Publié dans Le Temps
Laurence Fabry Lorenzini, directrice du développement chez Human Rights Watch à Genève, évoque la condition de travailleurs privés de droits, dont le sort se joue cette semaine à l'Organisation internationale du travail à Genève
Nettoyer, cuisiner, servir les repas, faire les lessives, surveiller les enfants... des tâches quotidiennes nécessaires effectuées dans le monde entier, et qui représentent dans certains pays jusqu'à 10% des emplois. Environ 100 millions de femmes et de jeunes filles de moins de 18 ans sont employées comme domestiques. Elles travaillent souvent sept jours sur sept sans repos, sous-payées, victimes d'abus psychologiques, physiques et quelquefois sexuels. Beaucoup d'entre elles sont privées de leurs droits les plus essentiels et aucun cadre global spécifique n'existe à ce jour pour les protéger.
Des négociations viennent de s'ouvrir à l'OIT (Organisation internationale du travail) pour discuter de la possible création d'un instrument juridique international qui protège les droits des travailleurs domestiques. Human Rights Watch et de nombreuses autres ONG sont présentes cette semaine à Genève pour encourager les gouvernements, les syndicats et les fédérations d'employeurs à prendre leurs responsabilités et à soutenir la création d'une convention juridiquement contraignante.
Au Koweït, les travailleurs domestiques travaillent en moyenne 78 à 100 heures par semaine. Au Liban, on découvre chaque semaine un décès d'employée domestique, dû soit à une tentative d'évasion ratée, soit à un suicide. Dans le cas des nombreux travailleurs migrants, les passeports sont souvent confisqués et les politiques d'immigration restrictives empêchent les victimes de porter plainte en cas d'abus. Certains travailleurs migrants voient 90 à 100% de leur salaire déduit pour couvrir les frais de recrutement. Dans certains pays ils peuvent travailler de trois à dix mois sans même recevoir un salaire.
Dans le cadre de cette convention, nous souhaitons donner une place particulière aux enfants qui sont extrêmement vulnérables et commencent à travailler très jeunes. Au Népal, par exemple, les enfants commencent à travailler entre 10 et 14 ans, selon les estimations de l'OIT. Certains enfants travaillent dès l'âge de 8 ans au Kenya, et même dès 6 ans au Maroc.
Les femmes et les jeunes filles recrutées pour du travail domestique peuvent également être victimes de trafic. Au Togo, Human Rights Watch a interviewé des dizaines de filles en provenance de régions agricoles pauvres, avec très peu, voire aucun accès à l'éducation, livrées par leurs parents à des intermédiaires dans l'espoir qu'elles obtiennent ainsi une formation ou un travail rémunéré.
En fait, ces jeunes filles ont été placées dans des conditions proches de l'esclavage. Presque aucune d'entre elles ne reçoit de rémunération. Les opportunités d'accès à l'éducation promises par les employeurs ne se matérialisent que rarement. Autre exemple: sur 45 enfants travailleurs domestiques interviewés par Human Rights Watch en Indonésie en 2004, un seul se rendait à l'école.
Certains gouvernements commencent à se préoccuper de cette situation alarmante et mettent en place des lois. Bien que ces employés travaillent dans des environnements «privés», il est possible de leur offrir une meilleure protection. Le Brésil et le Mexique ont inclus les droits des travailleurs domestiques dans leur constitution nationale, l'Afrique du Sud a introduit un salaire minimum; l'Uruguay a mis en place des procédures d'inspection pour enquêter dans les domiciles où se produisent des violations présumées. De nombreuses autres bonnes pratiques se multiplient.
Mais cela n'est pas suffisant. Human Rights Watch demande aux membres de l'OIT de s'engager pour établir des standards internationaux minimums.
Nous demandons notamment:
- Que les lois nationales valables pour les employés des secteurs «formels» soient appliquées aux travailleurs domestiques;
- Qu'une protection spécifique aux enfants soit incluse dans la convention, interdisant le travail domestique des enfants de moins de 15 ans;
- Que les travailleurs migrants bénéficient d'un cadre spécifique pour que leur statut et leurs visas ne soient pas liés à leur employeur;
- Que des mécanismes de plaintes permettent aux victimes de se protéger dans les cas de violences et d'abus, et que des services d'assistance soient mis en place.
Ce mardi 8 juin, à 20 heures au Centre de l'Espérance à Genève, Human Rights Watch, en partenariat avec l'Office des droits humains du canton de Genève, Children Unite et Anti-Slavery International organise une soirée publique: des enfants travailleurs domestiques du Pérou, d'Inde et du Togo témoigneront de leurs expériences et des experts donneront des pistes d'actions.