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Au Burundi, aujourd’hui encore, on peut « disparaître », être oublié au fond d’un cachot, torturé et assassiné sans jugement. Les jeunes hommes surtout, quand ils ont la malchance d’être soupçonnés par les agents du Service de Renseignement National, sorte d’agence de sûreté nationale, d’être lié au FNL (Forces Nationales pour la Libération), le dernier groupe rebelle du Burundi.

Que ces hommes soient coupables ou pas ne rentre pas en ligne de compte, de toute façon ils n’auront pas droit à un procès. Par contre, ils ont des chances de subir des tortures lors d’interrogatoires particulièrement violents. Les agents du Service National de Renseignement (SNR) agissent dans un contexte d’impunité presque total, et ils en profitent. D’ailleurs les exactions ne sont pas juste le fait d’agents exécutants, on les retrouve à tous les niveaux de la chaîne de commandement. Les premiers responsables et les mieux protégés, ce sont les hauts gradés.

A l’origine de cette violence, treize ans de guerre civile et un conflit persistant entre deux groupes rebelles, le CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie - Forces pour la défense de la démocratie), et les FNL. En 2005, le CNDD-FDD a remporté les élections présidentielles et parlementaires. Sa première année au pouvoir a été marquée par une lutte sporadique avec les FNL dans certains endroits du Burundi.

En mars 2006, les combattants du FNL ont annoncé leur volonté de participer à des pourparlers de paix avec le gouvernement burundais récemment élu. Ces pourparlers eurent lieu en mai à Dar es Salaam, en Tanzanie. Hélas, malgré les négociations, les combats entre les FNL et les forces gouvernementales se poursuivirent dans les collines autour de Bujumbura.

Le 7 septembre 2006, pourtant, après des mois de discussions, le gouvernement présidé par le Président Pierre Nkurunziza et les FNL ont réussi à se mettre d’accord sur un cessez-le-feu. Il semblerait donc que le Burundi soit plus proche de la paix aujourd'hui qu'à aucun autre moment depuis treize ans.

Mais il y a une ombre au tableau, et elle est de taille. Il s’agit des graves et multiples accusations qui pèsent contre le SNR, la peur qu’il inspire aux Burundais et l’impunité dont il jouit, impunité héritée de l’époque ou le FNL était l’ennemi. Des dizaines d’exemples d’arrestations arbitraires, d’emprisonnements, de tortures, d’éxecutions extrajudiciaires et de « disparitions » ont en effet été recensés au cours des derniers mois.

Car cette agence, fondée par décret en juillet 1984, bénéficie d’un flou concernant son mandat - qui va officiellement de la sécurité à la lutte contre les menaces environnementales - et n’est soumise à aucun contrôle parlementaire. Elle ne s’embarrasse donc ni du respect des lois internationales ou burundaises, ni du respect minimal des procédures.

Rien que pour l’année 2006, celle qu’on appelle aussi la « police présidentielle » car son chef rend ses comptes au Président Pierre Nkurunziza lui-même, a été mise en cause dans au moins 38 exécutions extrajudiciaires et 200 affaires d’arrestations arbitraires et de torture. Comme le raconte un habitant, ses agents « font peur aux gens. On s’enfuit quand on les voit… Beaucoup d’arrestations ont été faites sans raison. »

Particulièrement sordide, on a retrouvé les corps d’une trentaine d’hommes « disparus » d’une même région dans une rivière, certains déchiquetés à cause des crocodiles. Bien sûr, ils étaient entre les mains du SNR et de l’armée la dernière fois qu’on les avait vus vivants.

S’exprimant sur le Burundi en mars 2006, le Secrétaire général des Nations Unies a affirmé que « les lacunes observées au niveau du commandement et du contrôle » des services du renseignement contribuaient fortement au nombre considérable de violations des droits humains et de crimes de droit commun commis au Burundi.

Le Président Nkurunziza s’est engagé le 25 octobre à ce que justice soit faite pour les burundais victimes du SNR. « Les responsables seront poursuivis » a-t-il affirmé.

C’est une bonne chose car il y a urgence. Les dérives constatées au Service National de Renseignement ne prendront fin que lorsque des enquêtes sérieuses seront diligentées, et des responsables punis. Cela ne sera pas facile, car tous les niveaux de la chaîne de commandement sont concernés. Des témoignages font en effet état de hauts gradés du SNR participant activement aux séances de torture.

De même, le contrôle de cette agence doit être renforcé. A cet effet, et jusqu’à leur fermeture, les locaux devraient être accessibles aux autorités judiciaires burundaises, à l’ONU présente par le biais de l’ONUB (Opération des Nations Unies au Burundi), et aux ONG. Dans la même veine, la création d’un comité parlementaire permanent pour les affaires de sécurité et de renseignement exerçant une surveillance civile sur le SNR aurait assurément un effet bénéfique.

Le gouvernement burundais doit s’attaquer sérieusement à ce problème qui mine la confiance des Burundais dans leurs institutions étatiques. Or, seules des enquêtes et des juges indépendants pourront changer cet état de fait. Hélas, dans un pays où ces mêmes juges peuvent être menacés et placés sous protection lorsqu’il enquêtent sur le SNR, la culture et l’enracinement de l’impunité ne sera pas facile à déloger. La communauté internationale doit elle aussi apporter son aide et faire pression en ce sens.

Un témoin ayant assisté, caché, à une série d’exécutions extrajudiciaires, nous a un jour raconté : « Il y a avait beaucoup de voix en même temps qui criaient. J’ai entendu le bruit de quelque chose qu’on trainait puis encore des cris d’agonie. J’ai entendu ça encore et encore. C’était les pires cris que j’aie jamais entendus. » Le Burundi peut aujourd’hui offrir autre chose que de la peur à ses citoyens. Les multiples dérives d’un SNR incontrôlé ne doivent plus être un obstacle à ce projet.

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