Lundi 12 janvier 2009, à la Hague, les juges de la Chambre préliminaire III de la Cour pénale internationale débuteront l'audience qui permettra de déterminer si les charges retenues contre Jean-Pierre Bemba Gombo (ancien vice-président de la République démocratique du Congo, chef militaire rebelle et dirigeant du principal parti d'opposition de la RDC) peuvent être confirmées pour permettre le début d'un procès. Dans ce cas, il s'agirait là du premier procès de la Cour pénale internationale dans son enquête sur les crimes graves commis en République centrafricaine.
La Cour pénale internationale accuse Bemba de cinq chefs de crimes de guerre et trois chefs de crimes contre l'humanité, qui auraient été commis par les forces rebelles du Mouvement de Libération du Congo en République centrafricaine. Bemba et ses troupes du MLC ont été invités à intervenir en République centrafricaine en 2002 par le président alors en fonction, Ange-Félix Patassé, pour aider à étouffer un coup d'État. Le coup d'État a réussi et son instigateur, François Bozizé, est devenu président. En décembre 2004, il a demandé à la Cour pénale internationale d'enquêter sur les crimes commis pendant la rébellion.
1. Qui est Jean-Pierre Bemba?
Commandant en chef rebelle au cours de la guerre en République démocratique du Congo (RDC) entre 1998 et 2003, Jean-Pierre Bemba Gombo et son groupe, le Mouvement de Libération du Congo (MLC), contrôlaient une grande partie du nord-est du Congo, avec le soutien de l'Ouganda. Après l'accord de paix qui mit fin à la guerre, il devint l'un des quatre vice-présidents du pays au sein d'un gouvernement de transition, entre 2003 et 2006. Bemba est arrivé second lors des élections présidentielles du Congo en 2006 et a été élu sénateur en janvier 2007. Il est actuellement à la tête du MLC, aujourd'hui principal parti d'opposition. Il s'est néanmoins exilé au Portugal en avril 2007, à la suite d'affrontements sanglants entre ses gardes du corps et les hommes du président Joseph Kabila.
2. De quels crimes l'accuse-t-on ?
La Cour pénale internationale (CPI), dans le cadre de son enquête concernant des crimes graves commis en République centrafricaine (RCA), a accusé Bemba de cinq chefs de crimes de guerre et trois chefs de crimes contre l'humanité, qui auraient été commis en RCA dans le contexte du coup d'État qu'a connu ce pays en 2002 et 2003. Il a été arrêté le 24 mai 2008 par les autorités belges près de Bruxelles, suite à un mandat d'arrêt délivré par la CPI.
3. Quelle est l'origine de l'enquête menée par le République centrafricaine et de quelle manière un commandant en chef rebelle congolais s'est-il retrouvé impliqué ?
Bemba se trouvait en RCA début 2002, quand le président en fonction à ce moment-là, Ange-Félix Patassé, l'a invité ainsi que ses hommes du MLC et des mercenaires originaires du Tchad à l'aider à étouffer un coup d'État planifié par son ancien chef d'état-major, François Bozizé. Les troupes du MLC de Bemba auraient commis des crimes atroces, dont des viols, des assassinats et des pillage contre des civils sur le territoire de la RCA. Le coup d'état a réussi et Bozizé est devenu président. En décembre 2004, il a demandé à la CPI d'enquêter sur les crimes commis pendant la rébellion de 2002-2003. En mai 2007, le Bureau du Procureur de la CPI annonçait l'ouverture d'une enquête en RCA.
4. Que signifient les chefs d'accusation retenus contre Bemba ?
Les poursuites lancées par la CPI à l'encontre de Bemba (en tant qu'ancien vice-président et dirigeant du plus important parti d'opposition du Congo) sont une preuve de la volonté du Procureur de cibler les hauts responsables, bien que les charges retenues contre lui portent sur sa responsabilité pénale en tant que commandant en chef rebelle agissant sur le territoire de la RCA. Human Rights Watch a exhorté à plusieurs reprises le Procureur de la CPI de remonter la hiérarchie du commandement dans le cadre de ses autres enquêtes.
Il est question ici de l'enquête menée par le Bureau du Procureur dans l'Ituri, au nord-est du Congo, l'une des régions les plus meurtrières du pays, où plus de 60 000 personnes ont été tuées depuis 1999. Les recherches menées par Human Rights Watch indiquent que des hauts responsables en Ouganda et au Rwanda, tout comme le gouvernement et les responsables militaires de Kinshasa, la capitale du Congo, ont fourni des armes et apporté leur soutien aux milices qui opéraient dans le nord-est. Trois chefs militaires de l'Ituri sont actuellement gardés en détention par la CPI et un quatrième, Bosco Ntaganda, est en fuite. Cependant aucun de leurs soutiens logistiques n'a été arrêté.
