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RCA/RD Congo : La LRA mène une campagne massive d’enlèvements

Une nouvelle stratégie régionale est nécessaire pour protéger les civils et libérer les enfants

(Washington, le 11 août 2010) - L'Armée de résistance du Seigneur (LRA), groupe rebelle ougandais, a enlevé au cours des derniers 18 mois au moins 697 adultes et enfants dans le cadre d'une campagne, peu documentée, menée en République centrafricaine et dans le district du Bas Uélé voisin, dans le nord de la République démocratique du Congo, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Près d'un tiers des personnes enlevées sont des enfants, dont beaucoup sont obligés de servir comme soldats ou sont utilisés comme esclaves sexuels par les combattants du groupe armé.

Pendant la campagne d'enlèvement, la LRA a tué brutalement les adultes et les enfants qui tentaient de s'échapper, marchaient trop lentement, ou étaient incapables de supporter les lourdes charges qu'ils étaient contraints de transporter, a constaté Human Rights Watch au cours de son enquête menée dans la région. La LRA a tué au moins 255 adultes et enfants, souvent en leur fracassant le crâne à coups de gourdins. Dans des dizaines de cas, la LRA a forcé des enfants en captivité à tuer d'autres enfants et adultes.

« La LRA poursuit son horrible campagne pour reconstituer ses effectifs en arrachant brutalement les enfants de leurs villages et en les forçant à combattre », a expliqué Anneke Van Woudenberg, chercheuse senior pour la division Afrique à Human Rights Watch. « Les témoignages désignent Joseph Kony, le chef de la LRA, comme l'instigateur de cette campagne atroce. »

Human Rights Watch a appelé les gouvernements concernés et leurs alliés à renforcer leur protection des civils et à mettre davantage l'accent sur les efforts pour libérer les enfants et autres personnes enlevées.

Human Rights Watch a effectué pendant un mois une mission d'enquête en République centrafricaine (RCA) et dans le district du Bas Uélé dans le nord du Congo, du 12 juillet au 11 août 2010, au cours de laquelle plus de 520 civils ont été interrogés, dont 90 anciennes victimes d'enlèvement, lors d'entretiens individuels ainsi qu'en groupes. Cette enquête a permis de constater que la campagne d'enlèvements menée par la LRA était similaire dans les deux pays et qu'elle a un impact dévastateur sur les communautés touchées.

Dans le sud-est de la RCA, la LRA a lancé une campagne d'enlèvements de grande envergure le 21 juillet 2009, et à ce jour elle a enlevé 304 personnes, dont de nombreux enfants. La LRA a d'abord attaqué les villages proches d'Obo, avant de se déplacer en direction de l'ouest vers  Rafai, Guérékindo, Gouyanga, Kitessa et Mboki, le long de la frontière congolaise, et en direction du nord vers Djema, Baroua et Derbissaka. Plus récemment, les 12 et 13 juin, la LRA a enlevé 16 personnes dans des exploitations agricoles entourant la ville de Rafai, notamment une mère et sa fille de 2 ans, que les rebelles ont tuées toutes deux par la suite.

Une campagne d'enlèvements similaire par la LRA est en cours dans le district reculé du Bas Uélé au Congo. Le 15 mars 2009, la LRA a attaqué la ville de Banda, enlevant quelque 80 personnes. Dans les mois qui ont suivi, la LRA a progressé vers l'ouest, menant des raids contre les villes et les villages de Dakwa, Bayule, Disolo, Esse et plus au nord à Digba, Sukadi et Gwane, entre autres.

Le 27 mai 2010, la LRA a attaqué de nombreux villages à proximité d'Ango, la capitale territoriale, enlevant 23 personnes, dont 16 enfants. Certaines des personnes enlevées qui ont réussi ensuite à s'échapper ont indiqué à Human Rights Watch que la LRA les avait interrogées sur la localisation des écoles d'Ango, ce qui laisse penser que les rebelles ont pu chercher spécifiquement à enlever des enfants. L'avancée des combattants de la LRA a été stoppée lorsqu'elle a rencontré des soldats congolais à moins de 15 kilomètres d'Ango, ce qui l'a forcée à changer de direction.

