La Cour suprême de Libye doit examiner les plaintes déposées pour torture par six employés de santé étrangers, actuellement condamnés à mort pour avoir injecté le virus VIH à 426 enfants libyens. La Cour révisera son jugement aujourd’hui sur cette affaire.
Quatre des six défendeurs, cinq infirmières bulgares et un docteur palestinien, ont rapporté à Human Rights Watch, au mois de mai, qu'ils s'étaient confessés après avoir enduré des actes de torture incluant des coups, des chocs électriques et des agressions sexuelles. Ils ont également déclaré que les autorités libyennes leur avaient refusé tout contact immédiat avec un avocat. En juin, un tribunal de Tripoli a acquitté 10 officiers de sécurité libyens, accusés d'avoir utilisé la torture contre les défendeurs.
"Il existe de très sérieuses accusations de torture à l'encontre de ces travailleurs médicaux étrangers", a déclaré Sarah Leah Whitson, Directrice de la division Moyen Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. "La Cour Suprême libyenne devrait prendre ces faits en compte et rejeter les sentences de peines de mort".
Aujourd'hui, la Cour suprême peut reconnaître les condamnations à mort ou transférer l'affaire à une cour subalterne. Elle peut aussi reporter la révision de l'affaire, comme cela s’est déjà produit.
Les autorités libyennes ont arrêté ces Bulgares et ce Palestinien en février 1999 et les ont accusés d'avoir volontairement infecté 426 enfants avec le virus du Sida. Les enfants étaient des patients de l'hôpital pédiatrique al-Fateh de Benghazi. En mai 2004, un tribunal de Benghazi a condamné les employés médicaux à la mort par peloton d’exécution. Neuf libyens qui travaillaient à l'hôpital ont été acquittés.
Au moins 50 des enfants infectés sont morts et l'affaire a profondément mis en colère le peuple libyen.
"La situation désespérée de ces enfants innocents est une tragédie", a déclaré Whitson. "Mais leur souffrance ne doit pas empêcher que justice soit faite ou entraîner des abus supplémentaires".
Luc Montagnier, le co-découvreur du virus VIH, a attesté lors du procès que les enfants avaient probablement été infectés en raison des conditions d'hygiène déplorables de cet hôpital, et que beaucoup de ces enfants devaient déjà être contaminés avant l'arrivée des employés médicaux en 1998.
Mais les experts médicaux libyens ont affirmé, lors du réquisitoire, que ces infections étaient la conséquence d'injections intentionnelles du virus par ces travailleurs médicaux bulgares et palestiniens. L’accusation indique que les accusés ont avoué leurs crimes.
Quatre des employés médicaux ont déclaré à Human Rights Watch que les enquêteurs les avaient soumis à des chocs électriques, des coups portés sur le corps avec des câbles électriques et des bâtons en bois et sur la plante des pieds afin d'obtenir leurs aveux. En mai dernier, Human Rights Watch a interviewé les travailleurs médicaux étrangers à la prison Jdeida de Tripoli.
"J'ai avoué sous la torture à l'électricité. Ils disposaient des petits câbles sur mes doigts de pieds et sur mes pouces. Quelquefois ils en mettaient un sur mon pouce et un autre sur ma langue, mon cou ou mon oreille", a déclaré Valentina Siropulo, une des accusées bulgares. "Ils avaient deux sortes de machines, une avec une manivelle et une avec des boutons".
Une autre défenderesse bulgare, Kristiana Valceva, a déclaré que les interrogateurs utilisaient une petite machine avec des câbles et une manette qui produisait de l'électricité.
« Durant les chocs électriques et la torture, ils me demandaient d’où venait le virus du Sida, et quel était mon rôle, » a-t-elle confié à Human Rights Watch. Elle a déclaré que les interrogateurs libyens l’avaient soumise à des chocs électriques sur ses seins et ses organes génitaux.
Mes aveux étaient entièrement en langue arabe, et non traduits, » a-t-elle ajouté. « Nous étions prêts a signer n’importe quoi juste pour arrêter la torture. »
Les cinq infirmières bulgares sont détenues dans une aile spéciale de la prison Jdeida, où elles reçoivent maintenant les visites régulières de leurs avocats et des officiers bulgares. Le docteur palestinien Ashraf Ahmad Jum’a se trouve dans le quartier des hommes de la prison, seul dans l’aile des condamnés à mort.
« Nous avons subi une torture barbare et sadique pour un crime que nous n’avons pas commis, » a déclaré Jum’a à Human Rights Watch, durant une interview donnée en présence d’un gardien de prison. « Ils ont utilisé les chocs électriques, les drogues, les corrections, les chiens de police, et la privation de sommeil. »
« Se confesser était comme un examen à choix multiples, et quand je donnais une mauvaise réponse, ils me choquaient », a-t-il précisé. Il a affirmé que les accusés étaient aussi obligés de se choquer entre eux.
Human Rights Watch a également interviewé un des dix fonctionnaires de la sécurité libyens jugés en juin pour l’usage de la torture contre le personnel de santé étranger. Jummia al-Mishri, enquêteur crucial dans cette affaire et un des accusés de torture, a insisté sur le fait que Jum’a avait avoué volontairement. Il a affirmé que les enquêteurs avaient trouvé deux bouteilles contenant le virus HIV dans la maison de Kristiana Valcheva.
Al-Mishri a soutenu que les employés de santé étrangers s’étaient plaints de torture trois années après leurs arrestations, suggérant qu’ils avaient inventé cela. Cependant, Jum’a a appris à Human Rights Watch que lui et les autres accusés s’étaient plaints de torture dès leur première séance devant la cour en 2000, mais le juge avait alors écarté leur plainte. La cour leur avait également refusé un avocat jusqu’à leur première séance devant le tribunal, ont ajouté les employés de santé étrangers.
Le 7 juin, une cour de Tripoli a acquitté al-Mishri et les neuf autres fonctionnaires de sécurité libyens – sept policiers, un médecin et un traducteur – accusés de torture sur le personnel sanitaire étranger.
L’affaire de Benghazi sur le Sida a atteint une importance internationale. L’Union européenne et les États-Unis ont entamé des négociations entre les gouvernements libyen et bulgare. Les hauts fonctionnaires libyens ont suggéré qu’ils pourraient pardonner les accusés si la Bulgarie versait une compensation aux familles des victimes. Mais le gouvernement bulgare a refusé l’offre car cela impliquait d’admettre sa culpabilité.
Le 10 novembre, Seif al-Islam Qaddafi, le fils puissant du leader libyen et le dirigeant de la Fondation Qaddafi, a déclaré qu’il ne croyait pas à la culpabilité du personnel médical. Sa fondation aide à assurer aux accusés de meilleures conditions de vie en prison.
Human Rights Watch lance également un appel pour que l’aide médicale soit poursuivie pour les enfants libyens infectés par le virus du Sida. L’association pour les enfants victimes du Sida de Benghazi a rapporté, en mai dernier, que les 19 mères de ces enfants étaient aussi atteintes par le virus.
« Dites au monde que ces enfants sont innocents et qu’ils souffrent, » a déclaré Ramadan al-Faturi, le porte-parole de l’association, à Human Rights Watch. Il a exigé une meilleure formation pour les docteurs libyens et un soutien psychologique pour les familles.