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Le concept de « vérité » ne figure nulle part dans le décret. En Algérie, c’est avant tout un décret qui blanchit des crimes commis par toutes les parties confondues, sans faire le moindre geste vers un devoir de vérité. Le décret exclut, des dispositions amnistiantes, les massacres, les viols et les attentats à l’explosif dans les lieux publics.

Eric Goldstein, directeur Moyen-Orient-Afrique du Nord à Human Rights Watch(...)

El Watan, 5 mars 2006

Les décrets présidentiels d’application de la charte pour la paix et la réconciliation garantissent-ils la vérité et la justice ?

Le concept de « vérité » ne figure nulle part dans le décret. Il n’y a même pas le compromis sud-africain qui permet d’amnistier les bourreaux à condition qu’ils révèlent toute la vérité sur leurs crimes. En Algérie, c’est avant tout un décret qui blanchit des crimes commis par toutes les parties confondues, sans faire le moindre geste vers un devoir de vérité. Le décret exclut, des dispositions amnistiantes, les massacres, les viols et les attentats à l’explosif dans les lieux publics. Mais huit ans après la boucherie de Bentalha, de Raïs, de Beni Messous, les responsables ont-ils jamais été jugés ? Même identifiés ? Qu’est-ce qui crédibilise l’hypothèse que les autorités, après avoir adopté une loi amnistiante, vont maintenant diligenter des enquêtes sérieuses afin d’aller au fond de ces crimes, d’identifier et de poursuivre en justice les responsables ?

Quelle lecture faites-vous de l’article 46 qui pénalise toute déclaration concernant la crise ?

On cherche en vain pour trouver un autre pays qui, émergeant d’un conflit civil, impose des peines de prison à l’encontre de ceux qui cherchent à débattre des aspects de ce conflit ou qui réclament la vérité sur ces événements. On ne peut qu’espérer que cet article ne sera pas appliqué. Mais une chose est sûre : si cet article est prétexté sur la nécessité de panser les cicatrises, il fait pleinement partie du verrouillage du champ de la liberté d’expression qu’on constate depuis la reconduite du président Bouteflika, dont la dernière victime est Hakim Laâlam, chroniqueur du quotidien Le Soir d’Algérie, condamné le 1er de ce mois à six mois de prison ferme pour « insultes » au Président.

S’achemine-t-on vers un élargissement de l’impunité à tous les échelons et pour tous les acteurs ?

Rien ne dissuade un bourreau éventuel plus que de pressentir qu’il risque d’être identifié et sanctionné. Si l’Algérie réussira à barrer la route à une reprise des abus qui ont ravagé le pays durant la décennie noire, ce sera parce qu’elle aura trouvé des moyens de mettre fin à l’impunité. Or, si on dit : « On oublie tout ce qui a été fait jusqu’à hier, mais plus d’impunité à partir d’aujourd’hui », ce n’est pas crédible, surtout pour des bourreaux potentiels.

Quelle marge de manœuvres reste-t-il aux familles de victimes pour réclamer leurs droits à la vérité et à la justice ?

Certaines seraient en train de préparer une action en justice, plaidant l’anticonstitutionnalité de la nouvelle loi. Même si cette démarche se heurte à un échec, beaucoup disent qu’ils ne renonceront jamais à réclamer la vérité et la justice, quelles que soient les indemnisations qui leur sont proposées par la nouvelle loi, quel que soit le risque de prison qui pèse sur ceux qui persistent à soulever les questions sensibles liées à la « tragédie nationale ». Ils savent d’ailleurs que dans d’autres pays, où les gouvernants ont essayé de « tourner la page » manu militari, ceux-ci n’ont finalement pas pu réussir à empêcher des vérités éclater - et quelquefois devant les tribunaux - dix, ou vingt ans après.

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