(New York, le 13 décembre 2009) - Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait agir de toute urgence pour protéger les civils dans l'est de la République démocratique du Congo contre les attaques atroces commises par des forces gouvernementales et rebelles, et garantir que les soldats du maintien de la paix ne sont pas impliqués dans des exactions, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui.
Le rapport de 202 pages, « ‘Vous serez punis' : Attaques contre les civils dans l'est du Congo », documente en détail le meurtre délibéré de plus de 1 400 civils entre janvier et septembre 2009 au cours de deux opérations successives de l'armée congolaise contre une milice hutue rwandaise, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).
Ce rapport s'appuie sur 23 missions d'enquête menées cette année par Rights Watch, ainsi que sur des entretiens avec plus de 600 victimes, témoins et membres des familles des victimes.
« La poursuite des meurtres et des viols commis par toutes les parties au conflit dans l'est du Congo montre que le Conseil de sécurité de l'ONU a besoin d'une nouvelle approche concernant la protection des civils », a indiqué Anneke Van Woudenberg, chercheuse senior à Human Rights Watch. « Le Conseil de sécurité devrait envoyer un groupe d'experts au Congo pour impulser un véritable plan de protection des civils. »
Des soldats de l'armée congolaise et des combattants rebelles des FDLR s'en sont pris aux civils, les accusant d'être des collaborateurs, et ils les ont « punis » en massacrant un grand nombre d'entre eux à coups de machette. Les deux parties belligérantes ont aussi abattu des civils qui tentaient de s'enfuir ou les ont brûlés vifs dans leurs maisons. Certaines victimes ont été ligotées ensemble avant que selon un témoin on ne leur « tranche la gorge comme à des poulets ». La majorité des victimes étaient des femmes, des enfants et des personnes âgées.
Human Rights Watch a recommandé la création et le déploiement immédiats d'un Groupe d'experts sur la protection des civils qui fasse avancer des mesures spécifiques visant à améliorer les stratégies de protection des civils dans l'est du Congo. Alan Doss, le représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU au Congo, s'adressera au Conseil de sécurité le 16 décembre. Le 21 décembre, il est prévu que le Conseil de sécurité vote sur le renouvellement du mandat de la MONUC, la mission de maintien de la paix de l'ONU au Congo.
Human Rights Watch a exhorté la force de maintien de la paix à cesser immédiatement tout soutien aux opérations militaires en cours jusqu'à ce que des procédures claires, assorties des moyens de les mettre en œuvre et de les évaluer, soient mises en place pour empêcher les violations du droit international humanitaire. Human Rights Watch a aussi appelé à ce que tous les commandants ayant un passé reconnu d'atteintes aux droits humains soient écartés des responsabilités opérationnelles. Les procédures et les conditions devraient être rendues publiques.
Au cours des neuf premiers mois de 2009, l'ONU a enregistré plus de 7 500 cas de violences sexuelles contre des femmes et des filles dans les provinces du Nord et du Sud Kivu, dans l'est du Congo. Ces chiffres dépassent presque ceux qui ont été enregistrés pour toute l'année dernière et ne représentent probablement qu'une fraction du total. La plupart des femmes et des filles ont été violées en groupe, certaines si brutalement qu'elles en sont mortes. De nombreuses femmes et filles ont été retenues comme esclaves sexuelles tant par des soldats de l'armée congolaise que par des combattants FDLR tout au long de semaines ou de mois ; elles ont été violées à maintes reprises et certaines ont été mutilées puis tuées à coups de machette, ou bien par un tir dans le vagin.
L'une des plus jeunes victimes de viol, selon les recherches de Human Rights Watch, était une fillette de neuf ans violée par des combattants FDLR le 27 janvier dans le village de Ngwilo, en territoire Masisi, alors qu'elle fuyait les combats avec sa mère. Les FDLR ont d'abord violé la mère et introduit un gros bâton dans son vagin, entraînant une blessure grave qui a provoqué sa mort. Quand la fillette s'est mise à pousser des cris de détresse, les FDLR l'ont violée elle aussi.
« De nombreux ambassadeurs du Conseil de sécurité de l'ONU se sont rendus au Congo et ont exprimé leur indignation devant l'ampleur massive des violences sexuelles», a déclaré Anneke Van Woudenberg. « Néanmoins le nombre de viols continue d'augmenter - au lieu de diminuer - dans l'est du Congo. L'indignation des ambassadeurs doit donc se traduire par des actes décisifs et efficaces pour aider à protéger ces femmes et ces filles. »
En janvier, les gouvernements congolais et rwandais ont entamé des opérations militaires conjointes contre les FDLR dont la première, connue sous le nom d'Umoja Wetu, a duré cinq semaines. Celle-ci a été suivie en mars d'une deuxième opération militaire, Kimia II, menée avec le soutien des soldats du maintien de la paix de l'ONU, et qui se poursuit à l'heure actuelle.
Le gouvernement congolais a affirmé que les opérations militaires avaient pour but d'apporter la paix et la sécurité dans cette région instable, mais cela n'a pas été le cas. Human Rights Watch a documenté des crimes horribles commis contre les civils par les FDLR, l'armée congolaise et, dans certains cas, par l'armée rwandaise, au cours des opérations militaires. Les enquêtes de Human Rights Watch relient de hauts commandants des FDLR et plusieurs officiers de l'armée congolaise à certaines des pires atrocités. Bon nombre des exactions équivalent à des crimes de guerre et peut-être même à des crimes contre l'humanité.