Au cours de la campagne de la LRA dans le Bas Uélé entre mars 2009 et juin 2010, les rebelles ont enlevé au moins 375 personnes, dont au moins 127 enfants, âgés pour la plupart de 10 à 15 ans. Les informations les plus récentes indiquent qu'il y a eu d'autres attaques de la LRA.

Peu d'informations ont filtré sur les nombreuse exactions commises par la LRA dans cette région du fait qu'elle est si reculée et que les communications sont si mauvaises. Peu d'agences humanitaires y travaillent et la présence des Nations Unies est très réduite.

Des dizaines de milliers de personnes ont fui la zone. Dans le sud-est de la RCA, on évalue à environ 15 000 à 20 000 les personnes qui ont cherché refuge dans les grandes villes, laissant des villages entiers abandonnés. Au cours des derniers mois, le gouvernement a déployé environ 200 soldats dans la région pour aider à protéger les civils, trop peu nombreux pour assurer une protection suffisante. L'armée ougandaise a mis quelques troupes à disposition pour aider à protéger les civils dans la région.

Les préoccupations relatives à la protection des civils dans le district du Bas Uélé sont encore plus grandes. Environ 54 000 civils ont été déplacés dans le district ou ont cherché refuge de l'autre côté de la frontière, en RCA. L'armée congolaise a déployé un bataillon de l'armée dans la région, mais il est mal équipé et dispose de peu ou pas de moyens de transport et de communications.

La mission de maintien de la paix de l'ONU au Congo, la MONUSCO, avec 19 000 soldats du maintien de la paix pour tout le pays, n'en a que 1000 dans les zones affectées par la LRA dans le nord-est du Congo - bien trop peu pour l'ampleur et la diversité géographique du problème. Aucun soldat de maintien de la paix n'est basé dans le district du Bas Uélé. Au cours des deux derniers mois, la base de la MONUSCO à Dingila, district du Bas Uélé, a été fermée et les nouvelles bases de la MONUSCO qui devaient s'ouvrir à Dakwa et à Digba ne sont toujours pas mises en place.

« La protection des civils exposés aux attaques de la LRA dans tout le centre de l'Afrique est cruellement insuffisante, et certaines communautés ne bénéficient d'aucune protection ni d'aucune aide humanitaire », a déploré Anneke Van Woudenberg. « Les gouvernements, l'armée ougandaise et l'ONU doivent prendre des mesures urgentes pour protéger les populations contre ces attaques de la LRA. »

Une campagne d'enlèvements cruelle
Les enquêtes menées sur le terrain par Human Rights Watch ont constaté que les combattants de la LRA attaquent souvent les villages tôt le matin ou bien en fin de journée, lorsque les habitants sont susceptibles de se trouver chez eux. Les combattants de la LRA s'emparent de leurs victimes et les attachent les unes aux autres par la taille, en créant ainsi de longues chaînes humaines. Les enlèvements sont généralement suivis de pillages de nourriture, de vêtements, du sel et autres effets, qui sont chargés en de lourds paquets par les captifs sur la tête, le dos et les épaules avant d'être entraînés dans la forêt.

Une femme de 40 ans vivant à Guerekindo, dans le sud-est de la RCA, a expliqué à Human Rights Watch que le 29 mars 2010 elle avait regardé avec horreur la LRA attacher son mari et cinq jeunes enfants en une chaîne humaine, les charger des biens du ménage, et les traîner hors de leur maison. Elle est restée seule avec des bébés jumeaux et n'a eu aucune nouvelle des membres de sa famille disparus.

Selon des personnes enlevées auparavant, une fois à l'écart de la route principale, la LRA force ses captifs à travailler pendant des heures ou des jours à décortiquer des arachides, une culture de base dans la région, ou bien à piler du riz ou du manioc afin qu'il soit prêt à être cuisiné. Ceux qui travaillent trop lentement sont battus. Les rebelles de la LRA interdisent aux captifs de parler entre eux, de manger, de boire de l'eau ou d'aller aux toilettes sans permission.

