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La liberté de Liu Xiaobo vaut celle d'Aung San Suu Kyi

Par Jean-Marie Fardeau, directeur France de Human Rights Watch

Tribune parue sur le site LeMonde.fr le 25 novembre 2010

Mardi 16 novembre au soir, le journaliste David Pujadas, après avoir souligné la satisfaction que le président de la République a exprimée suite à la libération d'Aung San Suu Kyi, lui a demandé s'il allait publiquement demander la libération par le gouvernement chinois du prix Nobel de la paix, M. Liu Xiaobo.

Dans sa réponse, Nicolas Sarkozy a tout d'abord laissé comprendre que sa récente intervention auprès du président chinois Hu Jintao en faveur de la lauréate du prix Nobel de la paix de l'année 1991 avait été décisive pour que la Chine joue de son "influence sur les autorités birmanes" et obtienne sa libération. Puis, il a expliqué que, concernant la Chine, il serait contre-productif de s'exprimer publiquement au sujet de Liu Xiaobo et qu'avec une telle stratégie, mis à part une recherche de satisfaction personnelle et d'un coup de communication, "on bloque le système, on nuit aux intérêts de ceux qu'on veut défendre. On ne fait rien avancer du tout". Il a ajouté qu'il souhaite être jugé sur ce qu'il fait et sur "les résultats" qu'il obtient.

M. Sarkozy a ainsi justifié sa décision de voir la France prendre publiquement la défense de la prix Nobel de la paix birmane mais pas celle du prix Nobel de la paix chinois. Ce "deux poids, deux mesures" n'est pas recevable.

Concernant Aung San Suu Kyi, au sujet de laquelle le président a lui-même souligné avec justesse qu'elle n'aurait jamais dû être privée de liberté, beaucoup d'analystes s'accordent pour dire que l'objectif de la junte, en lui accordant enfin la liberté, est de faire accepter par la communauté internationale le résultat des élections frauduleuses du 7 novembre. Les généraux birmans - même déguisés en civils - visent en outre à faire atténuer les sanctions économiques et financières qui touchent directement leurs intérêts.

Nous sommes persuadés que le maintien d'un niveau élevé de pressions ciblées sur les principaux dirigeants birmans, a été décisif pour que la junte cherche à rendre plus acceptable la façade de son système répressif. Nous sommes convaincus que c'est en accroissant encore cette pression que ce régime acceptera un jour de libérer l'ensemble des 2 200 prisonniers politiques et d'instaurer le dialogue national en vue d'une réelle démocratisation du pays, dialogue qu'Aung San Suu Kyi appelle de ses vœux.

Concernant Liu Xiaobo, qui purge actuellement une peine de onze ans de prison pour avoir participé à la rédaction de la "Charte 08" visant davantage de démocratie dans le cadre d'engagements déjà pris par la Chine, la décision de la France de mener uniquement une diplomatie discrète sur la question des droits humains dans ce pays nous paraît inadéquate et inefficace. La Chine, comme tout pays, est sensible à son image, une image qui ne risque pas d'être ternie lorsque les critiques sur les droits humains sont tenus derrière des portes fermées, loin des caméras.

Rapports de forces

Nous notons aussi que deux des principaux alliés de la France, l'Allemagne et les Etats-Unis, tiennent eux un langage clair et public sur la question de la libération de Liu Xiaobo. A notre connaissance, la Chine n'a pas décidé de rompre ni le dialogue ni les échanges commerciaux avec eux. Pire, nous estimons que la stratégie choisie par la France renforce in fine les partisans de la manière forte au sein du régime chinois. Plusieurs connaisseurs du système politique chinois ont expliqué la condamnation de Liu Xiaobo n'avait pas fait l'unanimité au sein du Parti communiste chinois (PCC). L'aile réformiste du PCC avait cherché à s'y opposer. D'après Jean-Philippe Beja, directeur de recherches au CERI, la libération de Liu Xiaobo dépendra "de la pression internationale" et "du rapport de forces au sein du régime". La parole de Nicolas Sarkozy viendrait certainement renforcer la position des plus modérées.

M. Liu Xiaobo aura sans doute du mal à comprendre - lorsqu'il aura enfin recouvré la liberté - pourquoi la présidence française n'a pas émis de communiqué officiel le jour où le comité Nobel l'a choisi comme lauréat. La discrétion sur un tel cas n'est pas à la hauteur des valeurs que la France prétend défendre sur la scène internationale. Quand un prix Nobel de la paix est maintenu derrière les barreaux, la parole de la France est attendue par tous les défenseurs des droits de l'homme dans le monde entier.

La Chine détient désormais le triste privilège d'être le seul pays au monde à garder en prison un prix Nobel de la paix. Nous enjoignons Nicolas Sarkozy à unir sa voix à celle des autres leaders des grandes démocraties qui se sont déjà exprimés à haute et intelligible voix parce que la vie d'un homme tel que Liu Xiaobo vaut la peine de prendre des risques diplomatiques dont nous pourrons être fiers le jour où il recouvrira sa liberté !

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