Les soldats du maintien de la paix de l'ONU ont accompli des efforts importants pour protéger les civils sur un terrain qui est complexe et difficile, a reconnu Human Rights Watch. Mais le rôle de la force de maintien de la paix comme acteur conjoint dans les opérations militaires, apportant un soutien substantiel à l'armée congolaise, a impliqué les soldats du maintien de la paix dans les exactions et a porté atteinte à l'objectif primordial de la mission, qui est de protéger les civils.
Le Groupe d'experts sur la protection des civils devrait être créé afin de mener des enquêtes et de formuler des recommandations spécifiques sur les besoins et les lacunes du dispositif de protection des civils dans l'est du Congo, a ajouté Human Rights Watch. Ce Groupe d'experts devrait évaluer les circonstances dans lesquelles se déroulent les attaques contre les civils, les mesures prises par les soldats du maintien de la paix pour remplir leur mandat de protection des civils, et les meilleurs moyens de soutenir ces activités.
Le 11 novembre, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté la Résolution 1894, qui réitère l'engagement du Conseil « de répondre aux situations de conflit armé où les civils sont pris pour cible..., y compris en envisageant des mesures appropriées à la disposition du Conseil de sécurité ». Human Rights Watch a souligné que la situation dans l'est du Congo sert actuellement de test à cet engagement.
« Le Conseil de sécurité doit donner des instructions claires et concrètes aux soldats du maintien de la paix de l'ONU au Congo», a insisté Anneke Van Woudenberg. « L'envoi d'un Groupe d'experts et la clarification auprès de l'armée congolaise des conditions auxquelles les soldats du maintien de la paix travailleront avec ses propres troupes peuvent jouer un rôle crucial pour faire cesser les exactions et garantir que les soldats du maintien de la paix de l'ONU ne seront pas impliqués dans de futures atrocités. »
Témoignages extraits du rapport :
Une femme qui a été enlevée par les FDLR [pendant] lors d'une attaque contre le village de Busheke, fin janvier 2009 :
Ils [les FDLR] ont ... tué mon mari avec une machette et deux d'entre eux m'ont violée. Ils ont aussi tué mon père et violé ma mère et ma sœur avant de les tuer aussi, tous à coups de machette. Dix autres femmes et filles hutues de mon village ont été violées et tuées à coups de machette la même nuit. Ils m'ont enlevée et m'ont emmenée dans leur camp où je suis devenue l' « épouse » du capitaine Jean Claude. Il m'a violée chaque jour jusqu'à ce que je réussisse à m'échapper six mois plus tard...Les FDLR disaient qu'ils étaient les frères des Congolais hutus et qu'ils ne comprenaient pas pourquoi nous avions accueilli les FARDC. C'est pour cela qu'ils nous punissaient.
Une femme qui a été attaquée par les FDLR dans le village de Nyakabasa, après que les rebelles eurent tué son fils de 25 ans en février 2009 :
J'ai couru dehors, et un [combattant] FDLR m'a agrippée et m'a tailladée avec sa machette. J'étais presque morte. Il m'a tailladée à la tête et aux bras. Il voulait me couper le cou, mais j'ai levé les mains pour l'arrêter... il y avait beaucoup de combattants. Certains brulaient les maisons et d'autres tuaient les gens... Puis ils ont continué à me frapper et ils m'ont laissée quand ils ont cru que j'étais morte.
Un témoin du massacre commis par les FDLR à Busurungi, le 10 mai 2009 :
Quand les FDLR sont arrivés, ils ont encerclé tout le village et se sont mis à tuer les gens. Ils arrêtaient de leurs propres mains ceux qui essayaient de s'enfuir. Ils ont violé les femmes, même les jeunes filles, puis ils ont commencé à brûler les maisons. Des gens qui essayaient de sortir de leurs maisons étaient arrêtés par les FDLR et repoussés dans leurs maisons en feu, même les enfants... Je suis revenu le lendemain matin et j'ai vu des corps décapités, calcinés et violés... J'ai vu deux femmes qui étaient enceintes, et les FDLR leur avaient ouvert le ventre et sorti les fœtus de leurs corps.
Un témoin du massacre commis par les soldats congolais et rwandais à Ndorumo en février 2009 :
Les soldats sont arrivés à l'école et ont dit qu'ils voulaient rencontrer la population. Certains civils s'étaient déjà rassemblés dans les classes mais alors, ils ont commencé à nous tuer. Ils ont dit que nous étions punis parce que nous étions complices des FDLR mais il n'y avait même pas de FDLR dans notre village quand ils ont attaqué.
Une réfugiée rwandaise hutue qui a perdu six membres de sa famille quand l'armée congolaise a attaqué la colline de Shalio, le 27 avril 2009:
[Ils] ont tous été battus à mort sous mes yeux à coups de gourdins. Puis, quatre soldats m'ont emmenée et violée. Ils m'ont dit que j'étais la femme d'un FDLR et qu'ils pouvaient me faire ce qu'ils voulaient.
Une femme qui a perdu son père et trois de ses enfants quand l'armée congolaise a attaqué Ndorumo en aout 2009 :
Les soldats tutsis veulent nous exterminer. Ils viennent nous attaquer dans des endroits où il n'y a pas de combattants ni de soldats pour assurer notre sécurité. Lorsqu'ils viennent, ils disent qu'ils veulent nous chasser de nos terres pour qu'ils puissent les occuper. Certains sont déjà arrivés avec leurs vaches et sont en train de s'emparer des terres situées juste au-dessus de notre village.