Une fois le travail achevé, certains adultes peuvent être libérés, mais ils sont généralement violemment battus ou humiliés d'abord. À Digba, Bas Uélé, le 27 septembre 2009, les combattants de la LRA ont fouetté avec des branches,  puis avec une machette, chacun des 12 adultes congolais enlevés, après qu'ils aient travaillé toute la nuit à décortiquer des arachides, avant de les relâcher. Un enseignant de 41 ans faisant partie de ce groupe a été puni plus sévèrement parce qu'il parlait anglais.

Dans un autre cas, à la suite d'enlèvements à grande échelle à Banda, la LRA a forcé ses captifs congolais à danser pour obtenir leur liberté, ne relâchant quelques-uns des adultes qu'après qu'ils aient dansé pendant plusieurs heures. Une femme qui a été libérée a confié à Human Rights Watch : « Je me souviens encore des horreurs de cette nuit-là et d'avoir été forcée à avoir l'air content pendant que je dansais pour rester en vie. Je suis terrifiée à l'idée que la LRA revienne. »

Les adultes qui ne sont pas relâchés peuvent être gardés comme porteurs, contraints de marcher à un rythme rapide jusqu'au prochain emplacement de la LRA, lourdement chargés de marchandises pillées. Ceux qui ne peuvent pas suivre sont tués. Le 6 mai, la LRA a tué un Centrafricain de 42 ans du nom de Bungu près de Meskine, en RCA, qui était surchargé de cuvettes d'arachides et de sacs de riz. Lorsqu'il est tombé dans une zone marécageuse et n'a pas pu se relever, un combattant de la LRA l'a frappé à la tête avec un lourd gourdin, lui fracassant le crâne.

Les adultes qui parviennent jusqu'à un camp de la LRA sont souvent tués au lieu d'être relâchés. Une fillette congolaise de 12 ans a confié à Human Rights Watch qu'elle avait été forcée de participer au massacre de dizaines d'adultes qui étaient parvenus à un camp de la LRA pour les empêcher de révéler son emplacement aux soldats du gouvernement ou à l'armée ougandaise.

« La LRA liait les mains des victimes dans leur dos, une corde autour de leurs jambes et plaçait les victimes face contre terre », a-t-elle déclaré. « Puis la LRA nous donnait, à nous les enfants, un gros bâton et nous forçait à les frapper à la tête jusqu'à ce que mort s'en suive. »

Brutalités contre les enfants
Human Rights Watch a constaté que les enfants enlevés sont généralement séparés des adultes et gardés à proximité des commandants de la LRA. Ils sont rarement relâchés. Ils apprennent vite à obéir aux règles de la LRA et à parler acholi, la langue des commandants, et sont exposés à une brutalité terrible pour les intégrer au groupe. La LRA force de nombreux enfants, dans le cadre de leur endoctrinement, à tuer d'autres enfants qui tentent de s'échapper ou qui n'obéissent pas aux règles.

Sur les 45 enfants interrogés par Human Rights Watch, la plupart de ceux qui avaient été avec la LRA un mois ou plus ont été contraints de tuer d'autres enfants. Human Rights Watch a reçu des informations faisant état d'au moins 42 enfants tués par d'autres enfants enlevés en 2009 et 2010, mais ce chiffre est probablement beaucoup plus élevé.

L'entraînement militaire commence au bout de quelques mois de captivité. De nombreux enfants n'ayant pas plus de 10 ou 11 ans, enlevés au Congo, en RCA et au Sud-Soudan en 2008 et 2009, sont maintenant armés de fusils et participent à des attaques de la LRA. Les combattants de la LRA utilisent des méthodes de manipulation mentale pour amener les enfants à oublier leur vie à la maison et à considérer d'autres êtres humains comme des animaux. Des témoins d'attaques de la LRA et des personnes enlevées ont indiqué à Human Rights Watch que les jeunes combattants de la LRA sont en général les plus cruels et que ce sont eux qui reçoivent les ordres d'effectuer les passages à tabac et les meurtres.

La LRA attribue les jeunes filles enlevées aux commandants pour servir de domestiques ou d'esclaves sexuelles. Le refus de relations sexuelles se solde souvent par la mort. Une jeune congolaise de 17 ans, Osanna, enlevée à Banda en mars 2009, a protesté lorsqu'un commandant a tenté de la violer. La LRA l'a ligotée et a forcé d'autres enfants enlevés à Banda à la tuer en la frappant chacun à leur tour à la tête avec un lourd gourdin. Sa sœur de 12 ans a été forcée à participer.

