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Maroc: Confirmation des condamnations pour terrorisme de 35 personnes, parmi lesquelles des personnalités politiques

Les verdicts de culpabilité rendus par le tribunal de première instance au cours d'un procès inéquitable sont confirmés en appel

(New York, le 28 juillet 2010) - Une cour d'appel marocaine a confirmé la condamnation de 35  accusés, parmi lesquels six personnalités issues du monde politique, dans la tristement célèbre affaire de terrorisme dite « affaire Belliraj ». La cour ne s'est apparemment pas penchée sur les irrégularités procédurales qui ont empêché les prévenus de bénéficier de leur droit à un procès équitable devant le tribunal de première instance, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

La Chambre criminelle de Rabat chargée des affaires terroristes a confirmé, dans sa décision du 16 juillet 2010, le verdict rendu par le tribunal de première instance qui déclarait ces hommes coupables d'avoir formé une cellule terroriste qui pratiquait contrebande d'armes et braquages pour financer des actions visant à renverser le gouvernement. La cour d'appel a réduit les peines de six accusés, parmi lesquels quatre hommes affiliés à des partis politiques islamistes qui sont désormais condamnés à 10 ans de prison. Elle a confirmé les autres peines, y compris la condamnation à la prison à vie pour le présumé meneur, Abdelkader Belliraj, qui détient la double nationalité marocaine et belge.

« Le système judiciaire du Maroc semble avoir manqué une occasion de corriger un procès entaché d'erreurs »,  a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord chez Human Rights Watch. « Les tribunaux doivent mettre un frein aux abus policiers qui sont devenus monnaie courante dans l'instruction des affaires cataloguées comme relevant du terrorisme. »

Les accusés peuvent désormais présenter une requête à la Cour de cassation pour annuler le verdict, ce qui constitue le dernier recours judiciaire auquel ils ont accès.

La cour d'appel n'a pas encore rendu public le texte intégral de son verdict, qui devrait expliciter le raisonnement de la cour. Cependant les avocats de la défense contactés après l'annonce du verdict ont déclaré que la cour n'avait pas donné suite à leurs demandes d'ouverture d'une enquête concernant les déclarations des accusés dénonçant des arrestations et des perquisitions illégales effectuées par la police, des actes de torture subis au cours des interrogatoires, des périodes de détention  au secret illégalement prolongées, ainsi que la falsification d'« aveux » et de dates d'arrestation. La cour d'appel n'est pas non plus revenue, selon les avocats, sur le refus opposé par le juge d'instruction aux prévenus qui souhaitaient consulter les dossiers relatifs à l'affaire avant d'être interrogés.

L'« affaire Belliraj » a attiré davantage d'attention que les nombreux autres procès collectifs menés ces dernières années dans le cadre de la loi antiterroriste, parce que six personnalités politiques figuraient parmi les accusés. Il s'agit de Mustapha Mouatassim et Mohamed Amine Regala, respectivement président et porte-parole du parti désormais illégal Al Badil Al Hadhari (Alternative Civilisationelle) ; Mohamed Merouani du Parti Al Oumma, un autre parti islamiste ; Abdelhafidh Sriti, un journaliste sur la chaîne de télévision Al Manar, organe du Hezbollah libanais ; Alaa Badella Ma El Aïnin, un cadre du Parti Justice et Développement, le principal parti islamiste marocain avec 46 sièges au Parlement, et Hamid Nejibi du Conseil National du Parti Socialiste Unifié.

C'est la première fois que des personnalités de premier plan sont impliquées dans une affaire de terrorisme. Les six ont démenti tout lien avec des activités terroristes ou illégales, bien que certains aient reconnus avoir eu de vagues relations avec Belliraj. Nombre de leurs partisans ont accusé le gouvernement de les avoir fait accuser dans le but de discréditer leurs mouvements politiques. 

Les charges ont été abandonnées pour un des 36 prévenus d'origine, et six autres avaient déjà purgé la totalité de leur peine début 2010, ou ont reçu des condamnations avec sursis. Le autres accusés sont en détention provisoire depuis leur arrestation début 2008.

Le 28 juillet 2009, la Cour d'appel de Rabat, qui instruit les affaires de terrorisme en première instance, a déclaré les 35 accusés coupables d'avoir joué différents rôles dans un réseau qui aurait importé des armes de contrebande au Maroc, fabriqué de faux papiers, blanchi de l'argent, et commis des vols de voiture et des braquages, tout ceci dans le cadre de ce que la cour a qualifié de conspiration pour commettre des actes terroristes visant à renverser le gouvernement et instaurer un État islamiste. L'acte d'accusation établissait également des liens entre le groupe et une tentative de meurtre en 1996. Toutes les accusations de vol et de cambriolages remontaient à avant 2001.

