujourd'hui, citant des déclarations de nombreux témoins. Alassane Ouattara, le rival de Gbagbo, est largement considéré comme le vainqueur de l'élection présidentielle qui a eu lieu le mois dernier en Côte d'Ivoire. Les dirigeants ivoiriens qui ordonnent et encouragent pareilles violations graves des droits humains pourraient être tenus pour responsables de leurs actes par la Cour pénale internationale (CPI), a ajouté Human Rights Watch.

Human Rights Watch s'est entretenu avec plusieurs familles et habitants résidant dans les quartiers pro-Ouattara d'Abidjan, la capitale économique du pays. Ces témoins ont affirmé que les forces de sécurité pro-Gbagbo opérant avec des milices non officielles ont effectué des raids nocturnes depuis le 16 décembre 2010, forçant de nombreuses personnes à rentrer dans des véhicules officiels et les emmenant vers des destinations inconnues. Nombre des personnes enlevées sont toujours portées disparues, et les forces de sécurité se refusent à révéler où elles se trouvent. Plusieurs témoins interrogés par Human Rights Watch avaient retrouvé les corps de personnes arrêtées ou enlevées, présentant des blessures par balle, ce qui porte à craindre des exécutions extrajudiciaires.

« L'enlèvement, la disparition forcée et l'exécution d'opposants politiques présumés sont des crimes horribles, qui peuvent et doivent être punis », a rappelé Rona Peligal, directrice de la division Afrique à Human Rights Watch. « Aucune famille ivoirienne ne devrait avoir à subir ces exactions graves. »

Le 23 décembre, la Haute commissaire adjointe des Nations Unies aux droits de l'homme, Kyung-Wha Kang, a indiqué que les observateurs de l'ONU chargés des droits humains avaient fait état de 173 meurtres, 90 cas de tortures et de mauvais traitements, 24 disparitions forcées, et des centaines d'arrestations entre le 16 et le 21 décembre. Au moins 20 personnes ont été tuées et des dizaines d'autres grièvement blessées lorsque les forces de sécurité de Gbagbo ont ouvert le feu sur les participants à une manifestation le 16 décembre par des partisans de Ouattara. Le 23 décembre, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU à Genève a adopté à l'unanimité une résolution condamnant les enlèvements, les exécutions, et les disparitions forcées en Côte d'Ivoire, et s'est engagé à entreprendre d'autres actions si la situation se détériore.

Le second tour de l'élection présidentielle de Côte d'Ivoire, le 28 novembre, était censé réunifier un pays divisé depuis le conflit de 2002-2003, mais au lieu de cela il a plongé cette nation ouest-africaine dans un conflit politique explosif. Ouattara ainsi que Gbagbo se sont tous deux déclarés président et ont nommé des gouvernements distincts. La communauté internationale - notamment l'Union africaine, la CEDEAO (organisme régional), et le Conseil de sécurité de l'ONU - a reconnu unanimement Ouattara comme le vainqueur et a appelé Gbagbo à démissionner.

« Tant les forces fidèles à Gbagbo que celles fidèles à Ouattara devraient être averties qu'elles pourraient avoir à rendre des comptes pour les crimes passés et présents », a insisté Rona Peligal.

Le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, a affirmé qu'il poursuivrait les responsables si une violence meurtrière éclate en Côte d'Ivoire. Même si la Côte d'Ivoire n'est pas un État partie à la CPI, en 2003 le gouvernement a fait une déclaration reconnaissant la compétence de la CPI « aux fins d'identifier, de poursuivre, de juger les auteurs et complices des actes commis sur le territoire ivoirien depuis les événements du 19 septembre 2002 ».

Ces crimes comprennent les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, ou les actes de génocide. Cette déclaration demeure en vigueur. Dans le cadre du Statut de Rome, qui a créé la Cour, des actes tels que le meurtre, la disparition forcée de personnes, et l'appel à persécuter un groupe national, ethnique ou politique pourraient être qualifiés de crimes contre l'humanité relevant de la compétence de la CPI s'ils ont été commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique contre des civils.

