(Washington, le 21 mai 2010) - L'Armée de résistance du Seigneur (LRA), groupe rebelle ougandais, a sauvagement tué 96 civils et en a enlevé des dizaines d'autres entre janvier et début avril 2010 dans le cadre d'une violente campagne de massacre menée dans le nord-est de la République démocratique du Congo, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Les atrocités perpétrées par la LRA n'ont connu aucun répit depuis que Human Rights Watch a signalé un massacre meurtrier perpétré par la LRA en décembre 2009.
Human Rights Watch a demandé au gouvernement américain de mettre en œuvre dans les plus brefs délais la nouvelle législation qui a été conçue en vue d'élaborer une stratégie exhaustive pour protéger les civils d'Afrique centrale contre les attaques de la LRA, veiller au respect de l'État de droit et, de concert avec les gouvernements de cette région, prendre des mesures pour mettre un terme aux violences commises par le groupe rebelle. Le Congrès américain a adopté la semaine dernière le projet de loi relatif au désarmement de la LRA et à la relance du nord de l'Ouganda (LRA Disarmament and Northern Uganda Recovery Act) de 2009, avec un large soutien bipartisan. Le Président Barack Obama devrait signer prochainement ce projet de loi.
« La LRA tue des civils et enlève des enfants à un rythme alarmant », a déclaré Anneke Van Woudenberg, chercheuse senior pour la division Afrique à Human Rights Watch. « Le Président Obama est en mesure de jouer un rôle primordial en s'appuyant rapidement sur la nouvelle législation américaine pour contribuer à trouver des solutions qui mettront définitivement un terme à la violence de la LRA. »
Une mission de recherche récemment menée par Human Rights Watch dans les régions du nord-est du Congo touchées par la LRA a révélé qu'entre le 1er et le 13 février, un groupe d'une vingtaine de combattants de la LRA a tué au moins 74 civils lors d'une série d'attaques organisées visant les petites localités piscicoles et agricoles de Munuku, Kpanga, Mapi et Kpuru, dans la chefferie de Manziga située dans le territoire de Niangara. Parmi les victimes figuraient de nombreuses personnes âgées qui n'avaient pas réussi à s'enfuir, ainsi que 14 enfants.
L'une des premières communautés attaquées était le village de Munuku, situé à 50 kilomètres de la ville de Niangara ; au moins 24 civils, parmi lesquels 15 hommes et femmes âgés, y ont été tués le 1er février. Des témoins interrogés par Human Rights Watch ont déclaré que la LRA avait tué la plupart des victimes en leur écrasant le crâne avec de lourds gourdins. D'autres ont reçu des coups de feu, notamment un homme de 70 ans qui a été fusillé avant d'être poignardé à la poitrine avec une baïonnette jusqu'à ce que mort s'ensuive.
La LRA s'est ensuite dirigée vers le village voisin de Kpanga, l'attaquant le 2 février, avant de se rendre à Mapi et à Kpuru dans les jours qui ont suivi. Dans chaque village, la LRA a tué des civils, enlevé des enfants et des adultes, puis pillé et incendié des maisons. Un jeune homme interrogé par Human Rights Watch, arrivé à Kpanga juste après l'attaque, a trouvé sa grand-mère et son grand-père morts, ligotés devant chez lui ; on les avait fusillés. Près de là, une autre femme de 70 ans avait été ligotée et battue à mort avec un gourdin en bois.
Pendant cette même série d'attaques, la LRA a enlevé au moins 75 civils, dont bon nombre d'enfants. Comme cela avait été le cas lors des massacres perpétrés dans le groupement de Makombo et ses environs à la mi-décembre, la LRA a attaché ses prisonniers à la taille, en créant ainsi une espèce de chaîne humaine. Les combattants de la LRA ont forcé leurs prisonniers à transporter le butin des pillages jusque dans des camps situés dans la forêt, tuant quiconque donnait des signes de fatigue ou était jugé trop âgé pour leur être utile.
Outre la série d'attaques de début février, la LRA a cette année tué 22 civils lors d'attaques de moindre ampleur dans toute la région de Manziga. Le 20 janvier, par exemple, dans le village de Nabo, la LRA a ligoté un homme de 74 ans avant de lui écraser le crâne et de le poignarder dans le dos avec un gros bâton en bois. C'est son frère qui, quelques jours plus tard, a découvert le cadavre, le bâton toujours planté dans le dos.
Le 13 avril, la LRA a enlevé et mutilé une femme de 31 ans du Quartier Zande, dans les environs de Niangara. Les combattants de la LRA lui ont serré les lèvres à l'aide de tenailles, puis ont forcé un jeune Congolais de 16 ans, enlevé lors d'une précédente attaque, à lui découper les lèvres et l'oreille droite avec un couteau.
