(Dakar, le 5 novembre 2010) - L'unité spéciale chargée de la sécurité pendant le deuxième tour de l'élection présidentielle de Guinée prévu le 7 novembre devra agir avec discipline, avec un minimum de force et avec neutralité, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Alors que le premier tour des élections, au mois de juin dernier, s'est déroulé dans un calme relatif, le deuxième tour va se tenir dans un climat de tension politique et ethnique exacerbé.
Le gouvernement guinéen a créé au mois de mai la Force spéciale de sécurisation du processus électoral (FOSSEPEL), forte de 16 000 membres et composée pour la moitié de policiers et de gendarmes, pour assurer la sécurité pendant et après le processus électoral. Les quelques affrontements entre les partisans de différents partis politiques, avant et immédiatement après le premier tour, ont été rapidement désamorcés, dans le respect semble-t-il du principe d'un usage minimum de la force. Cependant, la réponse de la FOSSEPEL aux violents affrontements à Conakry, la capitale, à la fin du mois d'octobre, avait été, elle, marquée par l'usage excessif de la force, un manque de discipline et une partialité ethnique.
« Le risque d'irruption de violences pendant, et particulièrement après les élections, est très élevé », a averti Corinne Dufka, chercheuse senior sur l'Afrique de l'Ouest à Human Rights Watch. « Les services de sécurité guinéens doivent tout mettre en œuvre pour protéger tous les Guinéens, et faire en sorte que les électeurs puissent déposer sans peur leurs bulletins dans les urnes. »
Le général Ibrahim Baldé, chef de la Gendarmerie Nationale, commande l'unité spéciale. Au mois de juillet, le général Baldé a signé un document très attendu, intitulé « Principes de base de l'usage de la force », selon lequel les forces de sécurité guinéennes doivent se comporter d'une manière exemplaire en matière de maintien de l'ordre, notamment en recourant le moins possible à la force.
Lors des affrontements du mois d'octobre, Human Rights Watch avait recueilli de nombreux témoignages dignes de foi sur les abus des policiers et des gendarmes de la FOSSEPEL, notamment des agressions et des violences contre les militants de partis. Dans certains cas, les victimes ont même été poursuivies jusque chez elles ou sur leur lieu de travail. Selon ces rapports, des membres de l'unité de sécurité ont profité des troubles pour piller les magasins et commettre des vols : téléphones portables, de l'argent et des marchandises.
Les deux candidats au second tour appartiennent chacun au deux plus grands groupes ethniques du pays et ils sont majoritairement soutenus par les membres de leur ethnie respective. Cellou Dalein Diallo, de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFD), est un Peul, et Alpha Condé, du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), est un Malinké. Cependant, très peu de Peuls appartiennent aux services de sécurité.
Des témoins ont rapporté comment certains officiers du FOSSEPEL se sont comportés violemment et ont volé certains individus en les choisissant à cause de leur ethnie, en proférant des menaces racistes et en les avertissant de ne pas voter pour tel ou tel parti. Des dizaines de manifestants ont aussi été détenus arbitrairement dans des camps de détentions de la gendarmerie, et l'accès à un avocat leur a été refusé.
Après les troubles du mois d'octobre, la mission du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'homme a rapporté qu'au moins une personne avait été tuée et 62 autres avaient été blessées par les forces de sécurité, faisant un usage de la force qualifié d'excessif par la mission. Les membres de la FOSSEPEL ont été impliqués dans de nombreux de ces affrontements. Durant certains de ces incidents, les manifestants on érigés des barricades, brûlé des pneus et lancés des pierres sur les forces de sécurité et ont blessé certains.
Au lieu d'enquêter sur ces allégations de violence, les responsables de la FOSSEPEL ont paru vouloir relativiser leur responsabilité, a déclaré Human Rights Watch. Selon des sources locales, des officiers supérieurs des forces de sécurité, y compris le général Baldé lui-même, ont déclaré que les violences alléguées avaient été commises par des « éléments incontrôlés » de la police, de la gendarmerie et de l'armée.
Depuis le mois de septembre, les tensions politiques et ethniques n'ont fait que monter en Guinée. L'organisme désigné pour superviser le déroulement des élections a tout dernièrement seulement surmonté une crise de direction. C'est, pour les Guinéens qui attendent d'élire un président, le troisième report du second tour. L'empoisonnement supposé de dizaines de partisans du Parti du Peuple Guinéen lors d'une réunion à Conakry a provoqué un regain d'agression sur la base de l'appartenance ethnique contre des Peuls dans quatre villes au moins. Plusieurs milliers de personnes ont fui ces violences, principalement à l'est du pays, dans les villes de Siguiri, Kouroussa, and Kissidougou.
La tension a conduit de nombreux diplomates, analystes et dirigeants de la société civile à avertir des risques de violences politiques après le second tour. Human Rights Watch demande instamment aux autorités guinéennes et tout particulièrement au général Baldé :
- d'ordonner à tous les membres des forces de la FOSSEL de respecter les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la forces et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois pour disperser les manifestants et de rappeler fréquemment et publiquement ces consignes;
- de réitérer le principe de tolérance zéro pour les comportements criminels et la violation des droits humain par la police et les gendarmes ; et
- d'informer les membres des forces de sécurité, à tous les niveaux de la hiérarchie, qu'il sera enquêter sur les allégations dignes de foi de violations des droits humains , que les responsables seront punis et qu'ils devront rendre des comptes.
Les principes de base des Nations Unies exigent que les forces de l'ordre, lors de leur mission, utilisent en priorité des moyens non violents avant de recourir à la force. Si l'usage légitime de la force s'avère inévitable, les agents des forces de l'ordre doivent faire preuve de retenue, minimiser à tout moment les dommages et les blessures, et respecter et préserver, en toutes circonstances, la vie humaine. Les autorités guinéennes doivent demander des comptes aux officiers des forces de sécurité qui, sachant, ou ayant des raisons de savoir que les chefs des forces de l'ordre sous leur autorité ont recouru à l'usage illégitime de la force et d'armes à feu, n'ont pas pris toutes les mesures en leur pouvoir pour empêcher, éliminer ou informer de ces violences.
Les forces de sécurité guinéennes ont par le passé à maintes reprises recourus à une force mortellement disproportionnée et ont répliqué aux manifestations en s'adonnant à des activités criminelles. En 2006 et 2007, environ 150 personnes ont été tuées alors qu'ils manifestaient contre la détérioration des conditions économiques et environ 1 700 ont été blessées. Le 28 septembre 2009, 150 manifestants au moins ont été tués et 100 femmes ont été violées par les forces de sécurité au cours d'une répression sanglante contre des manifestants demandant des élections justes et libres.
Human Rights Watch a également lancé un appel aux Nations Unies, à la France et aux États-Unis pour exercer une pression cohérente et significative sur les commandants des unités de sécurité et les dirigeants politiques guinéens pour assurer des élections crédibles et pacifiques.
« Le deuxième tour des élections de Guinée peuvent être un tournant pour un peuple à qui a été si longtemps refusé le droit d'élire librement son président », a conclu Corinne Dufka. « Si les forces de sécurité restent neutres, agissent professionnellement et répondent à toutes violences en faisant tout leur possible pour protéger la vie humaine, ils peuvent contribuer à faire de cette élection une victoire pour tous les Guinéens. »