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UE/UA/US: Les gouvernements devraient agir en faveur de la justice relative aux crimes en RD Congo

Lettre de HRW et la FIDH aux Ministres des Affaires étrangères et autres officiels concernant le suivi du « Projet Mapping» de l’ONU

  • À la Haute Représentante de l'UE pour les Affaires étrangères, Catherine Ashton
  • Aux 27 ministres des Affaires étrangères de l'UE
  • À la Secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton
  • Au Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, et à la Haut-Commissaire aux droits de l'homme, Navanethem Pillay

le  9 novembre 2010

Excellences,

Suite à la publication officielle par les Nations Unies, le 1er octobre 2010, du « Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la République démocratique du Congo » (rapport du Projet Mapping), nous vous adressons la présente pour vous demander de prendre des mesures visant à ce que justice soit rendue aux victimes des crimes internationaux graves perpétrés en RD Congo. Plus précisément, nous vous prions (i) d'appuyer l'appel lancé par le gouvernement congolais en faveur de la tenue, à Kinshasa, d'une conférence destinée à discuter des options judiciaires et non-judiciaires proposées dans le rapport du Projet Mapping, et (ii) de répondre en principe positivement à la proposition formulée par le gouvernement congolais de créer une « chambre mixte spécialisée ».

Nous estimons que le rapport du Projet Mapping de l'ONU constitue un puissant rappel de la gravité des crimes commis en RD Congo, et des effets révoltants de l'impunité. Touché par des années de violence, ce pays a été le théâtre d'effroyables exactions perpétrées par des acteurs nationaux et internationaux à l'encontre de civils. Force est de constater que ces exactions se poursuivent, comme en témoignent les viols de masse dont ont été victimes plus de 300 civils à Walikale, dans l'est de la RD Congo, au début du mois d'août 2010. Il faut de toute urgence que justice soit faite pour contribuer à mettre fin au cycle de violence et à la culture sous-jacente de l'impunité. Il ne s'agit pas uniquement d'un devoir moral envers les victimes et d'une obligation au regard du droit international ;  cela s'avère également crucial afin d'instaurer une paix durable dans l'est de la RD Congo et dans la région des Grands Lacs.

Dans sa réponse au rapport du Projet Mapping les 1er et 2 octobre 2010,[1] le gouvernement congolais a accueilli favorablement le document. Il a souligné que le fait de rendre justice aux victimes revêtait une importance capitale et a clairement manifesté sa volonté de prendre des mesures en ce sens. Reconnaissant que son système judiciaire présente actuellement deslimitations en ce qui concerne la répression des crimes internationaux graves, le gouvernement congolais a déclaré qu'après examen des diverses options présentées dans le rapport en matière de justice, il avait pris la décision de proposer l'instauration de « chambres spécialisées » qui seront intégrées dans les juridictions nationales et auront un caractère « mixte », signifiant par là qu' « une ouverture est faite aux magistrats étrangers ».[2] Le gouvernement a proposé que ces chambres soient compétentes pour juger des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et des actes de génocide perpétrés avant l'entrée en vigueur du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) le 1er juillet 2002.

Le soutien apporté publiquement par le gouvernement congolais à la mise en place d'une « chambre mixte spécialisée » constitue un considérable pas en avant sur la voie de l'instauration d'un mécanisme capable d'amorcer le processus qui permettra de rendre justice. Le gouvernement congolais ne peut toutefois s'en charger seul. Les crimes commis sont complexes, beaucoup se sont produits dans un contexte de conflit international, et les auteurs de ces actes comptent dans leurs rangs des ressortissants congolais et non-congolais.

Le gouvernement congolais aura besoin d'un soutien et d'une expertise à la fois sur le plan politique, financier et judiciaire pour être en mesure de mettre en place et de faire fonctionner une chambre mixte. Ce fut le cas dans d'autres pays également, notamment en Bosnie-Herzégovine. Nous pensons que puisque bon nombre de violations graves des droits humains continuent d'être perpétrées en RD Congo, le mandat temporel de cette chambre mixte ne devrait pas être limité dans le temps afin qu'elle puisse être également compétente pour juger des crimes actuels. Pour ces crimes récents, la chambre mixte fonctionnerait de manière complémentaire avec la Cour pénale internationale (CPI), laquelle a ouvert des enquêtes en RD Congo pour des crimes relevant de sa compétence et commis après le 1er juillet 2002. Nous avons déjà soulevé la question de la compétence temporelle de la chambre auprès du gouvernement congolais et espérons que vous ferez de même.

