(Dakar, le 26 octobre 2010) - Les autorités guinéennes devraient mener une enquête sur l'agression commise le 23 octobre 2010 contre le Dr Mamadou Aliou Barry, un éminent défenseur des droits humains, sanctionner les membres des forces de sécurités responsables et engager des poursuites à leur encontre, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Barry se trouvait parmi les dizaines de personnes qui ont été semble-t-il sévèrement battues ce jour-là par des membres des forces de sécurité, dans un climat de tensions ethniques et politiques accrues suite au report du second tour de scrutin de l'élection présidentielle.
Barry, président de l'Observatoire national de la démocratie et des droits de l'homme (ONDH), une institution nationale indépendante, a fréquemment et publiquement dénoncé les actes de criminalité et l'usage excessif de la force de la part des membres des services de sécurité. Il a été agressé alors qu'il tentait d'empêcher des membres des forces de sécurité de s'en prendre à un groupe de jeunes dans le quartier de Hamdalaye.
« Les forces de sécurité guinéennes doivent tenir leurs promesses récentes d'insuffler davantage de discipline dans leurs rangs », a déclaré Corinne Dufka, chercheuse senior sur l'Afrique de l'Ouest à Human Rights Watch. « Veiller à ce que les auteurs de l'agression contre le Dr Barry, entre autres, rendent compte de leurs actes serait un bon point de départ. »
Dans un entretien téléphonique avec Human Rights Watch depuis son lit d'hôpital à Conakry, Barry a expliqué qu'il était arrivé au rond-point de Hamdalaye, un quartier fortement peuplé de Conakry, vers 13h30 le 23 octobre, pour enquêter sur des attaques contre des habitants de ce quartier. Il a vu des hommes qu'il croyait être des gendarmes et des membres de la garde présidentielle frapper des habitants et saccager des maisons et des magasins.
Après avoir essayé d'intervenir en faveur de quelques jeunes hommes alors qu'ils étaient soumis à un violent passage à tabac, il a lui-même été attaqué par les agresseurs qui l'ont frappé, arrêté et détenu dans l'une de cinq camionnettes « pick-up » avec environ 75 autres hommes. Au cours de l'opération, il a vu les forces de sécurité tirer sur deux jeunes qui avaient sauté hors des camions et tentaient de s'enfuir. Il a vu plus tard ces deux derniers allongés à terre, mais n'a pas pu dire s'ils étaient morts.
Les personnes arrêtées, dont Barry, ont été à nouveau rouées de coups après leur arrivée à un poste local de gendarmerie. Il a été relâché environ une heure plus tard, après qu'un officier de gendarmerie l'a reconnu. Il avait un bras fracturé et de multiples contusions, et il a indiqué que son téléphone portable, ainsi que ceux de nombreux autres détenus, avait été volé par des agents des forces de sécurité. Des agents de l'État interrogés par Human Rights Watch ont déclaré que de nombreux autres hommes arrêtés en même temps sont toujours en détention.
Barry a ajouté que les forces de sécurité avaient apparemment choisi de s'en prendre à lui et aux autres personnes arrêtées et maltraitées en raison de leur appartenance à l'ethnie peule. Il a indiqué que les soldats disaient explicitement aux hommes : « Vous, les Peuls, on ne vous laissera pas voter. Nous allons vous arrêter et vous garder ici ... vous ne serez pas au pouvoir, nous allons vous écraser. »
Le premier tour de l'élection présidentielle en Guinée s'est déroulé en juin dans un calme relatif, mais les tensions n'ont cessé de s'exacerber dans un contexte d'allégations de fraude contre les membres des commissions électorales et deux reports du second tour. L'attaque contre Barry et les autres s'est produite au cours d'une semaine de violents affrontements à Conakry entre membres des deux partis qui s'apprêtent à participer au second tour de scrutin, d'agressions à caractère ethnique contre les citoyens des différentes communautés et d'incidents d'usage excessif de la force par des forces de sécurité. Les membres des deux groupes ethniques les plus représentés en Guinée - les Peuls et les Malinkés - ont largement soutenu le candidat qui représente leur groupe ethnique : Cellou Dalein Diallo, un Peul, et Alpha Condé, un Malinké. Très rares sont les Peuls membres des services de sécurité.
Au cours de certains des incidents, les manifestants ont érigé des barricades, brûlé des pneus et lancé des pierres sur les membres des forces de sécurité, en blessant certains. La mission du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'homme a signalé qu'au moins une personne avait été tuée et 62 blessées par les forces de sécurité, dans ce qu'elle a qualifié d'usage excessif de la force dans leurs affrontements avec les manifestants.
Human Rights Watch a également appelé les forces de sécurité guinéennes à se conformer aux Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois pour disperser les manifestations. Ces principes exigent que les forces de l'ordre, dans l'accomplissement de leurs fonctions, utilisent des moyens non violents dans la mesure du possible avant de recourir à la force. Lorsque l'usage légitime de la force est inévitable, les agents des forces de l'ordre doivent faire preuve de retenue, minimiser à tout moment les dommages et les blessures, et respecter et préserver la vie humaine.
Les Principes de l'ONU stipulent que les forces de l'ordre doivent veiller à ce que les officiers supérieurs soient tenus pour responsables s'ils ont connaissance, ou auraient dû savoir, que les agents des forces de l'ordre sous leur commandement ont eu recours à un usage illégitime de la force et des armes à feu, et s'ils n'ont pas pris toutes les mesures en leur pouvoir pour prévenir, réprimer ou signaler cet usage.