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(Cette lettre a été publiée le 28 avril.)

Son Excellence le Président Paul Kagame
La Présidence
Kigali
Rwanda                                                           

le 20 avril 2010

Votre Excellence,

Je m'adresse à vous pour exprimer ma préoccupation quant à l'avenir du travail de Human Rights Watch au Rwanda et à la situation de notre chercheuse senior basée à Kigali, Carina Tertsakian. Je sollicite aussi votre assistance pour maintenir le programme de travail de Human Rights Watch au Rwanda et notre collaboration avec le gouvernement rwandais.

Cela fait de nombreuses années - avant, pendant et après le génocide de 1994 - que Human Rights Watch travaille sur le Rwanda. Nos chercheurs ont mené des enquêtes approfondies sur diverses questions relatives aux droits humains, souvent dans des conditions difficiles. Nous continuons de nous engager au Rwanda, comme dans de nombreux pays du monde, pour contribuer à améliorer la situation des droits humains. Au delà de nos recherches sur les développements en cours en matière de droits humains au Rwanda, Human Rights Watch a travaillé sans relâche pour voir la justice rendue aux victimes du génocide de 1994.  Feue Alison Des Forges, conseillère principale de Human Rights Watch sur la région des Grands Lacs, a apporté un témoignage d'expert lors de 11 procès pour génocide au Tribunal pénal international pour le Rwanda, et a témoigné dans des procès pour génocide devant les tribunaux nationaux de plusieurs pays. Son compte-rendu du génocide, « Aucun témoin ne doit survivre », est reconnu comme l'un des travaux les plus détaillés documentant les terribles événements de 1994.

Les rapports et communiqués de Human Rights Watch au sujet du Rwanda, tout en étant critiques par rapport à des cas spécifiques de violations des droits humains, comportent tous des recommandations visant à améliorer le respect des droits humains, à renforcer le système judiciaire et à encourager les réformes dans ce pays. Nous avons salué publiquement les initiatives du gouvernement visant à améliorer les droits humains, ainsi que les réformes positives chaque fois qu'elles ont eu lieu. Nous nous sommes toujours employés à maintenir un dialogue ouvert avec le gouvernement rwandais.

Le mois dernier, les autorités rwandaises de l'immigration ont annulé le visa de travail de notre chercheuse senior sur le Rwanda, Carina Tertsakian. Elle a présenté une deuxième demande le 16 mars mais, à ce jour, n'a reçu aucune réponse. 

Carina Tertsakian, ressortissante britannique, est arrivée à Kigali le 25 janvier 2010. Elle a immédiatement déposé une demande de visa de travail, qui lui a été accordé sans problème. Le 3 mars, les autorités de l'immigration l'ont convoquée et interrogée sur les documents présentés pour sa demande de visa, évoquant une date erronée et de prétendues différences dans les signatures de ses collègues sur les documents. Les autorités ont confisqué son passeport. Le lendemain, elle a été convoquée à nouveau et soumise à de nouvelles questions, liées, encore une fois, aux dates et signatures. Les autorités avaient également retrouvé le contrat de la chercheuse de Human Rights Watch ayant précédé Mme Tertsakian au Rwanda, et comparé les signatures sur ce contrat avec celles figurant sur le contrat de Mme Tertsakian, prétendant qu'il y avait des divergences entre les signatures. Mme Tertsakian a répondu sincèrement à toutes les questions posées par les agents de l'immigration.

Le 8 mars, Mme Tertsakian a reçu une convocation officielle du service des enquêtes criminelles de la police (Criminal Investigations Department, CID) pour comparaître le lendemain afin d'être interrogée. Elle s'est rendue à cette convocation au CID le 9 mars, accompagnée d'un avocat. La police lui a déclaré qu'elle était soupçonnée de faux et usage de faux. Elle a été interrogée sur les mêmes points que ceux soulevés par les agents de l'immigration, portant principalement sur de prétendues différences dans les signatures de ses collègues.  Elle a fourni les mêmes réponses qu'elle avait données aux agents de l'immigration. Elle a aussi remis à ces agents et à la police deux lettres émanant du siège de Human Rights Watch, dont l'une était signée par un notaire, confirmant que tous ses documents étaient authentiques. Mais, apparemment, les agents n'ont pas tenu compte de ces correspondances. Il semblerait également qu'ils n'aient fait aucune tentative pour contacter le siège de Human Rights Watch, ou les personnes dont ils avaient examiné les signatures, afin de vérifier l'authenticité de ces documents.

