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Tchad : Les civils d’origine arabe également visés par les milices

Le gouvernement tchadien devrait calmer et non exacerber les tensions locales

(N'Djamena)- Les Arabes tchadiens comptent parmi les victimes d’un cycle croissant de violence dans la partie Sud-Est du Tchad près de la frontière avec le Darfour. Les responsables tchadiens devraient cesser de soutenir les groupes armés responsables d’exactions, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Plusieurs centaines de personnes ont été tuées et 10 000 au moins ont été déplacées lors des récentes attaques des milices contre une soixantaine de villages tchadiens, principalement à Kerfi, Koloy et Bandikao et dans ses environs, en octobre et novembre. Nombre de ces attaques ont été menées par des milices arabes tchadiennes contre des communautés non arabes. Cependant, au moins une des attaques dans la région de Kerfi, à 40 kilomètres au sud-est de Goz Beida, a été menée par des milices Dajo contre un village arabe tchadien. Certains groupes Dajo d’autodéfense à Dar Sila ont reçu le soutien et l’appui de rebelles du Darfour liés à des responsables tchadiens.

« Les communautés arabes au Tchad et au Darfour ont été les victimes oubliées des attaques des milices et souffrent du stéréotype selon lequel tous les Arabes seraient des ‘Janjawids’ » a déclaré Peter Takirambudde, directeur exécutif pour l’Afrique à Human Rights Watch. « Le soutien du gouvernement tchadien aux rebelles du Darfour et à certaines milices ethniques exacerbe les tensions inter ethniques existantes au Tchad. Le gouvernement tchadien doit neutraliser cette violence de façon équilibrée. »

A la mi-octobre, des milices Dajo ont attaqué le village tchadien arabe de Amchamgari, tuant au moins 17 personnes et en blessant sept autres. Des témoins à Amchamgari ont dit à Human Rights Watch que les milices étaient composées de Dajo originaires principalement du village voisin de Djorlo, dans la région de Kerfi. Ces derniers ont attaqué leur village en début d’après-midi. Des témoins oculaires ont dit que les assaillants étaient arrivés à pied, vêtus à la fois de tenues de camouflage militaires et de vêtements civils, et qu’ils étaient armés aussi bien de sagaies que d’armes automatiques. Par la suite, les milices arabes ont attaqué le village de Djorlo, qui a été partiellement incendié.

Il n’est pas clair si ceux qui ont attaqué Amchamgari étaient soutenus par le gouvernement tchadien ou par les rebelles soudanais. Cependant, les recherches effectuées par Human Rights Watch indiquent que certains responsables tchadiens ont soutenu activement des factions rebelles du Darfour et des groupes ethniques d’autodéfense dans la région. Et ce, en partie pour répondre à des attaques menées récemment par des rebelles tchadiens.

Un grand nombre de responsables d’exactions et de victimes, appartenant tant au groupe ethnique arabe que non arabe à Dar Sila, ont fait état d’une atmosphère de suspicion et d’hostilité mutuelles. Les attaques ont été accompagnées d’accusations respectives de liens avec les rebelles du Darfour d’une part ou avec les milices « Janjawid » d’autre part. Par exemple, un témoin Dajo interrogé par Human Rights Watch a prétendu que les Arabes tchadiens étaient alliés aux milices soudanaises et « sont devenus des Janjawids. » En revanche, un chef arabe Salamat a soutenu que certains groupes ethniques, dont les Dajo et les Muro, avaient des liens avec les rebelles soudanais dont le but était de « tuer les Arabes. »

« Il ne s’agit pas seulement d’affrontements communautaires, il y a un lien politique clair avec les troubles internes tant au Darfour qu’au Tchad, » a ajouté Peter Takirambudde. « Les autorités tchadiennes doivent s’abstenir d’armer et de soutenir les milices responsables d’exactions, que ce soit directement ou indirectement par le biais des rebelles du Darfour. »

Le conflit survenu au Darfour a introduit un élément explosif au sein des nombreux groupes ethniques qui se trouvent de part et d’autre de la frontière soudano-tchadienne. Des groupes armés alliés au Soudan et au Tchad ont proliféré. Beaucoup d’entre eux sont soutenus ou tolérés par le gouvernement tchadien ou soudanais. Les civils tchadiens sont devenus les victimes des attaques et les milices tchadiennes sont devenues les auteurs de ces attaques.

Derrière les récents affrontements, cependant, il y a des tensions sous-jacentes persistantes relatives aux ressources en terres et en eau, notamment entre certains groupes arabes, comme les Salamat, qui sont plutôt des bergers, et des groupes non arabes de la région tels que les Dajo et les Muro, qui sont plutôt des agriculteurs. De plus, l’arrivée des réfugiés du Darfour dans la partie Est du Tchad a encore accrue la pression sur les ressources disponibles.

Environ 220 000 réfugiés du Darfour ont cherché refuge dans la partie Est du Tchad depuis le déclenchement du conflit au Darfour en 2003. Cette année, les violences commises par les milices ont entraîné le déplacement de 70 000 civils tchadiens à l’est du Tchad. Dar Sila, situé dans cette région, a été l’épicentre des récentes attaques des milices. Le 17 novembre, les dirigeants arabes tchadiens ont signé un accord de paix avec les dirigeants Dajo et Muro à Goz Beida, la capitale provinciale de Dar Sila.