Les dépositions des prévenus auprès de la police, qu'ils ont ensuite contestées, se sont révélées les impliquer avec différents co-accusés dans un certain nombres d'activités. Par exemple, il était dit que les accusés s'étaient identifiés les uns les autres comme étant présent à des réunions avec Belliraj au début des années 1990, au cours desquelles le complot général avait été évoqué. Au moins deux accusés ont identifié Mouatassim, Regala, et Merouani comme étant présents quand le groupe a décidé de braquer le grand magasin Makro à Casablanca en 1994, une accusation que ces trois personnalités politiques ont démenti.

Lors du procès, les accusés ont contesté les preuves présentées contre eux, qui étaient constituées  principalement de ces aveux, et ont clamé leur innocence, affirmant que leurs "aveux" avaient été falsifiés ou obtenus sous la torture. Plusieurs d'entre eux ont déclaré que des policiers en civil les avaient arrêtés sans présenter de mandat, en violation du droit marocain, et les avaient emmenés dans un lieu de détention secret, où ils les ont gardés enfermés jusqu'à plusieurs semaines - bien au delà du délai légal de 12 jours dans les affaires de terrorisme.

Ces accusés ont affirmé que les policiers avaient fait usage de la torture et de moyens de coercition illégaux pour leur arracher des aveux, et qu'ils avaient ensuite falsifié la date de leur arrestation pour couvrir la durée de leur détention. Certains, quoique pas tous, avaient déjà  fait ces mêmes déclarations au juge d'instruction au cours du procès en première instance. Cependant le compte-rendu écrit de décision du tribunal de première instance, rendu public en septembre 2009, ne fournissait aucune explication précise à son refus d'enquêter sur ces allégations, se contentant de déclarer que celles-ci n'étaient pas suffisamment étayées pour mériter de plus amples investigations. 

La police a réservé un traitement quelque peu différent des autres accusés aux six personnalités politiques. Ils ont déclaré que leur période de détention initiale n'avait pas excédé les délais légaux, mais que les policiers les avaient « manipulés » pour les faire signer de faux aveux.  Quand le juge d'instruction leur a refusé la permission de consulter leurs « aveux » ainsi que le reste des preuves rassemblées contre eux dans les dossiers du procureur avant d'être interrogés, entravant ainsi leur capacité à préparer leur propre défense, ils ont refusé de répondre à ses questions. Cela a conduit le juge d'instruction à présenter au juge de première instance les « aveux » des accusés politiques, comme si les prévenus n'avaient pas remise en cause leur véracité.

Selon Abderrahmane Benameur, un avocat de la défense, le tribunal de première instance comme la cour d'appel ont rejeté des motions de la défense demandant une enquête sur les allégations de torture et les irrégularités procédurales entourant les arrestations, la détention, la production des dépositions de police, ainsi que le refus du juge d'instruction de laisser les accusés consulter les dépositions les incriminant avant de les interroger, comme demandé à l'époque par leurs avocats, sans succès. Benameur a été le président de l'Association du Barreau de Rabat et de l'Association Marocaine des Droits de l'Homme. 

Le tribunal de première instance a refusé de prendre en compte les motions présentées par la défense et a admis comme preuve les dépositions de police soupçonnées d'avoir été obtenu sous la menace, et sur lesquelles reposait toute la plaidoirie de l'accusation. La cour d'appel a confirmé les condamnations, refusant apparemment également d'enquêter sur les allégations formulées par les accusés. Le compte-rendu écrit du jugement prononcé par la cour, quand il sera rendu public, permettra peut-être d'expliquer pourquoi elle a refuser de se pencher sur ces problèmes cruciaux soulevés par la défense.

La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, que le Maroc a ratifiée, ainsi que le Code de procédure pénale marocain (article 231) rendent irrecevables les preuves obtenus sous la « torture » ou la « pression ». De surcroît la torture est un crime selon le code pénal marocain (article 231).

Le 19 septembre 2009, Human Rights Watch et l'organisation marocaine de défense des droits humains Adala, ont adressé une lettre au Ministre de la justice du Maroc pour réclamer des clarifications sur les suspicions d'irrégularités lors du procès en première instance. Le Ministre n'a pas répondu, mais le directeur des affaires pénales du ministère de la Justice M'hammed Abdenabaoui a reçu avec ses collègues une délégation de Human Rights Watch pour discuter de l'affaire le 27 janvier. 

Selon Abdenabaoui, les accusés n'avaient pas formulés de plaintes concernant des actes de torture lors de leurs premières comparutions devant le juge d'instruction, et le refus du juge de première instance d'enquêter sur de telles allégations était en conséquence raisonnable et légal. Des mois s'étant écoulé entre les supposés actes de torture et l'audience, il ne pouvait pas rester de traces physiques des violences, a-t-il déclaré.