Les enfants qui s'échappent sont profondément traumatisés par ce qu'ils ont vécu. Un garçon de 15 ans, qui avait passé huit mois avec la LRA avant de s'échapper, a expliqué à Human Rights Watch : « Je ne suis plus le même. Je pense souvent à toutes les personnes que j'ai tuées et je ne peux pas dormir. Je n'oublierai jamais ce qu'ils m'ont fait faire. »

Sur les ordres du commandement central de la LRA
Les informations disponibles indiquent clairement que le commandement central de la LRA a ordonné ces enlèvements, qui ont été effectués d'une façon correspondant aux pratiques bien établies de la LRA. Des personnes enlevées, qui ont passé plusieurs mois avec la LRA avant de réussir à s'échapper, ont indiqué que la campagne d'enlèvements était exécutée sur les ordres de Kony selon lesquels les commandants de la LRA devaient reconstituer leurs effectifs.

Au moins quatre personnes enlevées auparavant qui ont passé des mois ou des années avec la LRA et qui avaient appris à parler acholi ont déclaré à Human Rights Watch qu'il y avait un ordre clair de Kony à ses commandants d'enlever des enfants. Certaines ont indiqué que la campagne d'enlèvements avait pour but de permettre à la LRA de revenir en Ouganda. Human Rights Watch a pu également voir des transcriptions de deux messages oraux de Kony en mai en RCA, ce qui indique qu'il continue de communiquer avec un certain nombre de ses commandants.

Les recherches de Human Rights Watch ont établi que la campagne en RCA est dirigée par le général Okot Odhiambo, commandant en second de la LRA, et par des groupes de la LRA agissant sous le commandement direct de Kony. Dans le Bas Uélé, la campagne est dirigée par le lieutenant-colonel Kidega, haut commandant de la LRA qui a un certain nombre de groupes plus petits de la LRA sous son commandement. Human Rights Watch a également reçu des informations faisant état d'enlèvements et de meurtres commis par le général Caesar Acelam dans les zones autour de Yalinga et Bria dans la préfecture de Haut-Kotto en RCA.

Trois des dirigeants de la LRA, dont Kony et Odhiambo, sont sous le coup de mandats d'arrêt émis par la Cour pénale internationale en juillet 2005 pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis dans le nord de l'Ouganda. Tous trois sont toujours en liberté et continuent de commettre des atrocités.

Un long passé d'atrocités commises par la LRA
Les récents enlèvements et meurtres commis par la LRA s'inscrivent dans une pratique récurrente d'atrocités et d'exactions perpétrées par le groupe rebelle. Poussée hors du nord de l'Ouganda par l'armée ougandaise en 2005, la LRA opère désormais dans la zone frontalière reculée entre le Sud-Soudan, le Congo et la RCA.

En décembre 2008, les gouvernements de la région, dirigés par les forces armées ougandaises, avec le soutien en matière de renseignements et l'appui logistique des États-Unis, ont lancé une campagne militaire contre la LRA dans le nord-est du Congo, surnommée « Opération Éclair de tonnerre » (Operation Lightning Thunder). Mais cette campagne militaire n'est parvenue ni à mettre un terme à la violence, ni à appréhender les dirigeants de la LRA. Au lieu de cela, la LRA s'est répandue dans les pays d'Afrique centrale et a poursuivi sa campagne contre les civils.

Human Rights Watch a déjà fait état de meurtres horribles et répandus dans le district du Haut Uélé, dans le nord du Congo, notamment deux déchaînements meurtriers de la LRA : l'un pendant la période de Noël 2008, où 865 personnes ont été tuées, et un massacre dans la région de Makombo en décembre 2009, qui a entraîné la mort d'au moins 345 civils.

Human Rights Watch a exhorté le gouvernement des États-Unis à mettre en œuvre de toute urgence la législation signée par le Président Barack Obama le 26 mai pour élaborer une stratégie globale de protection des civils en Afrique centrale contre les attaques de la LRA, pour traduire en justice les dirigeants de la LRA impliqués dans des atrocités, et avec les gouvernements de la région, pour mettre un terme à la violence du groupe rebelle.

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