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Guinée : Les autorités doivent garantir aux détenus des procès équitables à la suite des violences postélectorales

Les autorités devraient aussi enquêter sur un décès en garde à vue et sur les détentions arbitraires dans une prison militaire non autorisée

(Dakar, le 24 novembre 2010) - Les autorités guinéennes doivent garantir des procès équitables aux quelque 125 hommes et garçons arrêtés lors des violences qui ont fait suite à l'annonce des résultats de l'élection présidentielle, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les autorités devraient également mener des enquêtes sur la mort en détention d'un homme guinéen-américain qui avait été détenu arbitrairement. Elles devraient, par ailleurs, soit inculper, soit libérer quatre autres personnes maintenues en détention arbitraire dans une prison militaire non autorisée, située au large des côtes de la capitale guinéenne Conakry.

Les élections ont été conçues pour mettre un terme à plus de 50 ans de régime autoritaire et abusif en Guinée. Cependant, des irrégularités lors des primaires de juin et lors du deuxième tour en novembre, ainsi que les violences politiques et ethniques et le recours excessif à la force par les forces de sécurité face à la situation, ont entaché la crédibilité des élections. Les exactions contre les détenus, les arrestations arbitraires de civils, et des accusations de fomentation de coup d'État par l'armée, illustrent les tensions persistantes au sein des forces de sécurité ainsi que la fragilité de la transition de la Guinée vers un régime civil.

« Les autorités de transition guinéennes, et ultérieurement le nouveau gouvernement, doivent garantir à tous les détenus un traitement conforme à la loi, et enquêter sur les informations inquiétantes à propos d'exactions perpétrées par les forces de sécurité et de détentions arbitraires », a déclaré Corinne Dufka, chercheuse senior sur l'Afrique de l'Ouest à Human Rights Watch. « La Guinée ne pourra surmonter son lourd passé entaché de violence et d'instabilité qu'en accordant la plus haute priorité au respect de la loi. »

Violences et détentions intercommunautaires
Le 15 novembre 2010, jour où la commission électorale a déclaré Alpha Condé vainqueur de l'élection présidentielle, des violences communautaires ont éclaté entre ses partisans à dominance Malinké et Susu et les partisans à dominance Peul de son rival, Cellou Dalein Diallo. Quelque 125 personnes, dont 26 garçons, faisaient partie des personnes arrêtées, inculpées et transférées à la prison centrale de Conakry.

Bien que de nombreux témoins aient décrit des sympathisants des deux partis participant à des actes d'agression généralisés, les registres de la prison consultés par Human Rights Watch indiquent que les hommes et les garçons détenus sont en grande majorité Peuls. Les chiffres évoquent une réponse à motivation ethnique et disproportionnée aux violences de la part des forces de sécurité, dont très peu sont Peuls. Human Rights Watch n'a pas pu déterminer avec certitude combien de personnes arrêtées ont été détenues sur la base d'allégations crédibles d'actes criminels, ou si elles ont été détenues arbitrairement sur la base de leur appartenance ethnique.

Des témoins à Conakry ont indiqué à Human Rights Watch que les forces de sécurité avaient sévèrement maltraité un grand nombre d'hommes et de garçons à la fois pendant et après leur arrestation, qui dans plusieurs cas est survenue à leurs domiciles. Human Rights Watch a exhorté les dirigeants du gouvernement à s'assurer que les membres des forces de sécurité soupçonnés de violences illégales contre les détenus fassent l'objet d'une enquête et de poursuites conformes aux normes internationales de procès équitable.

Décès de Michel Loua en garde à vue à la gendarmerie
Le corps de Michel Lazare Loua, 45 ans, un résident permanent des États-Unis, a été remis à la morgue d'un hôpital de Conakry le 15 novembre. Des témoins ont indiqué à Human Rights Watch que le corps semblait présenter une blessure par balle à la poitrine.