Pourtant, certains accusés avaient bien affirmé avoir subis des actes de torture et d'autres mauvais traitements de la part de la police devant le juge d'instruction. De plus, les tribunaux devraient garantir que les allégations de torture formulées au cours d'un procès fassent l'objet d'une enquête, à la fois pour déterminer l'admissibilité des preuves clés dans l'affaire, et pour répondre aux suspicions d'actes criminels commis par des représentants de l'État.

Par exemple, le procès verbal de la comparution de Ma El Aïnin devant le juge d'instruction le 28 février 2008, seulement 8 jours après son arrestation, mentionne qu'il a déclaré au juge que les policiers l'avaient giflé et frappé, et l'avaient insulté lui et ses proches. Bien que le greffier du tribunal ait scrupuleusement enregistré cette déclaration dans les comptes-rendus, le juge n'a jamais enquêté sur ces suspicions de violences policières. Ma El Aïnin figure parmi les accusés politiques qui ont affirmé que la police avait falsifié leurs aveux.

Mouatassim, le plus célèbre des accusés, a déclaré à la presse en 2008, depuis sa cellule de prison, que l'implication de six personnalités politiques, dont aucune n'avait jusqu'alors de casier judiciaire, était une manœuvre visant à détruire ou fragiliser les partis politiques dont les membres étaient impliqués. Le 20 février 2008, deux jours après l'arrestation de  Mouatassim, le Premier Ministre Abbas Al Fassi a déclaré illégal Al Badil Al Hadhari, le parti de Mouatassim, qui avait participé aux élections législatives de 2007.

L'affaire a également attiré l'attention parce que l'acte d'accusation n'attribuait aux accusés que très peu d'actions concrètes, alors que ce procès avait été présenté aux médias par Chekib Benmoussa, le Ministre de l'Intérieur de l'époque, comme le procès d'un réseau terroriste majeur, lié à Al Qaida et bénéficiant de financement importants.

Belliraj, le meneur présumé et détenteur de la double nationalité marocaine et belge, avait déjà par le passé été interrogé par la police belge au sujet de ses liens potentiels avec des réseaux terroristes. Les « aveux » de Belliraj à la police marocaine reconnaissaient entre autres six assassinats politiques commis en Belgique dans les années 1980, dossiers non résolus et dans le cadre desquels aucun tribunal belge ne l'avait jamais mis en accusation. Parmi les autres accusés figuraient 26 hommes originaires de différentes villes du Maroc, et deux Marocains vivant en Belgique.

« Après deux ans et demi de détention, et deux procès, il semble que les accusés de l'affaire Bellira" attendent toujours que justice soit faite », a conclu Sarah Leah Whitson.

Liste des accusés dans l'« affaire Belliraj » et des sentences prononcées par le tribunal de première instance et la cour d'appel :


Abdelkader Belliraj, prison à vie
Abellatif Al Bekhti, 30 ans
Abdessamed Bennouh, 30 ans
Jamal Al Bey, 30 ans
Lahoussine Brigache, 30 ans
Redouane Al Khalidi, 30 ans
Abdallah Ar Ramache, 30 ans
Mohamed Al Youssoufi, 30 ans
Mohamed Merouani, 25 ans, peine réduite à 10 ans en appel
Moustapha Mouatassim, 25 ans, peine réduite à  10 ans en appel
Mohamed Amine Regala, 25 ans, peine réduite à 10 ans en appel
Alaa Badella Ma El Aïnin, 20 ans, peine réduite à 10 ans en appel
Abdelhafidh Sriti, 20 ans, peine réduite à 10 ans en appel
Abd Al Ghali Chighanou, 15 ans
Mokhtar Lokman, 15 ans
Abderrahim Nadhi, 10 ans
Abderrahim Abu ar-Rakha, 10 ans
Hassan Kalam, 8 ans
Slah Belliraj, 8 ans, peine réduite à 5 ans en appel
Ahmed Khouchiâ, 8 ans
Samir Lihi, 8 ans
Moustapha At Touhami, 8 ans
Bouchâab Rachdi, 6 ans
Mohamed Azzergui, 5 ans
Mansour Belghiche, 5 ans
Adel Benaïem, 5 ans
Mohamed Chaâbaoui, 5 ans
Jamaleddine Abdessamed, 3 ans
Abdelazim At Taqi Al Amrani, 3 ans
Larbi Chine, 2 ans, fin de peine début 2010
Ibrahim Maya, 2 ans, fin de peine début  2010
Abdellatif Bouthrouaien, 2 ans, fin de peine début  2010
Hamid Nejibi, 2 ans, fin de peine début 2010
Mohamed Abrouq, un an avec sursis
Ali Saïdi, un an avec sursis
Abdelaziz Brigache, abandon des charges

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