L’administration Bush provoque un retard mortel pour les populations du Darfour en essayant d’empêcher le Conseil de sécurité de l’ONU de porter les atrocités commises au Darfour devant la Cour pénale internationale, explique Human Rights Watch dans une lettre adressée à Condoleezza Rice, Secrétaire d’état américaine.
La semaine dernière, au lendemain d'une attaque aérienne dans le Sud du Darfour qui aurait fait près de 100 morts et blessés parmi la population civile, les Etats-Unis ont proposé une alternative judiciaire - lente et coûteuse - à la Cour pénale internationale qui, elle, est déjà opérationnelle : le Conseil de sécurité devrait mettre en place un nouveau tribunal ad hoc, pour le Darfour cette fois-ci, qui siègerait en Tanzanie, au sein même du tribunal international qui poursuit actuellement les responsables du génocide rwandais de 1994.
C'est cette semaine que le Conseil de sécurité de l’ONU devrait recevoir les résultats de la commission d’enquête mandatée pour enquêter sur les violations des droits de l’homme et du droit humanitaire au Darfour. La commission a également été chargée de déterminer si des actes de génocide ont été commis et d’identifier les coupables en vue d'établir les responsabilités. Après avoir étudié les différentes options, la commission va probablement recommander au Conseil de sécurité de porter l’affaire du Darfour devant la CPI.
“Le retard occasionné par la mise en place d’un nouveau tribunal ne ferait qu’augmenter le nombre de victimes innocentes au Darfour,” a dit Richard Dicker, directeur du Programme de Justice Internationale à Human Rights Watch. “L’administration Bush semble vouloir sacrifier les victimes du Darfour à sa campagne idéologique contre la Cour.”
Comme le Soudan n'est pas Etat Partie, la CPI exigerait pour sa saisine un renvoi par le Conseil de sécurité. Le renvoi devant la CPI est la procédure la plus susceptible de garantir la poursuite en justice des principaux responsables de ces atrocités, a expliqué Human Rights Watch.
Jeudi, Pierre-Richard Prosper, ambassadeur extraordinaire des Etats-Unis pour les crimes de guerre, a présenté aux autres membres du Conseil de sécurité la proposition visant à créer un nouveau tribunal ad hoc pour le Darfour. Expliquant les motifs des Etats-Unis, il a déclaré : "Nous ne voulons pas être impliqués dans la légitimation de la CPI.”
La crainte des Etats-Unis de voir des poursuites politiquement motivées contre des Américains n’est pas justifiée au Darfour. Aucun citoyen américain ne risque d’être poursuivi pour génocide, crime de guerre ou crime contre l’humanité au Darfour. Comme la compétence de la CPI en la matière découlerait d'un renvoi contrôlé par le Conseil de sécurité, ce dernier conserverait un droit de regard sur toute future procédure de renvoi. Human Rights Watch a également noté que la législation américaine anti-CPI, l’American Service-Members’ Protection Act, laisse ouverte la possibilité pour les Etats-Unis de soutenir certaines poursuites de la CPI.
La création d’un nouveau tribunal est un processus complexe qui prend du temps : il faut créer un nouveau statut et de nouvelles règles, recruter du personnel et nommer des juges. Même en utilisant les infrastructures physiques de la Cour pénale internationale pour le Rwanda, comme l’administration Bush l’a proposé, plus d'une année pourrait être nécessaire avant que ce nouveau tribunal ne voie le jour.
La CPI, par contre, existe déjà et fonctionne comme tribunal permanent pour la répression des crimes de guerre. Elle pourrait lancer rapidement les poursuites contre les principaux responsables des crimes les plus terribles commis au Darfour, ce qui maximiserait l’effet dissuasif, et permettrait de sauver des vies.
Le jeudi, Condoleezza Rice s'est rendue pour la première fois en Europe en qualité de nouvelle Secrétaire d’Etat. Le Royaume-Uni, qui est membre du Conseil de sécurité, figure parmi les huit pays que Madame Rice visitera.
“Face aux crimes atroces actuellement commis au Darfour, Washington devrait laisser de côté ses objections dogmatiques vis-à-vis de la CPI et adopter la meilleure solution pour la justice,” a expliqué Dicker. “Tony Blair et les autres alliés européens doivent envoyer un message clair à Condoleezza Rice. L’Europe doit insister sur le fait qu’elle ne renoncera pas à ce que justice soit faite au Darfour sous prétexte que l’administration Bush est opposée à la CPI.”
Depuis le début 2003, le gouvernement soudanais et ses milices Janjaweed ont provoqué au Darfour l’une des plus grandes catastrophes humanitaires au monde. Malgré l’accord de cessez-le-feu conclu en avril entre le gouvernement soudanais et deux groupes de rebelles au Darfour, les combats ont repris ces derniers mois. Les attaques permanentes contre les civils et les travailleurs humanitaires ont entravé les opérations de secours dont auraient pu bénéficier plus de 1,6 million de personnes ayant fui leurs villages attaqués par le gouvernement et les milices depuis début 2003. L’impunité généralisée a contribué à l’insécurité dans laquelle vivent les civils.