Les milices janjaweed et les groupes rebelles tchadiens soutenus par le gouvernement soudanais mènent des attaques transfrontalières sanglantes dans des villages situés à l’Est du Tchad.
Human Rights Watch a appelé la Mission de l’Union africaine au Soudan à patrouiller de façon plus active autour des points stratégiques qui jalonnent la frontière tchadienne. Il s’agit de dissuader d’éventuelles attaques contre les populations. Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait également autoriser de toute urgence le remplacement de la force de l'Union Africaine au Darfour par une mission de l'ONU.
Le rapport de 15 pages, Darfur Bleeds: Recent Cross-Border Violence in Chad (« Le Darfour saigne : les récentes violences transfrontalières au Tchad »), basé sur une enquête de Human Rights Watch dans l’Est du Tchad en janvier et février derniers, rapporte une augmentation alarmante des attaques contre les civils au Tchad. Elles sont perpétrées, avec l’appui du gouvernement soudanais, par les milices janjaweed et les groupes rebelles tchadiens. Ces derniers opèrent depuis des bases situées dans les régions du Darfour contrôlées par le gouvernement soudanais. Les troupes et les hélicoptères de combat du gouvernement soudanais ont, à certains moments, soutenu ces attaques transfrontalières dans l’Est du Tchad. Le gouvernement soudanais apporte son soutien à plusieurs groupes rebelles tchadiens, notamment en leur donnant refuge sur son territoire.
« Le gouvernement soudanais exporte de façon active la crise du Darfour vers son voisin en soutenant matériellement les milices janjaweed et en se gardant de les désarmer ou de les contrôler », affirme Peter Takirambudde, le directeur de la Division Afrique à Human Rights Watch. « Les milices janjaweed sont en train de faire au Tchad ce qu'ils font au Darfour depuis 2003 : tuer des civils, incendier des villages et voler le bétail, et ce au cours d'attaques aux relents ethniques ».
Les forces soudanaises sont directement impliquées dans les récentes violences survenues dans le pays, selon des témoins interviewés par Human Rights Watch dans l’Est du Tchad. Les troupes et les hélicoptères de combat soudanais auraient, par exemple, soutenu une attaque des milices janjaweed vers l’autre côté de la frontière, dans la région de Goungor, à deux reprises, au début du mois de décembre.
En raison de ces violences, le Tchad compte aujourd'hui des dizaines de milliers de déplacés à l'intérieur de son territoire. La plupart des victimes appartiennent aux groupes ethniques dajo et masalit, groupes ethniques non arabes, qui sont la cible systématique des milices janjaweed au Darfour. Les arabes tchadiens qui résident le long de la frontière semblent être épargnés par les attaques mais certains ont quitté leur maison pour trouver refuge au Soudan, apparemment par crainte de représailles dans cette région tendue sur le plan interethnique.
Human Rights Watch fait également part d'un nouvel afflux, au Tchad, de réfugiés du Darfour ne pouvant plus survivre dans les camps de personnes déplacées de Mornei et Misterei au Darfour occidental. Ces réfugiés, chassés de chez eux par le gouvernement soudanais et le « nettoyage ethnique » pratiqué par les milices janjaweed depuis 2003, subissent encore des violences même après avoir fui vers les camps de réfugiés. Les attaques lancées par les milices janjaweed contre les habitants des camps, et contre toute personne s’aventurant à l’extérieur de ces derniers, les ont forcés à fuir de nouveau, vers le Tchad cette fois-ci.
L'insécurité permanente qui règne dans l'Est du Tchad a pour conséquence immédiate le déplacement de civils : 30 000 tchadiens ont fui leurs maisons le long de la frontière en raison des violences récentes. Human Rights Watch a visité Koloy, un village qui était habité par 1904 personnes avant le conflit mais qui accueille maintenant entre 10 000 et 12 000 personnes déplacées à l'intérieur du pays, nombre d’entre elles à la recherche d’un refuge depuis décembre. Human Rights Watch a été informé du cas de civils attaqués alors qu’ils retournaient dans leurs villages pour cueillir des légumes dans leurs champs et jardins. Le manque de nourriture va devenir problématique si les réfugiés se voient encore refuser l’accès à leurs villages. L'eau est déjà un problème : lors de la visite de Human Rights Watch, le seul puit de Koloy était presque à sec.
Le nombre d'attaques a augmenté sensiblement depuis décembre avec, pour conséquence, des douzaines de morts parmi les civils et le déplacement de dizaines de milliers de personnes supplémentaires. Human Rights Watch a de nouveau fait appel au Conseil de sécurité des Nations Unies pour qu’il remplace d'urgence la force de l'Union africaine par une mission de l’ONU. Cette mission devrait être clairement et fermement mandatée pour protéger les civils, par la force si nécessaire. Human Rights Watch a aussi demandé au Conseil de sécurité des Nations Unies d’inscrire sur la liste des personnes soumises à l’interdiction de voyager et à d'autres sanctions préconisées par le comité des sanctions de l’ONU les chefs janjaweed Hamid Dawai et Abdullah Shineibat, ainsi que d'autres individus publiquement désignés comme responsables d’attaques commises sur des civils au Tchad.
« Les gouvernements soudanais et tchadien, la Mission de l'Union africaine au Soudan et la communauté internationale doivent faire plus pour garantir la sécurité de la population dans la région frontalière et prévenir l'expansion du « nettoyage ethnique » à l’intérieur du Tchad », a ajouté Takirambudde. « Les civils doivent être protégés des attaques orchestrées par le gouvernement soudanais, les rebelles tchadiens et les milices janjaweed ».