34 groupes de la société civile, de défense des droits humains, et de groupes religieux au nord du Congo, en République centrafricaine, et au Sud Soudan, écrit au Président Obama pour demander la mise en œuvre de toute urgence de la nouvelle stratégie que le gouvernement américain a publiée le mois dernier relative à la lutte contre le problème de l'Armée de résistance du seigneur (Lord's Resistance Army, ou LRA).
Ce n'est pas une lettre signée par Human Rights Watch, mais nous l'estimons une lettre très touchante, surtout pendant que nous commémorons les « massacres de noël » perpétrés par la LRA les deux derniers ans.
Le 21 décembre 2010
Président Barack Obama
The White House
1600 Pennsylvania Avenue, NW
Washington, DC 20500
CC :
Son Excellence Joseph Kabila, Président de la République Démocratique du Congo
Son Excellence François Bozize, Président de la République Centrafricaine
Son Excellence Omar al-Bashir, Président du Soudan
Son Excellence Salva Kiir, Président du Gouvernement du Sud Soudan
Appel urgent de la société civile de l'Afrique centrale pour mettre fin au menace de l'Armée de résistance du seigneur (Lord's Resistance Army)
Votre Excellence,
En tant que représentants de 34 groupes de la société civile, de défense des droits humains et de groupes religieux dans les zones affectées par la LRA du nord du Congo, de la République centrafricaine, et du Sud Soudan, nous vous écrivons pour vous demander de mettre en œuvre de toute urgence la nouvelle stratégie que le gouvernement américain a publiée le mois dernier sur la lutte contre le problème de l'Armée de résistance du seigneur (Lord's Resistance Army, ou LRA). Sans la mise en œuvre de cette stratégie, les mots sur le papier demeureront vides de sens et beaucoup d'entre nous, qui vivons avec la menace quotidienne de la LRA, nous continuerons à souffrir.
Chaque jour qui passe sans que soit apportée une solution au problème de la LRA est, pour ceux d'entre nous qui vivons sous la menace perpétuelle des nouvelles attaques, un autre jour de terreur et de douleur. Déjà, la LRA a tué brutalement plus de 2 300 membres de nos familles et en a enlevé plus de 3 000 autres depuis que les rebelles de la LRA ont entamé leur dernière vague de meurtres en décembre 2008. Nombre de nos enfants se trouvent toujours entre les mains de la LRA. Nous ignorons s'ils sont morts ou vivants. Ceux qui ont réussi à échapper à la LRA portent les cicatrices physiques et mentales des souffrances qu'ils ont endurées et ne seront plus jamais les mêmes. Nous disposons de peu de moyens pour les aider à se réadapter et à se réinsérer dans nos communautés, mais nous essayons de faire ce que nous pouvons.
Avec plus de 400 000 personnes déplacées de leurs foyers, nos vies ne sont pas faciles. Nous n'avons plus accès à nos champs, nos écoles ne fonctionnent pas, et nous nous efforçons de lutter contre les maladies et de trouver suffisamment de quoi nourrir nos familles.
En ce mois de décembre, nous craignons particulièrement de nouvelles attaques de la part de la LRA. Nous nous souvenons des massacres de Noël 2008, où la LRA a tué au moins 865 civils au cours de la période de Noël, et du massacre de Makombo en décembre 2009, où 345 civils ont été tués. Lors de ces attaques, les membres de nos familles ont été tués dans une façon si sauvage qu'on ne puisse même pas imaginer : les têtes écrasées à coups de gourdin-bâton ou machette ; les visages défigurés ; et les organes génitaux, les bouches, les oreilles, les jambes et les bras coupés, sans autre motif que pour terroriser. À cette époque de l'année, alors que nous devrions célébrer Noël, nous pleurons plutôt nos proches et nous vivons chaque jour dans la crainte de nouvelles attaques de la LRA.
Votre Excellence, nous sommes entièrement d'accord avec l'objectif global la stratégie pour les peuples de l'Afrique centrale d'être « libérés de la menace des violences de la LRA et d'avoir la liberté de se procurer leurs moyens de subsistance ». Nous nous félicitons également des quatre objectifs centraux de la stratégie consistant à : a) renforcer la protection des civils ; b) appréhender ou retirer du champ de bataille Joseph Kony et les principaux dirigeants de la LRA ; c) encourager la défection, le désarmement, la démobilisation et la réinsertion des combattants se trouvant encore dans les rangs de la LRA ; et d) développer l'accès humanitaire et fournir une aide continue aux communautés touchées.
Nous apprécions également l'engagement à l'égard de la stratégie concernant la justice transitionnelle et la reconstruction des communautés affectées par la guerre en Ouganda. Dans le nord de l'Ouganda, des communautés continuent de se battre pour surmonter l'héritage de la guerre, durant laquelle des dizaines de milliers des personnes ont été enlevées par la LRA, et plus de 1,6 millions ont été déplacées.
Nous apprécions que vous reconnaissiez la nécessité de combiner des composantes tant militaires que non militaires, et que la résolution du problème de la LRA exigera la coordination et la participation d'un large éventail de partenaires régionaux, multilatéraux et internationaux.
S'il vous plait, ne tardez pas un jour de plus à mettre en œuvre cette stratégie. Nous vous implorons de trouver les ressources financières et la volonté politique de traduire les buts et les objectifs de cette stratégie dans la réalité. Pour nous, c'est une question de vie ou de mort.