À nos yeux,  la chambre mixte devrait se focaliser sur les personnes qui portent la plus grande part de responsabilité dans des crimes internationaux graves, mais qui ne sont pas poursuivies par la CPI et échappent aussi au système judiciaire congolais. La chambre mixte devrait également coopérer, s'il y a lieu, avec les tribunaux locaux pour encourager d'autres poursuites à l'encontre de soldats et de subalternes impliqués dans ces crimes. Cela contribuera à faire de la chambre un bras puissant de l'appareil judiciaire congolais, jusqu'à ce que les réformes en cours permettent à celui-ci de prendre des mesures fortes contre les auteurs de crimes internationaux graves.[3]

À cet égard, nous vous prions de bien vouloir intervenir sur deux points fondamentaux :

  • (i) Appuyer l'appel lancé par le gouvernement congolais en faveur de la tenue, à Kinshasa, d'une conférence destinée à discuter des options judiciaires et non-judiciaires proposées dans le rapport du Projet Mapping. Nous estimons qu'une telle conférence serait une suite importante donnée au rapport, ainsi qu'un moyen efficace pour décider de la meilleure voie à suivre. Nous espérons que vous serez en mesure de contribuer au financement de cette conférence, de participer aux discussions, et de fournir l'expertise technique appropriée pour épauler le gouvernement congolais au moment où il examinera les diverses options.
  • (ii) Répondre en principe positivement à la proposition formulée par le gouvernement congolais de créer une «chambre mixte spécialisée». Nous recommandons par ailleurs que des discussions techniques approfondies sur la façon de mettre en place une telle chambre soient engagées, notamment par le biais d'une session spéciale sur la chambre mixte lors de la conférence mentionnée ci-dessus.

La communauté internationale a exprimé, à juste titre, sa profonde indignation face aux révoltantes atrocités subies par les civils congolais, notamment les violences sexuelles généralisées infligées aux femmes et aux filles. Toutefois cette indignation doit être suivie de mesures concrètes visant à mettre un terme à de tels crimes. Le gouvernement congolais a manifesté sa volonté d'agir ; nous vous demandons de lui apporter votre concours et de contribuer à rendre justice aux victimes.

Nous vous remercions d'avance pour l'attention que vous porterez à la présente et vous prions d'agréer, Excellences, l'expression de notre très haute considération.                                                                       

Richard Dicker, Directeur, Programme de Justice internationale, Human Rights Watch

Dismas Kitenge, Vice-président, FIDH

cc :

Le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon

La Haut-Commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, Navanethem Pillay


 


[1]  Ambassadeur Ileka Atoki, représentant permanent de la RDC auprès des Nations Unies, « Les victimes congolaises méritent justice », 1er octobre 2010, http://www.lephareonline.net/lephare/index.php?option=com_content&view=a... (consulté le 10 novembre 2010). « Communication de presse de son Excellence Monsieur le Ministre de la Justice et des Droits humains », 2 octobre 2010, http://www.justice.gov.cd/j/dmdocuments/02102010.pdf (consulté le 10 novembre 2010).

[2] « L'option gouvernementale est maintenant arrêtée : la responsabilité du contentieux de la répression des crimes internationaux revient aux juridictions congolaises, à travers l'instauration de Chambres spécialisées au sein des juridictions congolaises avec possibilité de juge ad litem, c'est-à-dire une ouverture est faite aux magistrats étrangers », Communication de presse de son Excellence Monsieur le Ministre de la Justice et des Droits humains, 2 octobre 2010, p. 5, http://www.justice.gov.cd/j/dmdocuments/02102010.pdf.

[3] « S'attaquer à l'impunité au Congo : Assurer une suite au rapport du Projet Mapping de l'ONU », 1er octobre 2010, https://www.hrw.org/fr/news/2010/10/01/s-attaquer-l-impunit-au-congo-assu....

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