Incitation à la violence contre les Casques bleus, intimidation de défenseurs des droits humains
Au cours de la semaine dernière, les forces pro-Gbagbo ont également utilisé un langage tant contre les forces de l'ONU que contre les forces françaises qui a le potentiel d'inciter à la violence, a observé Human Rights Watch. Lors d'un rassemblement qui s'est tenu le 18 décembre, Charles Blé Goudé a appelé ses Jeunes Patriotes, un groupe ayant des antécédents de comportement violent contre des partisans de l'opposition et contre les Casque bleus, à « libérer » la Côte d'Ivoire des Casques bleus étrangers.

Dans la nuit du 18 décembre, des hommes armés ont tiré sur un véhicule immatriculé auprès de la Mission des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI), présente dans le pays depuis 2004. Des représentants de l'ONU ont également signalé que depuis ce rassemblement, des membres armés des forces de sécurité ont pénétré au domicile de certains membres du personnel de l'ONUCI, dans ce qui est apparu comme une tentative manifeste d'intimidation du personnel onusien.

Le statut de la CPI interdit les attaques contre les missions internationales de maintien de la paix aussi longtemps qu'elles opèrent comme forces de maintien de la paix. Le 8 décembre, la CPI a ouvert une audience sur l'implication présumée de deux chefs rebelles du Darfour dans un attentat qui a tué 12 Casques bleus de l'Union africaine au Darfour.

« Les attaques contre les soldats du maintien de la paix sont des crimes graves qui interfèrent avec la protection des civils », a souligné Rona Peligal. « Le cas du Darfour démontre clairement aux parties belligérantes que de telles attaques ne seront pas tolérées. »

Les personnes qui tentent de rendre compte des exactions en Côte d'Ivoire ont pareillement fait l'objet de menaces croissantes. Le 18 décembre en début de soirée, deux hommes appartenant à l'Alliance pour le changement, une organisation non gouvernementale ivoirienne, ont été enlevés dans un lieu public par des hommes armés à bord d'un véhicule 4x4. Un témoin interrogé par Human Rights Watch a indiqué que les assaillants appartenaient à la Garde républicaine, l'unité personnelle de Gbagbo. Les amis, les proches, et d'autres personnes ont cherché à savoir où se trouvent les hommes enlevés, mais ils sont toujours portés disparus. Une autre organisation locale a indiqué à Human Rights Watch qu'elle avait reçu des menaces par téléphone après avoir fait une déclaration sur la violence la semaine dernière.

Kyung-Wha Kang, la Haute commissaire adjointe des Nations Unies aux droits de l'homme, a indiqué que les forces de sécurité de Gbagbo avaient également empêché le personnel de l'ONU chargé des droits humains d'enquêter sur l'existence présumée d'une fosse commune dans un quartier d'Abidjan. Elle a précisé que dans cette tentative, les forces de sécurité avaient fait obstacle au Représentant spécial du Secrétaire général pour la Côte d'Ivoire, Y.J. Choi, sous la menace d'une arme.

« Dans son premier discours public depuis l'éclatement de la violence, Gbagbo a déclaré que le sang ivoirien ne devait plus être versé », a conclu Rona Peligal. « Ses forces de sécurité et leurs milices alliées devraient libérer les personnes actuellement en détention et permettre aux défenseurs des droits humains de travailler sans crainte ni ingérence. »

Recrutement de mercenaires étrangers
Human Rights Watch a aussi documenté le recrutement de mercenaires libériens par les forces gouvernementales pro-Gbagbo, qui a commencé début décembre au moins, lorsque certains d'entre eux qui avaient combattu dans des guerres civiles régionales précédentes se sont vu offrir de l'argent pour leurs services. De nombreux témoins au cours des manifestations du 16 décembre à Abidjan ont noté la présence de Libériens, identifiables par leur utilisation de l'anglais et leurs uniformes disparates.

Bien que les données recueillies jusqu'à présent portent sur le recrutement par les partisans de Gbagbo, les antécédents de recrutement par les Forces Nouvelles, qui soutiennent activement Ouattara, font craindre que les mercenaires puissent passer dans la moitié nord de la Côte d'Ivoire pour fomenter là aussi l'instabilité, a déclaré Human Rights Watch. Il existe des informations inquiétantes de la part de certaines des personnes qui ont fui par milliers au Liberia ces derniers jours selon lesquelles des soldats des Forces Nouvelles s'en sont pris à des personnes et des villages favorables à Gbagbo. Cette région, avec son long passé de graves atteintes aux droits humains commises par les soldats des Forces Nouvelles, a fait l'objet de peu d'informations depuis l'élection présidentielle et exige une plus grande attention de la part de l'ONU et des groupes de défense des droits humains, a souligné Human Rights Watch.