Les travaux de recherche effectués par Human Rights Watch, dont des entretiens menés avec des personnes enlevées qui avaient réussi à s'échapper, ont démontré que ces massacres et autres atrocités ont été perpétrés par des commandants de la LRA qui rendent compte au général Dominic Ongwen, l'un des hauts dirigeants de la LRA. Ongwen, tout comme deux autres dirigeants de la LRA, est recherché par la Cour pénale internationale, qui a émis un mandat d'arrêt à son encontre en juillet 2005 pour des crimes commis dans le nord de l'Ouganda. Les trois hommes sont toujours en fuite.
« Les mandats d'arrêt émis à l'encontre des dirigeants de la LRA sont en suspens depuis près de cinq ans », a déploré Anneke Van Woudenberg. « En attendant, d'odieuses exactions continuent d'être commises. »
La mission de maintien de la paix des Nations Unies au Congo (MONUC) dispose d'une base dans la ville de Niangara, juste au sud de la chefferie de Manziga. Toutefois, compte tenu de leur nombre insuffisant et du mauvais état des routes, les Casques bleus de la MONUC quittent rarement la ville et ont été dans l'incapacité d'empêcher les récentes attaques ou d'y réagir.
Les forces armées congolaises et ougandaises disposent également d'une présence dans la ville et dans les environs mais, leurs capacités logistiques et leurs moyens de communication étant insuffisants, elles n'ont pas non plus pu assurer la sécurité des civils d'une manière adéquate. Ces dernières semaines, des membres des autorités congolaises ont davantage cherché à documenter les atrocités de la LRA. En avril, une équipe de Kinshasa de haut niveau a été envoyée à Niangara pour enquêter et rendre compte des crimes commis par la LRA à l'encontre des civils congolais.
« Tant la MONUC que le gouvernement congolais se doivent d'accroître leur présence dans le nord-est du Congo à l'aide de forces équipées pour protéger les civils et réagir rapidement aux attaques de la LRA », a ajouté Anneke Van Woudenberg. « Il est en outre urgent d'accroître l'aide humanitaire apportée aux victimes et aux civils contraints de fuir les attaques. »
Human Rights Watch a appelé l'administration Obama et d'autres gouvernements bailleurs de fonds à coopérer avec les autorités congolaises pour améliorer les systèmes de communication dans les régions touchées par la LRA, afin de permettre aux soldats du maintien de la paix de l'ONU et à d'autres unités de réagir rapidement aux attaques et de découvrir où se cachent les dirigeants de la LRA. Il pourrait notamment s'agir de financer l'extension des réseaux de téléphonie mobile et des radios communautaires.
Les massacres commis dans la chefferie de Manziga sont survenus après quatre jours de tuerie dans le groupement de Makombo et ses environs, non loin de Manziga, en décembre 2009. Des combattants de la LRA, agissant également sous les ordres d'Ongwen, ont attaqué de nombreux villages, lors d'un des pires massacres jamais commis par la LRA dans ses 23 ans d'histoire. Des dirigeants locaux interrogés par Human Rights Watch ont rapporté avoir récemment découvert 24 autres corps de personnes tuées lors de cette attaque de la LRA, portant le bilan des victimes à 345 au moins.
Les massacres récents s'inscrivent dans une pratique récurrente d'atrocités et d'exactions perpétrées par la LRA. Repoussée hors du nord de l'Ouganda en 2005, la LRA opère désormais dans la zone frontalière reculée entre le Sud-Soudan, le Congo et la République centrafricaine (RCA).
En décembre 2008, les gouvernements de la région ont lancé une campagne militaire contre la LRA dans le nord-est du Congo, surnommée « Opération Éclair de tonnerre » (Operation Lightning Thunder) et dirigée par les forces armées ougandaises, avec le soutien en matière de renseignements et l'appui logistique des États-Unis. Mais cette campagne militaire n'est parvenue ni à mettre un terme à la violence, ni à appréhender les dirigeants de la LRA.
« Le gouvernement américain comptait sur l'armée ougandaise pour mettre un terme à la menace posée par la LRA, mais cette stratégie ne marche pas », a conclu Anneke Van Woudenberg. « L'administration Obama, ainsi que les gouvernements de la région et d'autres États concernés, devraient retourner à la case départ et élaborer de nouvelles solutions politiques pour mettre fin à la violence de la LRA, en adoptant notamment une stratégie plus efficace pour appréhender les dirigeants de la LRA impliqués dans des atrocités. »
Le 19 mai, des défenseurs des droits humains à Niangara ont lancé un appel public au Président Obama : « Nous vivons chaque jour avec la crainte qu'il y aura encore des attaques par la LRA. (...) Nous savons que vous seul pouvez apporter une réponse concrète, rapide et déterminante avant que nos femmes et nos enfants ne soient tous exterminés. »