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Côte d’Ivoire : Assurer la sécurité et protéger les libertés d’expression et de circulation

L’annulation par le Conseil constitutionnel ivoirien des résultats des élections augmente le risque de violences

(Dakar, le 4 décembre 2010) - Le Président Laurent Gbagbo doit s'assurer que les autorités sous son contrôle respectent les droits de tous les Ivoiriens, y compris ceux des partisans de l'opposition, notamment leur droit à la sécurité et à la liberté d'expression et de circulation, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le gouvernement ivoirien a fermé ses frontières terrestres et aériennes, interrompu la diffusion des médias internationaux et restreint la circulation des journalistes et des reporters quelques heures seulement avant l'annulation controversée par le Conseil constitutionnel ivoirien, le 3 décembre 2010, du verdict de la Commission électorale indépendante (CEI) et avant l'annonce de la victoire de Laurent Gbagbo au second tour de l'élection présidentielle qui s'est tenue le 28 novembre.

Les observateurs internationaux ont déclaré que l'annonce initiale par la CEI de la victoire du chef de l'opposition Alassane Ouattara exprimait la volonté du peuple ivoirien lors d'élections jugées dans l'ensemble libres et équitables. Suite à la décision du Conseil constitutionnel d´annuler le vote, le bureau du Secrétaire général de l'ONU a reconnu Alassane Ouattara comme le président élu de la Côte d'Ivoire. Les États-Unis et l'Union européenne ont appelé Laurent Gbagbo à reconnaître la victoire de Ouattara au second tour.

« C'est vraiment maintenant que les gens doivent garder la tête froide en Côte d'Ivoire », a déclaré Corinne Dufka, chercheuse senior sur l'Afrique de l'Ouest à Human Rights Watch. « Il y a un risque élevé de violences entre les partisans des deux candidats, et de répression par les forces de sécurité ivoiriennes contre les partisans réels ou présumés de Ouattara. »

Dans la nuit du 1er décembre, des gendarmes et des membres des forces paramilitaires se sont introduits dans les bureaux du parti de Ouattara à Abidjan, la capitale financière du pays, et ont ouvert le feu, faisant au moins quatre morts et de nombreux blessés. Durant cette phase postélectorale tendue, les Nations Unies et les États dont le rôle est clé doivent clairement faire savoir à Laurent Gbagbo qu'il sera tenu pour responsable si ses forces de sécurité perpètrent des violences ou des violations de droits humains, ou échouent à défendre les partisans de l'opposition contre les forces paramilitaires partisanes de Laurent Gbagbo, a déclaré Human Rights Watch.

Human Rights Watch a appelé les milliers de Casques bleus présents dans le pays depuis la création de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) en 2004 à se tenir prêts à agir immédiatement selon le mandat de l'opération afin de « protéger les civils en danger immédiat de violence physique, dans la limite de ses capacités et dans les zones de déploiement de ses unités » et « contribuer à la promotion et à la défense des droits de l'homme en Côte d'Ivoire en prêtant une attention particulière aux actes de violence commis contre les femmes et les filles ».

Les forces de sécurité ivoiriennes, qui agissent souvent main dans la main avec les milices pro-Gbagbo, ont utilisé la force de manière abusive et meurtrière à maintes reprises et commis des délits de manière généralisée à l'encontre de la population civile. Les violences perpétrées à l'occasion des élections de l´an 2000 ont provoqué la mort de 200 personnes, notamment lors de massacres commis par l´armée et les gendarmes. Depuis, les milices pro-gouvernementales - qui agissent parfois avec les forces de sécurité - ont été impliquées dans de nombreuses attaques basées sur des motifs politiques contre des membres et des partisans présumés de l'opposition, des journalistes et des Casques bleus.

En cas de manifestations violentes, Human Rights Watch appelle les forces de sécurité ivoiriennes à respecter les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois, qui exigent que ceux-ci, dans l'accomplissement de leurs fonctions, aient recours autant que possible à des moyens non-violents avant de faire usage de la force. Lorsque l'usage légitime de la force est inévitable, les responsables de l'application des lois doivent user cette force avec modération, s'efforcer de ne causer que le minimum de dommages et d'atteintes à l'intégrité physique et de respecter et de préserver la vie humaine. Les autorités ivoiriennes ont la responsabilité de garantir que les commandants, y compris le président ivoirien lui-même, seront tenus responsables s'ils savent ou sont susceptibles de savoir que des responsables des forces de l'ordre sous leur commandement ont eu recours à l'usage illégal de la force et d'armes à feu, et s'ils n'ont pas pris toutes les mesures en leur pouvoir pour prévenir, stopper ou rapporter ces délits.

Human Rights Watch a également appelé l'Union européenne, les États-Unis, l'Union africaine, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et les Nations Unies à indiquer clairement aux autorités ivoiriennes qu'elles seront tenues pour responsables des violences qu'elles auront suscitées ou tolérées. En outre, ces institutions doivent faire pression sur les autorités ivoiriennes afin de lever immédiatement les restrictions relatives à la liberté de circulation et à la diffusion des chaînes de radios et de télévision.