Compte tenu des antécédents de crimes de guerre et d'atteintes graves aux droits humains commises par les combattants dans les conflits tant libériens qu'ivoiriens, Human Rights Watch s'est dit profondément préoccupé par ce recrutement transfrontalier. L'ONU et les autorités libériennes devraient contrôler les frontières pour empêcher l'enrôlement des enfants, en particulier, a ajouté Human Rights Watch.

Contexte
Le 2 décembre, le président de la commission électorale de Côte d'Ivoire a déclaré Ouattara vainqueur de l'élection présidentielle du 28 novembre, avec plus de 54 pour cent des voix. Cependant, Paul Yao N'Dre, président du Conseil constitutionnel et proche allié de Gbagbo, a soutenu que cette décision n'était pas valide parce que la commission n'avait pas respecté un délai de trois jours pour annoncer les résultats. Moins de 24 heures plus tard, le Conseil constitutionnel a annulé les résultats de la commission et proclamé Gbagbo vainqueur.

Le lendemain, Gbagbo a prêté serment comme président, suivi peu après par Ouattara et sa propre investiture. Tous deux ont nommé des Premiers ministres et des ministres dans les jours qui ont suivi. Une impasse s'est ensuivie, Gbagbo opérant depuis les bâtiments gouvernementaux, et Ouattara et son gouvernement fonctionnant à partir de l'Hôtel du Golf à Abidjan.

Les organismes internationaux ont appelé Gbagbo à démissionner immédiatement, mais le porte-parole de Gbagbo et ses représentants ont dénoncé à maintes reprises ce qu'ils considèrent comme une ingérence. Le gouvernement Gbagbo a également interrompu la diffusion de médias internationaux dans le pays et il a utilisé la chaîne de télévision nationale, Radiodiffusion Télévision Ivoirienne (RTI), comme porte-parole 24 heures sur 24 des revendications de légitimité de Gbagbo.

Les frustrations relatives au pouvoir et au contrôle de RTI ont conduit Guillaume Soro, Premier ministre de Ouattara et chef de file de longue date des Forces Nouvelles, à appeler ses partisans à s'emparer de bâtiment de la chaîne au cours d'une manifestation le 16 décembre. Les manifestants ont été rapidement dispersés, cependant, lorsque les forces de sécurité ont d'abord tiré des gaz lacrymogènes puis ont ouvert le feu avec des balles réelles, tuant au moins 20 personnes et en blessant des dizaines d'autres.

Des combats ont éclaté le jour même entre les soldats des Forces Nouvelles soutenant Ouattara et les forces de sécurité de Gbagbo aux environs de l'Hôtel du Golf, ainsi que dans les parties occidentale et centrale du pays - faisant craindre que le pays ne retombe dans la guerre civile. Environ 10 000 Ivoiriens dans l'extrême ouest du pays ont franchi la frontière pour se réfugier au Liberia depuis le début du mois de décembre, dont le plus grand nombre traversant dans la semaine qui a suivi le bref combat du 16 décembre.

L'Union africaine a envoyé deux délégations pour tenter de sortir de l'impasse, mais les tensions n'ont fait qu'empirer depuis la manifestation du 16 décembre. L'Union européenne et les États-Unis ont décrété des sanctions contre Gbagbo et nombre de ses plus proches alliés au cours des trois derniers jours.

Human Rights Watch, les Nations Unies, et d'autres observateurs ont déjà documenté de graves atteintes aux droits humains, notamment des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture, l'incitation à la violence à l'égard de l'ONU, et le recrutement d'enfants soldats, commises par des soldats des Forces Nouvelles commandées par Soro, ainsi que par les forces de sécurité fidèles au président Gbagbo, notamment les Jeunes Patriotes de Blé Goudé.

À ce jour, il n'y a eu pratiquement aucune obligation de rendre des comptes pour les crimes graves qui auraient été commis par les diverses parties pendant la guerre civile de 2002-2003 et la période qui a suivi.

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