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Maroc : De nouvelles charges retenues contre un activiste emprisonné

Critique face à la politique de la drogue des autorités marocaines, Chekib El-Khayari est maintenant détenu depuis plus de dix semaines

(Washington) - La poursuite de la détention de Chekib El-Khayari montre les limites de la tolérance du Maroc face aux critiques, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. L'activiste des droits humains, originaire de la ville de Nador située dans le Nord du Maroc, se trouve en détention provisoire depuis plus de dix semaines maintenant.

Le 23 avril 2009, M. el-Khayari a comparu devant le juge d'instruction, Jamal Serhane, pour la première audience sur le fond depuis son arrestation le 18 février. Lors de cette audience, M. el-Khayari a récusé les charges d'avoir porté atteinte au corps constitués dont il a été accusé après avoir dénoncé des politiques laxistes d'interdiction de drogue. Juste avant l'audience il a appris que le procureur avait retenu trois nouvelles charges contre lui. Celles-ci se rapportent à des infractions mineures de douane et de réglementation de devises datant de 2006.

« Il apparaît évident que les nouvelles charges retenues à l'encontre de M. el-Khayari constituent une tentative supplémentaire de faire taire les critiques sur un sujet politiquement sensible ainsi que de décourager les d'autres activistes », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les poursuites contre M. el-Khayari montrent qu'en dépit de la réputation du Maroc pour laisser libre cours au débat public et permettre l'évolution d'une société civile dynamique, les autorités restent prêtes à emprisonner les activistes qui dépassent certaines lignes rouges. »

Avant son arrestation, M. el-Khayari avait fait plusieurs déclarations aux médias internationaux et lors de conférences en Europe, mettant en cause les efforts des autorités marocaines visant à supprimer  le trafic de drogues illégales du Nord du Maroc vers l'Europe. M. el-Khayari est également défenseur des droits des Amazighs (Berbères). Il a critiqué les mauvais traitements commis par les forces de sécurité marocaines à l'encontre de migrants des pays d'Afrique tentant de rejoindre l'Europe clandestinement en passant par le Maroc ainsi que les traitements infligés par les forces de l'ordre marocaines et espagnoles aux alentours de la frontière espagnole, dans l'enclave de Melilla.

Les avocats de M. el-Khayari ont déclaré avoir eu connaissance des nouvelles charges reposant sur leur client seulement quelques minutes avant le début de l'audience en première instance à la Cour de Casablanca. Les charges dont il est accusé se rapportent à un versement de 225€ (288 $US) qu'il aurait reçu du quotidien espagnol El País en guise de rémunération d'un article qu'il a rédigé et qui est paru le 4 juillet 2006. Il est suspecté d'avoir ouvert un compte bancaire à Melilla pour y déposer le chèque d'El País et d'avoir retiré cet argent par la suite, sans passer par l'intermédiaire d'une banque marocaine ou sans en informer le Bureau des changes du Maroc.

L'instruction soupçonne ces transactions d'avoir violé les lois marocaines qui régissent l'ouverture de comptes bancaires à l'étranger par des Marocains résidants sur le sol marocain, et le transfert d'argent par des Marocains vers le Maroc.  Ces violations sont passibles de peines pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement.

« Que M. el-Khayari ait réellement violé ces réglementations monétaires ou non, la décision de l'accuser aussi tardivement et pour une somme aussi minime renforce tout simplement les suspicions de poursuites dont le motif serait principalement politique », a déclaré Sarah Leah Whitson.

Lorsqu'il achèvera son enquête, le juge Serhane devra statuer sur le fait de faire passer le dossier devant un tribunal, auquel cas il finalisera les chefs d'inculpation. En l'attente du procès, il a refusé de libérer provisoirement M. el-Khayari. Cependant, la Cour sera obligée de relâcher provisoirement M. el-Khayari au plus tard le 21 mai s'il n'a pas encore été jugé, puisque la loi marocaine limite la détention provisoire à trois mois lorsque les charges retenues font l'objet de délits comme c'est le cas ici.

Selon les articles 263 et 265 du Code Pénal,  le chef d'accusation « d'outrage envers les corps constitués » est passible d'une peine allant d'un mois à un an d'emprisonnement ainsi que d'une amende de 1200 à 5000 dirhams (144$US à 600$US). Lors de l'audience du 23 avril, M. el-Khayari  a affirmé qu'il n'avait pas critiqué les institutions d'Etat en tant que telles, mais seulement les agents d'Etat qui n'appliquaient pas avec diligence les lois d'interdiction des drogues.

Indépendamment des faits, les lois qui criminalisent et prévoient des peines de prison pour les actes « d'outrages envers les corps constitués » sont incompatibles avec le droit international qui régit le droit à la liberté d'expression et qui accentue particulièrement la nécessité de protéger la liberté de critiquer les acteurs politiques et les autorités étatiques.

Le juge Serhane a autorisé les avocats de M. el-Khayari à accéder au dossier complet après avoir initialement refusé de leur en fournir certaines parties. Toutefois, dans un écart des pratiques habituelles, il les a seulement autorisé à les consulter dans l'enceinte du tribunal et leur a interdit d'en faire des photocopies.

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