Le 10 mars, à la suite d'une intervention de l'ambassade britannique, les agents de l'immigration ont rendu son passeport à Mme Tertsakian, mais son visa de travail avait été révoqué. Les agents de l'immigration ont refusé de fournir par écrit une explication de cette révocation. Ils lui ont déclaré oralement que c'était à cause des « anomalies » mentionnées ci-dessus et qu'elle pouvait présenter une deuxième demande de visa.

Le 16 mars, Mme Tertsakian a déposé une deuxième demande, accompagnée d'une déclaration notariée du directeur juridique de Human Rights Watch à New York attestant de la véracité et de l'authenticité tant des documents originaux que de ceux qui étaient à nouveau déposés.

Le 19 mars, le CID a de nouveau appelé Mme Tertsakian lui demandant de se présenter le 24 mars. Quand elle est arrivée au CID, elle n'a pas été interrogée. Les agents de la police lui ont indiqué que les enquêtes se poursuivaient, sans donner d'autres détails. 

À ce jour, il n'y a pas eu de nouveaux développements. Nous avons tenté à maintes reprises de contacter les agents de l'immigration, notamment le Directeur Général de l'Immigration, pour nous enquérir de la situation de la deuxième demande. Les agents que nous avons réussi  à joindre ne souhaitaient divulguer aucune information quant à la situation de la demande ; ils n'ont pas non plus indiqué dans quel délai nous pourrions espérer une réponse.

Je suis extrêmement préoccupé de l'absence de progrès sur cette question, car plus d'un mois s'est écoulé depuis que Mme Tertsakian a présenté sa deuxième demande de visa (je crois savoir que le délai habituel de réponse est d'environ trois jours). 

En tant que citoyenne britannique, Mme Tertsakian ne peut rester au Rwanda sans visa que pour une durée de trois mois. Sa date d'arrivée étant le 25 janvier, les trois mois expirent le 25 avril. 

Human Rights Watch a totalement respecté les démarches administratives et d'immigration du Rwanda et a fourni tous les documents requis pour la demande de visa de travail de Mme Tertsakian. Nous avons répondu à toutes les questions posées par rapport à la demande et, comme indiqué ci-dessus, nous avons présenté de nouvelles lettres confirmant que tous les documents sont corrects et en règle. Nous sommes préoccupés par le long délai que prend le traitement de la deuxième demande.

Si la question n'est pas résolue avant le 25 avril, à l'expiration de la période de trois mois de Mme Tertsakian au Rwanda, nous serons forcés de conclure que le gouvernement rwandais tente d'empêcher son travail de représentante de Human Rights Watch au Rwanda et les tentatives de notre organisation pour mener des enquêtes et rendre compte de la situation des droits humains.  

Les organisations nationales et internationales de défense des droits humains ont un rôle important à jouer pour observer et rendre compte de la situation des droits humains dans la période pré-électorale, non seulement au Rwanda mais dans d'autres pays du monde. En permettant aux organisations de défense des droits humains de fonctionner sans obstacle, le Rwanda ferait preuve de son engagement en faveur des principes internationaux relatifs aux droits humains, à la démocratie et à l'État de droit auxquels le pays a adhéré, encore tout récemment en rejoignant le Commonwealth. 

Je vous prie donc instamment de vous assurer que Carina Tertsakian puisse obtenir un visa de travail avant le 25 avril 2010, afin de nous permettre de continuer notre travail sur les droits humains au Rwanda.

Nous vous remercions de l'attention que vous voudrez bien accorder de toute urgence à cette question. 

Veuillez agréer, Votre Excellence, l'expression de notre haute considération.

Kenneth Roth
Directeur exécutif

cc
Ministre de la Justice
Ministre des Affaires étrangères
Directeur Général de l'Immigration

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