« Le second tour des élections en Côte d'Ivoire aurait dû être un tournant pour ce peuple à qui l'on a longtemps refusé le droit d'élire librement son président », a déclaré Corinne Dufka. « Les autorités ivoiriennes et les partenaires internationaux doivent garantir que ces élections ne reproduisent pas un schéma au sein duquel se succèdent des irrégularités de vote et des actes de violence ciblés commis par ceux qui ont le devoir de protéger la population de manière impartiale. »

Contexte
Après de multiples reports de l'élection présidentielle ces cinq dernières années, les Ivoiriens se sont finalement rendus aux urnes le 31 octobre pour le premier tour de l'élection présidentielle, et le 28 novembre pour le second tour. L'élection opposait Laurent Gbagbo, le candidat sortant du Front populaire ivoirien (FPI), à Alassane Ouattara, du Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Alors qu'un porte-parole de la CEI se préparait à annoncer les résultats définitifs le 30 novembre, un membre de la CEI, partisan de Gbagbo, lui a arraché les bulletins des mains et les a déchirés.

Le 2 décembre, le président de la CEI, Youssouf Bakayoko, a déclaré Alassane Ouattara victorieux avec plus de 54 pour cent des voix. Quant au président du Conseil constitutionnel, Paul Yao N'Dre, chargé d'arbitrer les litiges, il a invalidé la décision de la CEI parce qu'elle n'avait pas respecté le délai de trois jours pour annoncer les résultats. Il a annoncé que le Conseil examinerait la demande de Laurent Gbagbo d'annuler certains résultats en raison d'allégations d'irrégularités et d'intimidation.

Les observateurs internationaux, notamment l'Union européenne et le Centre Carter, ont publiquement déclaré que les irrégularités et la violence n'avait pas été telles qu'elles justifieraient une invalidation des résultats, et que, globalement, les élections avaient été libres et équitables. Moins de 24 heures plus tard cependant, le Conseil constitutionnel annulait les résultats des élections annoncés par la CEI et proclamait Laurent Gbagbo vainqueur, avec 51 pour cent des voix. Le Conseil constitutionnel est largement considéré par les observateurs internationaux comme truffé de partisans de Laurent Gbagbo, dont N'Dre.

Depuis les premières élections multipartites de 1995, la vie politique ivoirienne est nettement divisée selon des lignes de fracture ethniques, régionales et religieuses. En 1995, et aussi en 2000, Alassane Ouattara avait été empêché de se présenter à la présidence parce que sa nationalité avait été mise en doute. Laurent Gbagbo avait été déclaré vainqueur de l'élection de 2000 par la commission électorale, mais le général Robert Gueï, qui avait pris le pouvoir lors d'un coup d'État en 1999 et était arrivé deuxième aux élections de 2000, avait tenté d'ignorer les résultats et choisi de se maintenir au pouvoir.

Des protestations massives s'en étaient suivies, et le général Gueï qui avait perdu le soutien de l'armée, avait fui le pays. Laurent Gbagbo était devenu président un jour plus tard. Le parti RDR de Ouattara ayant immédiatement mis en lice ses candidats et appelé à de nouvelles élections, les partisans de Laurent Gbagbo et d'Alassane Ouattara s'étaient violemment affrontés. L'armée et les gendarmes ont utilisé la force avec excès, à plusieurs reprises, pour réprimer les manifestations des partisans de Ouattara, commettant plusieurs massacres qui avaient fait plus de 200 morts.

À la suite des élections de 2000, la tension n'a fait que monter entre le nord et le sud. Le 19 septembre 2002, les rebelles du Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI), dont les membres avaient été largement recrutés parmi les musulmans du nord du pays, avait attaqué Abidjan et les villes du nord de Bouaké et de Korhogo. Plusieurs autres groupes rebelles avaient rejoint le MPCI pour former les Forces nouvelles. La guerre civile s'était poursuivie jusqu'à ce qu'un accord de cessez-le-feu mette fin au conflit armé ouvert entre le gouvernement et les Forces nouvelles en mai 2003. Tout au long des sept dernières années, cependant, le pays est resté de fait scindé en deux, avec les Forces nouvelles contrôlant le nord et le gouvernement le sud.

Les efforts de la France, de la CEDEAO, de l'Union africaine et des Nations Unies pour faire se rencontrer les parties et sortir de l'impasse ont fini par aboutir à l'Accord politique de Ouagadougou de mars 2007 qui appelait à des élections immédiates et à la réunification du pays. Le gouvernement de Gbagbo avait fait peu d'efforts pour redéployer les fonctionnaires de l'État vers le nord, et les Forces nouvelles avait souvent empêché les tentatives qui avaient été faites. Les élections avaient été différées à six reprises, permettant à Gbagbo de se maintenir au pouvoir cinq ans après l'expiration de son mandat, niant au peuple ivoirien le droit d'élire son dirigeant.

L'État de droit s'est désagrégé au cours de la dernière décennie et les institutions mandatées pour maintenir l'ordre public, notamment la police et la gendarmerie, n'ont plus guère de crédit. Dans le sud, les forces de l'ordre sont largement noyautées par des partisans de Gbagbo et du FPI; suppléées par les milices pro-Gbagbo, notamment les Jeunes patriotes et la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire (FESCI). Sept ans après la fin des hostilités ouvertes, les efforts pour désarmer les factions combattantes ont presque tous échouées. Il n'est pas difficile de trouver des armes et leur possession est largement répandue.

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