Trois témoins ayant une connaissance intime de l'affaire de Michel Loua ont déclaré à Human Rights Watch qu'il avait été arrêté le 26 octobre par des membres de l'Escadron mobile de la gendarmerie n° 4 dans le district administratif de Matoto de Conakry. Des témoins ont expliqué l'y avoir vu en détention à la fin octobre et en novembre, et ont déclaré que les gendarmes leur ont dit que Michel Loua était soupçonné d'implication dans la fomentation d'un coup d'État.

Human Rights Watch a pu voir une copie d'une lettre des autorités judiciaires guinéennes datée du 28 octobre et adressée au commandant de la gendarmerie de Matoto, lui rappelant la durée limite de 48 heures pour la détention provisoire. Les autorités judiciaires ont cependant déclaré à Human Rights Watch qu'avant la mort de Michel Loua elles avaient été prévenues par les gendarmes de renoncer à poursuivre l'affaire. Des témoins ont également affirmé que les gendarmes de la gendarmerie de Matoto ont ignoré les efforts réitérés de la part de juges ayant juridiction sur l'affaire, ainsi que des avocats de Michel Loua, pour faire transférer le dossier de Loua de l'escadron de gendarmerie à l'autorité judiciaire compétente.

Un rapport médical daté du 11 novembre, consulté par Human Rights Watch, faisait mention de signes graves de mauvais traitement, notamment des hématomes et gonflements de la tête, du dos et des poignets. Un témoin a dit qu'il avait appris la mort de Michel Loua le matin du 15 novembre lors d'un appel d'un responsable de la morgue qui lui a dit qu' « un corps a été déposé hier soir au milieu de la nuit avec votre numéro de téléphone sur une carte dans la poche de son pantalon ». Le 22 novembre, les autorités ont confirmé à Human Rights Watch la présence du corps de Michel Loua à la morgue de l'hôpital.

Détentions arbitraires au camp militaire de l'île de Kassa
Human Rights Watch est également préoccupé par la détention arbitraire de quatre hommes dans un centre de détention officieux au camp militaire de l'île de Kassa, à quelques kilomètres au large des côtes de Conakry. Pendant un an à partir de décembre 2008, sous le régime militaire du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), de nombreuses personnes ont été détenues et torturées sur l'île de Kassa. Lorsque le général Sékouba Konaté a pris le pouvoir en janvier 2010 pour diriger un gouvernement de transition jusqu'à ce que de nouvelles élections puissent avoir lieu, il a fermé le centre de détention de l'île de Kassa.

Trois témoins interrogés par Human Rights Watch ont confirmé la détention arbitraire dans le camp d'un civil, Sékou Souape Kourouma, 48 ans, depuis septembre, ainsi que la détention depuis le 11 novembre du colonel David Sylla, du colonel Sékou Fadiga et du capitaine Issa Camara, tous apparemment accusés d'avoir fomenté un coup d'État. Les témoins qui ont vu les hommes en détention ont affirmé que Sékou Souape Kourouma avait des coupures et des cicatrices visibles sur ses poignets, et qu'il leur a dit avoir été battu et soumis à un traitement humiliant lors de son arrestation par des membres des Bérets rouges.

Cette détention prolongée des hommes sans accusation, sans accès à un avocat, ou à un examen par un juge indépendant constitue une détention arbitraire, en violation des obligations de la Guinée envers le droit international. La détention arbitraire sur l'île de Kassa est une violation directe du droit guinéen. D'autre part, l'article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la Guinée en 1978, stipule que toute personne arrêtée doit être informée, au moment de son arrestation, des raisons de l'arrestation et informée sans délai de toute accusation formulée contre elle. Les autorités guinéennes devraient soit entamer un procès formel contre les hommes et veiller à ce qu'ils soient traduits devant un juge immédiatement, soit ordonner leur libération immédiate et inconditionnelle, a conclu Human Rights Watch. Dans tous les cas, les hommes devraient être indemnisés pour leur détention arbitraire.

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