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Il y a trois semaines, le président Bush a reconnu pour la première fois l'existence de centres de détention secrets gérés par la CIA à l'extérieur des Etats-Unis. Il a déclaré que quatorze détenus emprisonnés dans ces centres avaient fait l'objet d'un transfert vers la prison de Guantanamo afin d'être " traduits en justice ".

C'est une bonne nouvelle pour ces détenus, ce transfert signifiant pour eux le début des visites du Comité international de la Croix-Rouge et surtout la fin des interrogatoires effectués à l'aide de méthodes " alternatives ", comme les appelle le président Bush. On sait en effet que certaines de ces techniques s'apparentent à de la torture. Pourtant, cette décision ne signifie pas l'arrêt du recours à ces méthodes.

Car l'administration Bush défend ardemment l'assouplissement de l'interprétation des conventions de Genève qui réglementent les méthodes d'interrogatoire et interdisent toute forme de torture ou de traitements inhumains. Cet assouplissement, le président américain l'appelle de tous ses voeux, afin de mieux poursuivre sa " guerre contre le terrorisme ".

La semaine dernière, le Congrès a été appelé à voter sur cet assouplissement. Il a partiellement suivi les recommandations du président en autorisant l'utilisation de renseignements obtenus dans le passé grâce à des techniques " alternatives ", légitimant un peu plus l'usage de la torture par les agents de la CIA.

Auparavant, même si les " disparitions " et la torture de détenus de la CIA avaient réellement mené à la capture d'autres terroristes, le fait même qu'on y ait eu recours rendait impossible leur traduction en justice.

Selon la Cour suprême, les informations obtenues à partir de témoignages suscités par des techniques coercitives étaient dans tous les cas déclarés irrecevables au procès.

C'est en revanche ce même Congrès, emmené par le sénateur John McCain, ancien prisonnier de guerre et victime de tortures au Vietnam, qui a rejeté les autres assouplissements souhaités par l'administration Bush. Ces derniers consistaient à purement et simplement légaliser l'usage de techniques brutales comme le " waterboarding " (le " sous-marin ", qui consiste à faire croire au prisonnier qu'il se noie), le maintien en hypothermie, ou la privation de sommeil prolongée, en violation des conventions de Genève.

Le président Bush a justifié l'usage de telles méthodes ainsi que le recours par la CIA aux " disparitions " en affirmant dans son discours que le programme de la CIA avait " donné des informations qui ont sauvé des vies innocentes ". Le chef de l'administration a ensuite fait la liste des cas dans lesquels de telles informations auraient permis d'identifier d'autres terroristes, de faciliter leur capture et de déjouer des complots en préparation.

Pourtant, on ne dispose d'aucun détail sur ces affirmations. Personne ne sait, par exemple, si les mêmes - ou de meilleures - informations auraient été obtenues sans recours à la torture, ni combien de faux témoignages ont mené à de fausses pistes, empêchant de privilégier les bonnes.

" INTERROGATOIRE POUSSÉ "

Ce qui est arrivé à Ibn Al-Shaykh Al-Libi, un des principaux suspects mis en détention par la CIA, est, à ce titre, révélateur. Sous l'effet d'un " interrogatoire poussé ", M. Al-Libi aurait raconté à ceux qui l'interrogeaient que l'Irak avait contribué à la formation de combattants d'Al-Qaida pour l'utilisation d'armes chimiques et biologiques. Cette information fut utilisée par Colin Powell dans son discours devant les Nations unies pour justifier la guerre en Irak. Elle se révéla par la suite être entièrement fausse : Al-Libi n'avait inventé ces faits que pour faire cesser son supplice.

La défense ouverte de la torture - et l'argumentation sur sa prétendue efficacité par le président américain - est donc extrêmement inquiétante pour l'avenir. Car, en dépit des informations apparemment recueillies auprès de certains de ces suspects, les mauvais traitements systématiques infligés aux prisonniers musulmans par les Etats-Unis ont été du pain bénit pour les recruteurs de djihadistes extrémistes à travers le monde. L'administration Bush peut ainsi se glorifier d'avoir contribué à rendre le monde moins sûr face au terrorisme.

Cela vaut pour les Etats-Unis eux-mêmes, car, comme l'indique le rapport de la Commission 11-Septembre mise en place après les attentats, " les allégations selon lesquelles les Etats Unis ont commis des abus sur des prisonniers (...) rendent plus difficile la construction des alliances diplomatiques, politiques et militaires dont le gouvernement a besoin ".

De même, la torture et les " disparitions " de détenus mises en oeuvre par les Etats-Unis permettent à tous les gouvernements peu enclins au respect du droit international de faire de même. Du Soudan au Zimbabwe, ces pays sont à présent trop heureux de citer les pratiques américaines pour justifier les leurs ou pour désarmer les critiques.

SILENCE ET COMPLICITÉ

Mais notre inquiétude doit découler, d'abord et avant tout, de l'acceptation de méthodes qui sont contraires à l'Etat de droit et remettent en cause des siècles de lutte pour que, justement, chacun soit tenu de respecter les mêmes règles que les autres. Dans cette perspective, le silence - et la complicité - des gouvernements européens face aux dérives américaines est également extrêmement dangereux. A un moment où le monde a plus que jamais besoin des règles du droit international que les Etats-Unis bafouent de manière contre-productive, l'Union européenne devrait s'affirmer comme une puissance qui incarne leur respect.

Reed Brody est l'auteur de trois rapports sur les mauvais traitements infligés par les Etats-Unis aux détenus de la " guerre contre le terrorisme ".

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