(N'Djaména, le 16 septembre 2010) - Le Comité International pour le Jugement Equitable de Hissène Habré a appris avec profonde tristesse le décès de M. Ismaël Hachim Abdallah, président d'une des associations de victimes de la dictature de l'ancien président tchadien. Le Comité adresse ses sincères condoléances et exprime sa profonde compassion à l'égard de la famille de M. Hachim ainsi que de ses proches.
M. Hachim a été victime d'un accident de la route le 9 septembre dernier, la veille de la fête de l'Aïd el Fitr.
Cette disparition tragique rappelle à quel point il est urgent de tenir le procès de Hissène Habré, réfugié au Sénégal depuis sa chute il y a vingt ans. Chaque mois des victimes meurent sans que justice ne leur soit rendue alors que l'Union africaine a demandé au Sénégal, il y a plus de quatre ans, de juger Hissène Habré « au nom de l'Afrique ». Le Comité des Nations Unies contre la torture a également condamné le Sénégal en 2006, lui reprochant d'avoir violé ses obligations internationales et l'a enjoint de traduire l'ancien dictateur tchadien en justice.
En fait, le Sénégal procède depuis plus de dix ans à des mesures dilatoires qui ont systématiquement retardé le début de l'instruction judiciaire contre Hissène Habré.
M. Hachim a été arrêté le 2 avril 1989 par la police politique de Hissène Habré, la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), puis férocement torturé. Son arrestation faisait partie d'une campagne de répression contre l'ethnie Zaghawa, suite à la rébellion de trois leaders de cette ethnie.
Ismaël Hachim a été détenu vingt mois dans des conditions inhumaines dans la tristement célèbre « Piscine ». Cette ancienne piscine de l'époque coloniale a été recouverte sous le régime d'Habré et divisée en plusieurs petites cellules de quelques mètres carrés. La DDS entassait dans ces cellules exiguës et surchauffées plusieurs dizaines de prisonniers de telle sorte que personne ne pouvait s'allonger, et les rations d'eau et de nourriture étaient volontairement insuffisantes. Les archives de la DDS révèlent que les prisonniers y décédaient quotidiennement.
Dans un récent documentaire de Canal+ sur l'affaire Habré, Ismaël Hachim décrit avec beaucoup de dignité son séjour dans la « Piscine » où il a été obligé de dormir sur les cadavres de prisonniers que la DDS laissait pourrir dans les cellules, parfois pendant plusieurs jours.
M. Hachim a également été torturé selon une des méthodes fréquemment utilisées par la DDS, le ligotage, appelé "arbatachar", qui consistait à lier dans le dos les quatre membres d'un prisonnier, de manière à couper la circulation sanguine et à provoquer rapidement la paralysie.
A sa sortie de prison, en décembre 1990 à la chute d'Habré, Ismaël Hachim était extrêmement affaibli, tant physiquement que psychologiquement. Il a été filmé peu après sa libération par la télévision tchadienne. Dans une vidéo poignante, on le voit, le visage émacié et le corps décharné, décrire avec difficulté le calvaire de sa détention.
Le combat d'Ismaël Hachim pour que justice soit rendue aux victimes l'a conduit à être nommé président de l'Association des Victimes de Crimes et Répressions Politiques (AVCRP). Il a consacré des années de sa vie à porter la voix des victimes pour que les crimes qu'elles ont subis ne restent pas impunis et que cette page sombre de l'histoire tchadienne ne soit pas oubliée.
Ismaël Hachim est le dernier d'une longue liste de victimes décédées avant de voir aboutir leur lutte contre l'impunité.
Outre son engament à faire juger Hissène Habré, Ismaël Hachim a aussi œuvré pour que justice soit rendue aux victimes au Tchad. Lors d'un discours à N'Djaména en juin 2003, Ismaël Hachim a déclaré: « Hissène Habré est poursuivi à l'étranger, mais nous, ses victimes, sommes oubliées. Nos tortionnaires et nos tueurs nous côtoient chaque jour sans être inquiétés par la justice de notre pays auprès de laquelle nous avons déposé depuis longtemps nos plaintes. Nous attendons toujours que notre souffrance et les épreuves que nous et nos familles avons endurées soient reconnues officiellement par la société tchadienne.» Malheureusement les victimes attendent toujours.
Le Comité de Pilotage rend hommage à Ismaël Hachim Abdallah dont le combat pour la justice sera poursuivi par les victimes et les organisations de défense des droits humains qui les soutiennent.
Le Comité de Pilotage du Comité International pour le Jugement Equitable de Hissène Habré :
-Jacqueline MOUDEINA, (Association pour la Promotion et la Défense des Droits de l'Homme.ATPDH)
-Reed BRODY (Human Rights Watch)
-Souleymane GUENGUENG (fondateur AVCRP)
-Dobian ASSINGAR (Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme - FIDH)
-Alioune TINE (Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme - RADDHO)