Les troupes du MLC de Bemba ont également été impliquées dans des atrocités commises au nord du Congo pendant la guerre de cinq ans. En novembre 2002, les soldats de Bemba ont lancé une opération militaire intitulée « effacer le tableau » sur le territoire Mambasa dans la province de l'Ituri. Au cours de cette opération, les troupes du MLC sont accusées d'être les auteurs de nombreux crimes contre des civils : viols, exécutions sommaires, pillages... La CPI n'a toutefois accusé Bemba d'aucun crime dont ses troupes sont présumées coupables dans l'Ituri.
De plus, Human Rights Watch exhorte la CPI à engager des poursuites à l'encontre de hauts responsables, quelle que soit leur position politique, dans le cadre de son enquête indépendante concernant la violence généralisée actuelle contre les civils dans les Kivus.
5. Quel est le but de la prochaine audience de confirmation des charges retenues contre Bemba ?
L'audience permettra aux juges de se rendre compte si le Procureur dispose d'un nombre suffisant de preuves pour intenter un procès sur la base des charges citées. Cette audience n'est pas un procès et ne déterminera pas la culpabilité ou l'innocence de Bemba. Elle devrait se tenir entre le 12 et le 15 janvier 2009 à La Haye, où se trouve la CPI. Bemba, par l'intermédiaire de ses conseillers juridiques, peut s'opposer aux charges et remettre en cause la preuve apportée par le Procureur. Ces derniers peuvent également présenter des preuves en son nom. Le Procureur n'aura pas à présenter toutes les preuves retenues contre Bemba lors de cette audience.
6. Les victimes peuvent-elles prendre part à l'audience pour confirmer les charges ?
Dans le cadre du Statut de Rome, les victimes ont la possibilité de prendre part à l'audience en plus de témoigner. Toutefois, elles ne peuvent pas participer d'une manière qui pourrait aller à l'encontre ou porter préjudice au droit de l'accusé à un procès impartial. À ce jour, 54 victimes ont été approuvées pour participer à l'audience de confirmation des charges contre Bemba. Pour garantir l'efficacité des poursuites, les juges ont demandé aux victimes, avec l'aide du Greffe de la CPI, de désigner un représentant juridique commun, de préférence de la République centrafricaine, qui exprimera les opinions et les soucis des victimes lors de l'audience. Le Bureau du conseil public pour les victimes de la CPI représentera les victimes participantes qui ne désirent pas être représentées par le représentant juridique commun.
7. Qui paye pour la représentation de Bemba par un avocat lors de l'audience ?
Un accusé a droit à une aide judiciaire pendant la durée des poursuites criminelles. Il peut bénéficier d'une aide financière s'il ou elle ne dispose pas des ressources nécessaires pour exercer ce droit. Bemba a rempli une demande d'aide financière que le Greffier de la Cour pénale internationale a provisoirement rejetée en août 2008, sur la base d'une conclusion initiale indiquant qu'il possédait les ressources nécessaires et pouvait donc financer sa défense personnelle. Cette décision peut être toutefois modifiée, selon l'analyse faite par l'enquêteur financier de la Cour, qui n'est pas encore achevée.
La question des ressources de Bemba intéresse également les victimes qui espèrent être dédommagées. Selon le Statut de Rome, si le cas de Bemba fait l'objet d'un procès et qu'il est désigné coupable, la Cour peut lui ordonner de verser aux victimes une indemnisation individuelle ou collective. Dans le cadre du Statut de Rome, pour être indemnisées par une personne emprisonnée, les victimes doivent remplir une demande auprès de la Cour.
8. Que se passera-t-il après l'audience ?
Les juges de la Chambre préliminaire III disposent de 60 jours après l'audience pour rendre une décision écrite. Les charges retenues contre Bemba seront confirmées si les juges s'accordent à dire qu'il « existe des motifs raisonnables de croire » qu'il est l'auteur des crimes dont il est accusé. L'affaire sera alors portée en jugement.
Cependant, les juges peuvent également décider que les preuves présentées ne sont pas suffisantes pour confirmer certaines charges ou l'intégralité de celles-ci. Dans ce cas, le Procureur peut avancer des preuves supplémentaires pour consolider les charges concernées et demander ensuite qu'elles soient confirmées.
Les juges peuvent aussi ajourner l'audience et demander au Procureur de fournir plus de preuves ou d'approfondir l'enquête autour d'une charge en particulier. En outre, ils peuvent demander au Procureur de modifier le contenu d'une charge lorsque les preuves apportées définissent un crime différent.