« Les responsables tchadiens doivent s’assurer que tous les civils reçoivent une protection, quelle que soit leur appartenance ethnique », a déclaré Takirambudde, « et les organismes internationaux d’aide humanitaire devraient s’efforcer d’atteindre les civils arabes qui passent au travers du filet des secours. »

Comptes-rendus de témoins oculaires sur des attaques menées contre des Arabes tchadiens dans la partie Est du Tchad :

D’après un chef arabe Salamat à Dar Sila:

Le problème a commencé quand les réfugiés sont arrivés et qu’ils ont semé leurs champs et aussi les bergers de Samasim [une communauté arabe de la région de Kerfi] quand ils sont venus avec leurs animaux. Dès que les réfugiés sont arrivés ici, il y a eu des problèmes. Ils ont tous des membres de leur famille au Tchad, et certains ont combattus durant la guerre au Darfour, où ils ont appris à tuer les Arabes, et ils étaient prêts à faire de même au Tchad. Ils ont appris aux Tchadiens à haïr les Arabes. Avant, les Dajo de Dar Sila fondaient des familles avec les Arabes. Et les Muro se mariaient aussi avec les Arabes.

Puis les Tora Bora [surnom régional des rebelles du Darfour] sont venus ici parmi les réfugiés et les habitants. Même les chefs de canton ont commencé à dire : ceci est mon territoire, les Arabes ne peuvent pas venir ici avec leurs animaux. Mais les Salamat étaient à Dar Sila avant qu’il y ait un Sultan [….] Le plus grand problème est celui de l’eau. Les Africains sèment des champs des deux côtés de Wadi Azoum. Durant la saison des pluies ce n’est pas un problème, mais à la saison sèche c’est la seule eau pour nos animaux. Et ils font des barrières d’épines autour de leurs champs, ils bloquent notre passage vers l’eau. Si nous avions des puits pour nos animaux loin du wadi [lit de rivière asséchée] il n’y aurait pas de problèmes. Maintenant il y a des champs des deux côtés du wadi. Avant, il n’y avait personne ici, pas comme maintenant. Il n’y avait pas beaucoup d’animaux. Maintenant il y a beaucoup des deux. Les gens cultivent des champs jusqu’à Am Timan. Avec l’arrivée des réfugiés, les problèmes se sont développés dans deux camps : l’un près de Koukou et l’autre près de Goz Beida. C’est avec l’arrivée des réfugiés que les ennuis ont commencés.

Mais nous avons signé un accord de paix hier, et c’est un bon accord ! Nous allons penser à l’avenir. S’il y en a chez nous qui font du désordre, nous les amènerons au gouvernement.

D’après un berger nomade arabe, Salamat âgé de 46 ans :

L’attaque a commencé à deux heures de l’après-midi. J’étais chez moi en train de faire la sieste quand j’ai entendu les coups de feu. Je suis sorti et j’ai vu que les maisons brûlaient. Les gens criaient. Des hommes du village ont été tués tout de suite ; ils étaient morts par terre. Ils nous tiraient dessus avec des flèches et des armes automatiques en poussant leur cri de guerre. Je suis rentré chez moi prendre ma machette. Certains d’entre nous se sont battus, d’autres ont couru. Ils voulaient nous voler notre bétail mais nous ne les avons pas laissé faire. Le combat a duré jusqu’à six heures. Deux enfants étaient dans les champs avec le bétail et ils doivent avoir été tués parce que nous ne les avons jamais retrouvés. Ils étaient 1500. Ils sont tous arrivés à pied ; j’ai vu deux chevaux qui transportaient les munitions. Il y avait un cheval noir et un autre roux. Certains d’entre eux avaient des uniformes de camouflage. La plupart portaient des t-shirts. J’en connaissais quelques-uns.

D’après un Arabe Salamat blessé au cours de l’attaque contre Amchamgari :

J’ai été blessé le 19ème jour du Ramadan [le 12 octobre 2006] à Amchamgari. J’y ai vécu pendant 15 ans. Ils sont arrivés à deux heures de l’après-midi. Je dormais sous un arbre et mes enfants sont arrivés en courant et ils ont dit « Papa, il nous faut courir ! Ils nous attaquent. » Mais c’était déjà trop tard pour courir. Ils tiraient sur notre village. Certains sont tombés morts tout de suite ; d’autres étaient blessés. Ils ont commencé à mettre le feu à nos maisons. Je suis rentré pour prendre ma machette. Certains avaient des uniformes mais la plupart portaient des vêtements civils. Ils ont lancé un cri de guerre : « Ak, ak, ak, ak, ak. » Ils disaient : « Jahao Doom! » et « Tuez les Arabes! ». On se battait au corps à corps quand on m’a tiré dessus de très près, j’ai été touché au pied. L’homme qui m’a tiré dessus portait un t-shirt noir. J’ai essayé de me mettre à l’abri et j’ai reçu une flèche dans le dos. Ils voulaient nous tuer. Mais nous ne les avons jamais attaqués, nous ne les avons jamais provoqués. Nous sommes des gens innocents. Ils ont brûlé notre village et ont tués 17 d’entre nous pour la seule raison que nous sommes Arabes.

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