En particulier, nous vous exhortons à donner la priorité à la protection de nos communautés exposées au risque d'attaques persistantes de la LRA. Si la présence de forces de maintien de la paix de l'ONU a apporté un peu d'aide, elle a été loin d'être suffisante. Par exemple, dans le district du Haut Uélé dans le nord du Congo, les Casques bleus de la MONUSCO offrent une certaine protection dans quelques communautés, mais il n'existe actuellement aucune force de maintien de la paix dans le district du Bas Uélé dans le nord du Congo, l'une des zones les plus durement touchées par les attaques de la LRA. Dans les endroits où les Casques bleus sont déployés, ils sortent rarement de leurs bases et se sont parfois avérés incapables - ou peu disposés - d'empêcher ou de répondre à des attaques de la LRA à moins d'un kilomètre de leurs bases. Ce fut le cas à Ngilima ainsi qu'à Duru, deux villes disposant d'une présence de la MONUSCO, qui ont subi de nombreuses attaques ces derniers mois. Les missions de l'ONU en RCA (la MINURCAT et la BINUCA) et au Soudan (UNMIS/UNAMID) ne sont pas non plus axées sur le problème de la LRA, et ont peu ou pas de Casques bleus déployés dans les zones affectées par la LRA.
Nous apprécions que vous reconnaissiez le fait que le manque d'infrastructures de communications et de bonnes routes ne nous a pas facilité le signalement en temps opportun des attaques ni l'envoi d'appels à l'aide. Nous nous réjouissons que le soutien dans ce domaine ait été identifié comme une action prioritaire dans votre stratégie. Nous espérons que ce soutien comprendra des efforts urgents pour étendre la couverture de téléphonie cellulaire dans les zones touches par la LRA, pour mettre en œuvre des systèmes d'alerte précoce par le biais de radios HF, et pour réhabiliter les routes et pistes d'atterrissage principales.
Nous sommes entièrement d'accord pour dire que le problème de la LRA dans nos communautés ne sera pas résolu tant que Joseph Kony et les autres hauts dirigeants ne seront pas capturés et traduits en justice. Tant que les hauts dirigeants de la LRA ne sont pas appréhendés, nous craignons qu'ils ne continuent à enlever nos enfants, qui à leur tour seront entraînés afin de remplacer les combattants de rang inférieur ou intermédiaire qui pourraient s'échapper, déserter ou être tués.
Les efforts visant à poursuivre la LRA se sont appuyés sur nos propres armées nationales, mais à ce jour n'ont pas atteint les objectifs escomptés.Les rebelles de la LRA continuent de perpétrer des massacres et autres exactions contre les populations civiles, et cette rébellion n'a pas toujours été éradiquée. Les dirigeants de la LRA courent toujours et ont intensifié leur modus operandi. Nous vous invitons à envisager d'autres options, entre autres un renforcement conséquent des capacités opérationnelles (en moyens logistiques) de nos armées respectives et un accompagnement par une armée issue d'un pays ayant l'expérience de ce genre de guérilla, avec comme objectif principal la capture de Joseph Kony et de ses acolytes restants, afin qu'ils soient livrés à la justice internationale. Nous espérons que vous travaillerez de concert pour faire avancer cette idée.
Nous demandons aussi que des sanctions internationales soient prises à l'encontre de tout gouvernement ou de tout individu identifié comme appuyant la LRA.
Nous avons tellement souffert d'une guerre qui n'est pas la nôtre et nous nous sommes souvent sentis oubliés et ignorés par nos propres gouvernements et par la communauté internationale. Cette nouvelle stratégie nous a redonné espoir. Nous vous implorons de la mettre en œuvre et d'entamer ces efforts dès aujourd'hui.
Veuillez agréer, Votre Excellence, l'expression de notre haute considération.
Représentants de 34 groupes de la société civile, de défense des droits humains, et de groupes religieux dans les zones affectées par la LRA dans le nord du Congo, la République centrafricaine, et le Sud Soudan :
Organisations dans le nord du Congo:
- Action pour le développement et le Bien-être social (ADEBES), Faradje
- AOG, Niangara
- Association ASSAHU, Niangara
- Association des Déplacés, Niangara
- Association des Pécheurs, Niangara
- Association Féminines pour la Promotion de Femmes d'Ango
- CDJP, Haut Uélé
- Centre d'Accompagnement des Femmes et Enfants Vulnérables (CAFEV), Dungu
- COMICO, Niangara
- Commission Justice et Paix, Haut Uélé
- Conscience, Dungu
- Croix Rouge, Niangara
- FEC, Niangara
- FEPACO, Niangara
- L'église Catholique, Niangara
- L'église CECA 20, Niangara
- L'Église CECA 16, Niangara
- L'église Kimbanguiste, Niangara
- La Coordination de la Société Civile du Territoire du Dungu
- Paix et Droit de l'Homme Aujourd'hui (PDHA), Haut Uélé
- REGED, Niangara
- Réseau de Défense de Droits Humains à Niangara
- Société Civile d'Ango
- Société Civile de Niangara
- SODENIA, Niangara
- Union des Déplaces d'Ango
- VTO, Niangara
Organisations en RCA :
- La Coalition Centrafricaine pour la CPI
- Le Réseau des ONGs des Droits de l'Homme en Centrafrique
- Vitalité Plus
Représentants religieux du Sud Soudan :
- Rt. Rev. Peter Munde Yacoub, Evêque ECS du Diocèse de Yambio
- Rt. Rev. Wilson E. Kamani, Evêque ECS du Diocèse d'Ibba
- Rt. Rev. Bismark M. Avokaya, Evêque ECS du Diocèse de Mundri
- Rt. Rev. Samuel Enosa Peni, Evêque ECS du Diocèse de Nzara