Driss Benzekri, décédé le 20 mai 2007 à l’âge de 57 ans, avait une influence inversement proportionnelle à la force de sa voix. Fragile depuis sa libération en 1991, après dix-sept années passées en prison, il était la figure centrale des droits humains au Maroc, même pour ceux qui contestaient son approche.
Driss Benzekri s’est immergé dans la lutte pour les droits humains peu après avoir retrouvé la liberté. Il n’exprimait aucune amertume envers ceux qui l’avaient incarcéré pour ses activités politiques de gauche, malgré les douleurs chroniques causées par leurs actes de torture.
Intronisé en 1999, Mohamed VI a cherché à marquer son règne en reconnaissant de façon oblique la torture, les procès montés, et les « disparitions » que les sbires de son père, Hassan II, avaient perpétrés. Quand le nouveau roi a offert des indemnisations aux anciennes victimes et à leurs ayants droit, Driss Benzekri a plaidé, par l’intermédiaire d’une organisation qu’il avait cofondée, pour un règlement du dossier du passé qui incluse une commission « Vérité », des excuses de l’Etat, la responsabilisation des bourreaux ainsi que la réhabilitation morale des victimes. A la suite de contacts directs avec Driss Benzekri et ses collègues, Mohamed VI a annoncé en 2003 la création de l’Instance Equité et Réconciliation (IER), présidée par Driss Benzekri lui-même.
L’IER a divisé. Des critiques ont fait remarquer que les commissions Vérité opèrent généralement dans des pays qui connaissent de réelles transitions vers la démocratie, alors que le Maroc n’a fait que changer de roi. Ils ont également regretté que la commission ne fût pas dotée d’un pouvoir de nommer publiquement ou de punir les auteurs de crimes.
Driss Benzekri connaissait bien ce débat. En acceptant un processus où la recherche de la vérité primait sur les poursuites judiciaires, il croyait de toute évidence que Mohamed VI s’était attaché aux réformes et que l’IER accélérerait ce processus.
Durant son mandat de deux ans, l’Instance a enquêté sur plus de 16 000 plaintes individuelles relatives à des violations de droits commises entre 1956 et 1999. Elle a émis des jugements sur les réparations accordées aux victimes ainsi que leur réhabilitation, et a recommandé une longue liste de réformes institutionnelles et légales dont la mise en œuvre renforcerait l’indépendance judiciaire et l’Etat de droit.
La principale réussite de l’IER fut la tenue d’auditions publiques télévisées au cours desquelles des victimes ont relaté les exactions qu’elles ont subies sous Hassan II. L’IER a garanti par son travail que la répression pratiquée durant les « années de plomb » du Maroc fasse partie de l’histoire officielle du pays.
A ceux qui réclamé des poursuites, Benzekri avait répondu : « C’est une erreur de penser que le système judicaire est la meilleure réponse à apporter aux violations passées. Dans un tribunal, la victime est une des parties. Pour l’IER, la victime est le héros de l’histoire. »
Driss Benzekri et ses détracteurs étaient d’accord sur un point essentiel: l’héritage de l’Instance dépendra non seulement de ce qu’elle a fait pour réconcilier le Maroc avec son passé, mais aussi de sa contribution à l’avenir du pays. Sur ce point, le verdict est encore en suspens. Le gouvernement n’a pas encore mis en œuvre la plupart des réformes recommandées par l’Instance. Les forces marocaines de sécurité continuent à torturer des suspects, et ses tribunaux continuent à emprisonner des dissidents après des procès iniques. Driss Benzekri est mort à un moment où les réformes des droits humains au Maroc restent modestes et réversibles.