9. Que devrait faire la CPI pour s'assurer que les habitants de la RCA sont informés de l'évolution de l'audience à La Haye ?
La CPI doit relever le défi de garantir que les poursuites aient une signification pour les communautés les plus touchées par les crimes dans la conjoncture du pays qui a fait l'objet d'une enquête. Pour que les victimes se sentent concernées par ces poursuites, elles doivent les comprendre. La CPI doit par conséquent faire tout ce qui est en son pouvoir pour diffuser publiquement aux habitants de la RCA les actions judiciaires importantes qui se déroulent à La Haye. Cela peut sous entendre des ajustements pour diffuser le premier jour de l'audience à des groupes de victimes à Bangui, la capitale de la RCA, le recours aux médias locaux pour fournir des renseignements sur le déroulement de l'audience, la mise à disposition de personnel pour répondre aux questions, et enfin la mise en circulation d'un résumé audio/vidéo de l'intégralité de l'audience une fois celle-ci terminée.
En octobre 2007, la CPI a ouvert un bureau à Bangui pour proposer, entre autres, une aide au public, mais le bureau connaît un manque de personnel. Ceci a sérieusement réduit la capacité de la Cour à s'engager auprès des communautés touchées par les crimes supposés de Bemba. Alors que des efforts sont actuellement menés pour recruter plus de personnel, Human Rights Watch exhorte la section de documentation et d'information publique de la CPI (Public Information Documentation Section, PIDS) à envisager d'avoir recours à des mesures temporaires, y compris à un déploiement provisoire à Bangui de personnel basé à La Haye. La stratégie de proximité de la Cour ne doit pas être compromise par un manque de personnel.
De plus, parce que Bemba est une personnalité qui a marqué la RDC, la CPI devrait anticiper et se préparer à répondre sur place également à un besoin urgent en renseignements sur la confirmation des charges. Certaines des personnes interrogées sur place en juillet 2007 par Human Rights Watch pensaient que la décision du Procureur d'ouvrir une enquête sur les événements qui se sont déroulés en mai 2007 en RCA, soit presque trois ans après que ce pays en ait fait la demande auprès de la CPI, n'avait pour but que la poursuite d'un adversaire politique du président Kabila. L'arrestation de Bemba et son transfert à La Haye, même s'ils sont porteurs de changements, a indéniablement contribué à une telle perception. Human Rights Watch exhorte la PIDS à intensifier ses actions de proximité en RDC.
10. Le Procureur de la CPI engagera-t-il des poursuites à l'encontre d'autres ressortissants de la RCA ?
Bemba est à l'heure actuelle le seul individu accusé dans le cadre de l'enquête de la CPI en RCA. Human Rights Watch exhorte le Procureur de la CPI à mener l'enquête et, sur la base de preuves, à poursuivre d'autres personnes considérées responsables pénalement de crimes commis en RCA, y compris durant le coup d'État, en 2002-2003.
11. L'enquête de la CPI qui est actuellement menée en RCA inclut-elle les crimes plus récent perpétrés dans le nord du pays ?
En prenant la décision d'ouvrir une enquête en RCA, le Procureur a déclaré que son Bureau continuait de constater la violence et les crimes commis au nord du pays, en bordure du Tchad et du Soudan. Les recherches récentes d'Human Rights Watch dans cette zone indiquent que les troupes gouvernementales, en particulier celles de la garde présidentielle, sont à l'origine de centaines de meurtres et tout autant d'incendies d'habitations perpétrés lors de la campagne contre-insurrectionnelle. Cette campagne a poussé des dizaines de milliers de personnes à fuir leurs villages.
En annonçant sa décision d'ouvrir une enquête sur les crimes commis sur le territoire de la RCA entre 2002 et 2003, le Procureur de la CPI a également fait savoir que son Bureau continuerait de relever les événements se déroulant dans le nord afin de déterminer si une enquête est nécessaire. Depuis, le Procureur a indiqué au président Bozizé que son gouvernement devait accorder une « attention accrue » aux actes de violence perpétrés dans le nord. Le président Bozizé a répondu que les tribunaux nationaux sont en mesure de traiter ces crimes, ce qui rend une intervention de la CPI superflue.
Toutefois, si rien n'est fait et que le crimes sont suffisamment graves pour être du ressort de la CPI, une intervention de cette dernière peut être appropriée. On ne sait cependant pas vraiment si la période de référence initiale englobera ces crimes perpétrés plus récemment. Dans le cas contraire, Human Rights Watch exhorte le Procureur à faire appel à son autorité motu proprio, littéralement, « de sa propre initiative », pour ouvrir une enquête.