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(tribune parue dans Le Monde daté du 3 septembre 2009)

Durant ses quatre jours de garde à vue en 2005, Emmanuel Nieto a subi 45 heures d'interrogatoire. Bachir Ghoumid lui a enduré 40 heures, Saliha Lebik 30 heures, et Rachida Alam 25 heures. Aucun d'eux n'a bénéficié de la présence d'un avocat, aucun d'eux n'a été informé de son droit à garder le silence, et tous ont subi des privations de sommeil, une désorientation et une intense pression psychologique. Qu'ont-ils d'autre en commun ? Tous étaient détenus sous le coup du régime de garde à vue exceptionnel en matière de terrorisme.

Ces histoires sont la norme, et non l'exception, dans les enquêtes antiterroristes en France. Les individus suspectés de terrorisme sont maintenus en garde à vue pendant quatre jours (six dans certains cas), et ne sont autorisés à consulter un avocat qu'après trois jours d'interrogatoire, pour seulement trente minutes. Sans être informés de leur droit de refuser de répondre aux questions et souvent sans la possibilité de contacter leur famille ou leurs amis, ils subissent souvent des interrogatoires oppressants dont les seuls comptes-rendus sont les procès verbaux rédigés par les policiers eux-mêmes.

Les propositions actuelles de réformes visant à créer des protections lors des gardes à vue en France laissent ce régime inchangé. La Commission Léger, qui a remis son rapport final le 1er septembre, ne recommande que des ajustements limités en matière de droits pendant la garde à vue ; ces ajustements ne vont pas assez loin et ne s'appliquent pas à tous. 

Les réformes proposées par la commission par rapport aux  affaires criminelles de droit commun permettraient la consultation avec un avocat douze heures après la mise en garde à vue, au lieu des vingt-quatre heures actuelles, en plus d'une visite dès le début de la détention. Lors de l'audition à la douzième heure, l'avocat aurait accès aux procès-verbaux des auditions de son client, ce que la législation actuelle n'autorise pas. Si la garde à vue était prolongée au-delà de 24 heures, l'avocat pourrait également être présent pendant tous les interrogatoires suivants.

Pour les affaires de terrorisme cependant, la commission exclut tout changement dans le régime de garde à vue de crainte que la justice n'en devienne « dangereusement impuissante ». Pourtant, il n'y a aucune raison de croire qu'une enquête menée de façon correcte serait compromise par l'octroi à une personne suspectée de terrorisme du droit à une défense appropriée.

Tout système de justice doit être évalué non seulement en fonction de son efficacité mais aussi de son équité. Les normes internationales relatives aux jugements équitables, établies par des traités juridiquement contraignants tels que la Convention européenne des Droits de l'Homme et le Pacte International sur les Droits civils et politiques, exigent que toute personne suspectée ou accusée d'un crime ait le droit de se défendre. L'accès à un avocat lors de la garde à vue et le droit de garder le silence sont inhérents à ce droit.

Le Comité des Droits de l'Homme des Nations unies a exhorté récemment la France à s'assurer que les individus suspectés de terrorisme aient accès à un avocat « sans délai », soient informés de leur droit à garder le silence lors des interrogatoires, et soient présentés devant un juge « dans le plus court délai».

L'accès rapide à un avocat est également un garde-fou fondamental contre la torture et les mauvais traitements. Au cours de ses recherches sur les lois et procédures antiterroristes en France, Human Rights Watch a eu connaissance de cas troublants de violence physique et autres mauvais traitements lors de gardes à vue. Un entretien d'une demi-heure avec un avocat après trois jours de détention ne peut constituer une protection contre de tels abus. C'est pourquoi le Comité européen pour la Prévention de la Torture exhorte la France de manière répétée depuis 1996 à autoriser toutes les personnes en garde à vue à consulter un avocat dès le début de leur détention.

Les autorités ont la claire obligation de prévenir des crimes effroyables de terrorisme, d'enquêter et de poursuivre les personnes qui en sont suspectées. Mais refuser à ceux qui sont accusées de terrorisme un procès équitable est non seulement inutile, mais cela va aussi à l'encontre des valeurs fondamentales de la France et de ses obligations internationales.

Un véritable « habeas corpus à la française », selon la formule employée par la commission, ne peut se satisfaire de demi-mesures ou d'exceptions. Tous les personnes en garde à vue, quel que soit le crime dont ils sont accusés, devraient avoir le droit de rencontrer un avocat immédiatement, d'avoir accès à celui-ci pendant les interrogatoires et d'être informés de leur droit à garder le silence.

Judith Sunderland est chercheuse pour l'Europe de l'Ouest à Human Rights Watch. William Bourdon est avocat et membre du Comité de soutien de Human Rights Watch.

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